Evoquer le mois de carême en Algérie c'est revenir à des statistiques qui effrayent. Qui poussent à une réflexion plus en profondeur de la société qui se perd de plus en plus dans un inextricable mouvement de destruction. Le constat est appuyé par les chiffres de la délinquance, de la petite criminalité, des cercueils sur roues et de la facture effarante du gaspillage ménager. Censé être le mois de piété, de miséricorde et d'austérité, le Ramadhan algérien s'est mué en un espace de violence urbaine qui frise la démence. Transgressions des codes, des tabous, intolérance, course vers un profit circonstanciel, le Ramadhan est devenu par la force des exacerbations un mois de tous les dangers. Au lieu d'apaiser les esprits et de cultiver le pardon, le jeûneur algérien laisse libre cours à ses instincts les plus refrénés et s'inscrit dans une logique de bras de fer avec le voisin. Une épreuve qui finit rarement bien et les chiffres des morts sur les routes ramadhanesques renseignent sur cet état d'esprit même si le nombre de tués a baissé sensiblement ces dernières années. Mais un mort, c'est un mort de trop, le jeûne, s'il est convenablement pratiqué, doit pousser les gens à davantage de modération, à plus d'ouverture vers autrui, ce qui n'est malheureusement pas le cas dans beaucoup de circonstances. Le Ramadhan algérien c'est aussi cette propension à la surenchère alimentaire. L'Union des commerçants algériens avance le chiffre de 500 milliards de centimes de denrées alimentaires jetés aux poubelles durant ce mois sacré où l'œil est plus vorace que l'estomac. C'est aussi l'occasion pour certains commerçants, dont le scrupule et l'honnêteté ne sont pas les plus grandes vertus, de s'enrichir en affolant la mercuriale au détriment de l'entraide sociale. Le Ramadhan a toujours été caractérisé par une flambée des prix que l'Etat, malgré toutes ses trouvailles parfois apparentées à du bricolage, ne peut endiguer. Qu'on dise une bonne fois aux commerçants qui profitent de ce mois pour multiplier illicitement leurs recettes qu'ils feraient mieux de prendre leur petit-déjeuner avant de sortir tirer sur les consommateurs. Ce mois, c'est également celui du couffin synonyme de la misère sociale. Si l'intention est louable, la forme est à revoir pour éviter à ces familles dans le besoin et les autres, plus opportunistes que jamais, de se bousculer devant les mairies et de se donner en spectacle. Qu'on leur préserve leur dignité et qu'on distribue à domicile ces denrées objet de tous les trafics. Mais heureusement que le Ramadhan en Algérie n'est pas seulement ça. C'est l'esprit de solidarité qui est ravivé, cette peur de manger alors que le voisin souffre et ces restaurants de la rahma qui s'ouvrent un peu partout pour accueillir l'indigent et le voyageur.