Quel supplice que de ne pas savoir où on va ! Quelle torture que de se rendre compte chaque matin en se regardant dans le miroir qu'il est vain de tenter de se tracer un itinéraire pour donner un sens à sa communauté et pour arracher enfin une signification à son pays. A sa vie. Mortels terrains que tous ces espaces communs soumis dans la contrainte au partage mais où tous ceux censés être des semblables avant d'être concitoyens se gargarisent de faits et gestes insensés. L'Algérien n'y est pour rien. C'est la pâte avec laquelle il a été pétri qui est en cause et c'est le moule dans lequel il a été encastré qui est à incriminer. On ne lui a pas appris comment germe une plante et on ne lui a pas enseigné comme sont construits une route et un pont. On ne lui a pas inculqué la force du levain pour féconder le pain. On lui a juste fait miroiter les bienfaits de la gandoura pour qu'il s'astreigne à ne regarder que le bout de son orteil pour que la philosophie de sa voie soit une démarche par tâtonnements. Les états civils déglingués offrent une panoplie de citoyennetés effacées. Les administrations et les guichets de poste érigés en forteresse recommandent dans des moments de détresse de faire appel à l'échafaud ou au peloton d'exécution pour que la droiture et les intelligences retrouvent leurs places et pour que la civilisation ait un sens. Et tant pis pour les velléités et les remontrances élaborées comme littérature sur une fine démocratie aujourd'hui dépassée car elle ne suffit plus à accorder son plein droit à un malheureux retraité qui fait le pied de grue en vain devant un bureau de poste pendant une semaine pour retirer ses deux sous. L'Algérie se morfond dans un palier bien bas que celui qui lui siérait pour espérer renouer avec de justes normes. Le règne de la forfaiture et des suicides des âmes a encore de beaux jours devant lui. Les Algériens pataugent dans une drôle de crasse comportementale et le plus curieux est qu'ils se satisfassent avec une jouissance inouïe de cette phénoménale inconséquence. De quelle paix sociale doit-on alors oser parler quand la gadoue est prenante jusqu'au cou ? Quand le supplice quotidien de ne pas savoir où on va atteint un point de non-retour ?