Survenant au lendemain d'un échange entre le président Abdelaziz Bouteflika et le roi Mohammed VI, l'accord sur la vente de gaz, aussi modeste soit-il, vient rappeler opportunément qu'il existe des gisements de coopération qui peuvent être indemnes des turbulences politiques. Il existe en Algérie et au Maroc des responsables qui considèrent que le « gel » de la relation bilatérale fait partie des mœurs et s'est installé en un usage qu'il convient de ne pas remettre en cause. C'est une vision à courte vue. L'évolution de l'économie mondiale est telle que si nous, Algériens et Marocains, ne construisons pas par nous-mêmes et dans notre intérêt bien compris l'espace maghrébin, il sera fait par d'autres que nous et à d'autres conditions que celles que nous aurons choisies. Il s'agit d'une évidence. Les deux pays ont raté des opportunités d'avancer en admettant que le désaccord sur le Sahara Occidental doit être distingué de la relation bilatérale et du processus de construction maghrébine. Le drame est que cette propension à l'immobilisme a toujours alternativement prévalu chez les responsables des deux pays. Il est en effet bien plus simple d'entraver une normalisation des relations - même imparfaite - que de la construire. D'où la conviction de ceux des Maghrébins de cœur et de raison que cette situation arrangeait, in fine, les deux parties. Ces Maghrébins se désolent d'ailleurs du fait que les décideurs ne perçoivent pas que le Maghreb risque d'être fait, malgré eux, par les Américains ou les Européens. Il est indéniable que la nature, fort peu démocratique, des régimes maghrébins n'est pas de nature à favoriser le processus de synthèse maghrébine. Ce qui place la région dans une position singulière : d'autres régions du monde, qui étaient tout autant dominées par des régimes au moins aussi autoritaires, ont eu l'intelligence de comprendre qu'il était de leur intérêt de développer des synergies et de créer des espaces économiques communs mutuellement profitables. Il n'est pas rare d'entendre en Algérie l'argument selon lequel l'ouverture de la frontière occidentale ne bénéficierait qu'au Maroc et se ferait au détriment de l'économie du pays. Faut-il répondre que la frontière algéro-marocaine n'a pas été fermée de toute éternité ? Et que le sort de l'économie algérienne ne dépend pas d'une frontière close mais de sa capacité à produire, à créer de la richesse, à innover et à bien former les générations montantes ? Reste l'argument, qui vaut aussi bien d'ailleurs pour le Maroc que pour la Tunisie, qu'un espace maghrébin de libre-échange se fera au détriment de l'Algérie. De manière immédiate, tel est le cas. Mais si l'on se place dans une perspective plus longue, le déséquilibre n'est plus aussi patent. Sur le fond, en quoi importer de Tunisie ou du Maroc ce que nous importons de toute façon d'Europe ou d'Asie devrait pénaliser l'économie algérienne ? On peut être attaché, par le droit et par l'histoire, au principe de l'autodétermination des peuples et le défendre avec constance et fermeté. Cela n'empêche pas, dans la même foulée, de vouloir avancer vers un Maghreb qui est, avec la démocratie, on ne le répétera jamais assez, la seule perspective raisonnable pour tous les enfants de la région.