Après s'être rendus aux urnes le 26 octobre dernier pour leur Assemblée des représentants du peuple (ARP) à travers un scrutin transparent, régulier et démocratique, nos voisins tunisiens y retournent aujourd'hui pour cette fois désigner leur président de la République. Ce scrutin présidentiel clôturera la période de transition sous laquelle la Tunisie a vécu depuis le départ en 2011 de son président déchu et la chute de son régime autocratique. Les Tunisiens sont appelés à choisir librement entre 27 candidats briguant leurs suffrages - en fait 23 puisque quatre d'entre eux se sont entre-temps retirés de la compétition. Nouvelle Constitution oblige, le nouveau président tunisien ne disposera plus des pouvoirs étendus qui ont permis à ses prédécesseurs Habib Bourguiba et Zine El Abidine Ben Ali de se muer en chefs d'Etat autocrates voire même despotiques. La loi fondamentale tunisienne qui va encadrer l'exercice du pouvoir dans l'après-Ben Ali a en effet singulièrement réduit les prérogatives du chef de l'Etat et renforcé celles du chef du gouvernement investi par l'ARP et responsable devant elle. L'on a pensé que de ce fait les Tunisiens n'accorderont qu'un intérêt relatif au scrutin présidentiel. Ce qui n'a pas été le cas, démontré par l'engouement qu'ils ont manifesté à la joute électorale ayant opposé les candidats en présence. S'ils ne lui ont pas tourné le dos, c'est par conscience que le scrutin présidentiel présente tout de même un enjeu dont ils ne peuvent se désintéresser sans mettre en péril la fragile démocratie qui se met en place dans leur pays. Pour les Tunisiens, la menace qui guette leur démocratie dans ce scrutin ne vient pas cette fois des islamistes qu'ils ont mis en échec aux élections législatives mais de l'éventualité que les gagnants de celles-ci soient tentés de renouer avec le pouvoir autoritaire antidémocratique en disposant pour l'exercer de toutes les manettes institutionnelles. Ce que beaucoup d'entre eux ont déclaré craindre si Beji Caïd Essebsi, l'octogénaire candidat dont le parti Nidaa Tounes a remporté les législatives, gagne la présidentielle, ce que les sondages donnent pour apparemment acquis. Leur soupçon n'est pas sans motif au vu que ce candidat sous prétexte de barrer la route au parti islamiste Ennahda a fondé et conduit une formation «gobe tout» dans laquelle les tenants du régime Ben Ali se sont engouffrés en force. C'est pourquoi cette fois encore ils risquent de démentir ces sondages dans un esprit de préservation des équilibres au sein du pouvoir qui va être en charge pour les prochaines années de la conduite du pays. C'est là une éventualité qui n'est pas à exclure au constat que Beji Caïd Essebsi qui a caracolé dans les sondages loin devant ses concurrents aux premières semaines de la campagne électorale a vu en fin de celle-ci son écart se réduire abruptement par la remontée effectuée par son principal rival le président de la transition sortant Moncef Marzouki. Lequel a d'ailleurs axé sa campagne sur deux arguments contre son adversaire, qui portent en Tunisie post-Ben Ali, à savoir qu'Essebsi n'a pas été contrairement à lui un acteur de la révolution du Jasmin et qu'il serait la figure de proue d'une contre-révolution à laquelle rêvent les nostalgiques du règne Ben Ali. Anticiper par conséquent sur ce que va être le résultat du scrutin d'aujourd'hui s'est risquer de se planter comme cela est arrivé lors des législatives aux politologues et autres experts qui croyant tout connaître de la Tunisie et de son peuple se sont avancés à donner les islamistes gagnants. La seule certitude est que les Tunisiens tiennent à la liberté et la démocratie qu'ils ont conquises de haute lutte et qu'ils sont maintenant le contre-pouvoir qui veillera à ce qu'il n'y soit pas porté atteinte.