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Une crise politico-sociale sans précédent
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 09 - 07 - 2015

Les tragiques événements qui bouleversent Ghardaïa risquent de plonger la région dans un profond marasme dont les conséquences politiques, économiques et sociales seront difficiles à supporter.
L'on se rappelle que le passage du Premier ministre dans la région l'année dernière pour animer un meeting électoral au titre de l'élection présidentielle a été marqué par des émeutes provoquées par les Chaanba. Prêts à en découdre avec tout le monde, les émeutiers avaient tenté de bloquer le cortège officiel de Sellal qui est sorti rapidement de la salle omnisports où il avait prononcé une très courte allocution devant une poignée de personnes. Une fois le 1er ministre parti grâce au cordon sécuritaire constitué par les brigades d'intervention, les émeutiers, enragés, se sont retournés contre les journalistes en les empêchant de sortir de la salle. Il a fallu plusieurs heures de surveillance et un énorme déploiement des forces de l'ordre pour qu'ils puissent sortir et rejoindre l'aéroport sans trop de dégâts. Paradoxe des temps et des événements, Sellal avait ce même jour, rendu visite aux habitants de Beni Yezguen. Tout était en ordre. Les Mozabites lui avaient réservé un accueil chaleureux. La rencontre s'était passée au cœur même de la vallée du M'zab dans un climat des plus convivial. C'est peut-être ce contact bref et serein entre Sellal et les notables de plusieurs tribus mozabites qui a rassuré les gouvernants.
Il est pourtant aujourd'hui admis et constaté que la vallée du M'zab se débat dans une crise politico-sociale sans précédent. Les terribles émeutes, échauffourées, jusqu'aux nombreux soulèvements qui émaillent le vécu des habitants de la wilaya de Ghardaïa depuis plusieurs années, ne semblent pas de simples «événements conjoncturels ». Il suffit de constater et de compter depuis hier le nombre de morts pour en déduire que la région échappe à ses propres notables dont la notoriété et la sagesse ont pourtant très souvent apaisé les esprits les plus rebelles. L'Etat ne peut plus ainsi se contenter d'organiser des réunions de «solh» (réconciliation) durant lesquelles Mozabites et Chaanba se serrent la main et se dispersent dans le calme. Ce qui se passe à Ghardaïa depuis quelques jours, est d'une gravité intolérable. C'est le pourrissement.
LE TEMPS DU « SOLH » ENTRE LES NOTABLES EST REVOLU
Les temps ont changé. Ce sont de nouvelles générations qui s'affrontent. Les habitants de la région reçoivent les échos et même plus de se qui se passe juste aux frontières du pays. La région pourrait -si elle ne l'est pas déjà- devenir un réceptacle de la violence qui sévit en Libye et autres régions frontalières même si les distances entre les unes et les autre parties ne sont pas moindres. Rien n'est ni loin ni impossible. C'est l'instantané qui fait les « révolutions, renverse les dictatures et envahit les pays » Ce que le gouvernement ne semble pas saisir, lui qui continue de faire valoir et de s'appuyer sur des approches et schémas obsolètes, dépassés et désuets. Il continue de croire à une « mossalaha » dont les acteurs historiques perdent eux-mêmes pied face une crise aussi complexe. Nous avons bien entendu l'année dernière des Chaanba revendiquer « la récupération de la vallée du M'zab, parce que, nous avaient-il dit, elle nous appartient, les Mozabites sont venus dans la région bien après nous ». Règlements de compte, manipulations, susceptibilités tribales, peu importent les causes de cette monstrueuse « fitna », l'Etat n'a pas compris que Ghardaïa risque de dégénérer plus vite et plus loin que ses gouvernants ne le pensent. Face à ce drame et jusqu'à l'heure actuelle, le gouvernement réagit avec une mollesse hallucinante. Il continue de minimiser des événements criminels qui ont dénaturé jusqu'à la stratification sociale des populations autochtones et le modèle sociologique de la région. La communication publique sur ce qui se passe à Ghardaïa est d'une incohérence honteuse. Au-delà des quelques images qui ont été montrées mardi dernier à la télévision publique regroupant les responsables militaires de la région aux notables de la vallée, hier les journaux télévisés publics n'ont pas jugé utile de relater clairement ce qui se passe à Ghardaïa. Pas d'envoyés spéciaux, pas d'analyses, pas de débats contradictoires. Permettre à la parole de s'exprimer peut en évidence, aider à soulager les âmes en souffrance. A 15h, le journal télévisé public a fait part «de 15 morts (le bilan s'est alourdi à 22) suite à des échauffourées, d'actes de vandalisme, de déploiement des forces de la Gendarmerie nationale». Sans plus.
LES LOIS DE LA REPUBLIQUE DANS TOUTE LEUR RIGUEUR
L'on relève que les médias télévisuels publics reviennent depuis deux jours sur le rapport américain de 2014 sur les droits de l'homme dans le monde dont le contenu a bien titillé l'ego des décideurs algériens. Reste que 22 morts à Ghardaïa sans en éprouver le besoin d'analyser le pourquoi du comment du crime, de mettre au courant l'opinion publique pour sensibiliser davantage sur les risques de violence et de détérioration de la sécurité et de la stabilité du pays, est pourtant d'une importance cruciale. Dès qu'il y a mort d'homme, les pouvoirs publics se doivent d'en informer les populations dans le détail, avec tous les moyens de communication qu'il faut. Il y va de l'éveil « organisé et canalisé » de tout un peuple.
Prisonnier de ses approches et réflexes des vieilles générations, le gouvernement continue de distiller un optimisme béat sur ses réalisations, ses projets et, au passage, le renforcement d'un front national pour faire barrage « aux visées déstabilisatrices de la main de l'étranger ». Les responsables de la communication institutionnelle osent toujours ouvrir les journaux télévisuels publics avec des remises de clés de nouveaux appartements AADL, des youyous des femmes des familles qui les reçoivent. Mais ils passent les morts de Ghardaïa en dernier, sous forme de faits divers. Constitutionnellement, l'acquisition d'un logement est un droit. Constitutionnellement aussi et surtout, l'Etat est responsable de la sécurité des personnes et des biens. A Ghardaïa, il y a mort d'homme. Le déplacement hier du ministre de l'Intérieur dans la région ne suffit pas. Les forces habilitées à rétablir l'ordre et à contrôler les espaces publics et privés doivent agir le plus rapidement possible loin de toute démagogie. Les gouvernants ne doivent pas à cet effet confondre impératifs du maintien de l'ordre et la préservation de vies humaines et atteinte aux droits de l'homme. On sait qu'ordre a été donné à tous les agents de sécurité de ne toucher aucun citoyen quitte à se forcer jusqu'à ne pas séparer deux jeunes qui se battent, à ne pas violer des espaces privés pour récupérer des armes. La gestion d'une crise aussi dramatique et complexe que celle de Ghardaïa ne doit pas se plier à de simples états d'âme, à de faux-fuyants ou à d'absurdes faire-valoir. Un conseil du gouvernement extraordinaire devrait se tenir sur place. Il doit appliquer les lois de la république dans toute leur rigueur. Quitte à décréter l'état d'urgence…


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