La situation est grave. Les ténors de la politique nationale, leaders des partis de l'opposition, plus précisément, nous le disent. Bien. C'est, en fait, ce que pense le citoyen qui n'est ni observateur patenté, ni militant d'aucun parti politique, quelqu'un de simple, comme vous et moi, qui rencontre ses amis ou amies, achète et lit son organe de presse préféré ou regarde son programme de télévision. Pas besoin, donc, de professionnels de la politique ou ex quelque chose, en rupture de ban, pour faire ce constat. Dire cela, en clair, ne dépasse pas le panier de la ménagère, au retour de son marché qui, elle, raconte mieux les choses de la vie. La situation est grave reprennent les experts et universitaires. A l'inverse des politiques, ces derniers, dans des groupes de travail, souvent informels ou formels, comme Nabni, argumentent, avancent des chiffres. Ils se décarcassent même pour avancer des solutions. En étudiant leurs textes, je me demande si, dans les ministères et les sociétés nationales celles que l'on n'a pas encore désossées, dont on n'a pas, encore, brisé les os, pour que des prédateurs sucent leur moelle - il existe des fonctionnaires chargés de faire des synthèses de ces écrits, pour alimenter d'idées leurs ministres et décideurs. Et, s'ils existent, si les hommes au pouvoir prennent le temps d'en prendre connaissance. Mi-janvier 2013, ce fut le réveil. Le président du Conseil national économique et social, M. Mohamed Seghir Babes, assurait, au cours d'une conférence de presse que son institution a «été, officiellement, saisie par le Premier ministre pour émettre des propositions à même d'inverser les courbes de l'Economie nationale plutôt descendantes». On a cru, un moment, mais un moment seulement, que l'Algérie, et tout ce qu'elle tient pour des «intellectuels», allait se réveiller et redresser ses neurones. Optimisme excessif. La sortie du coma fut brève. Le réveil, brutal, ne fut pas pour convaincre l'autorité que les nuages à l'horizon sont sombres et qu'ils vont dévaler sur le pays. On nous rassura. Jusqu'à ce que la présidence de la République annonça l'ouragan. Et depuis, c'est devenu un fait avéré, puisque confirmé d'en haut. La crise est en vue. A nos portes. La situation est bien grave, donc, puisqu'elle fait l'unanimité. Nul ne peut s'en réjouir. Cependant, on ne peut pas dire qu'elle n'était pas prévisible. Nul n'ignorait que les prix du baril, à plus de 100 dollars, allaient durer tout le temps. Nul n'ignorait que nous n'étions qu'un spectateur dans le champ décisionnel au sein de l'OPEP. Et que l'OPEP, et son pétrole, ainsi que les prix des matières premières, ça se négocie ailleurs, à la corbeille de Londres, New York, Hong Kong, suivie de Paris. Il est loin le temps où un Belaid Abdeslam, ministre de l'Energie, était traité, par les pays consommateurs, d'égal à Zaki Yamani, le ministre saoudien des pétroles qui représentait dix fois la production d'or noir de l'Algérie. Avec la complicité des Etats-Unis, bien entendu. Avec ou sans, cette fenêtre fut utilisée pour renforcer la Sonatrach, créer le complexe sidérurgique de Annaba, engager une réforme agraire, lancer la gratuité de la médecine et semer des universités à travers le territoire nationale. Et bien d'autres choses encore. Pour tout cela, il a fallu un triplement du prix du baril. Pas plus. A l'époque, pendant que l'Algérie s'édifiait, le président du Nigéria,Yakubu Gowan, lançait : «nous avons, tellement, d'argent que nous ne savons pas quoi en faire». Les apprentis prédateurs s'en sont chargés. Exactement ce qui nous est arrivé avec un baril au-dessus de 100 dollars. Soudain, une génération d' «entrepreneurs» vit le jour. Ils seraient plus de 3.500 millionnaires, nous dit-on. Quand je répète ça, à mes proches, fatalistes, ils me répondent «Allah izidhoum». Je ne suis pas contre comment pourrait-on l'être ? mais à la condition qu'il y est «retour sur investissements». Qu'ont-ils produit, ces pseudo entrepreneurs, qui auraient réduit la spirale infernale des importations ? Des aspirateurs de dinars convertibles. Et où sont passés ces milliards ? Qui contrôle qui et quoi ? La Cour des Comptes, qui fut mise sur pied pour régler des comptes politiques, et la mise à l'index de ministre - qui espère toujours que ses rapports seront un jour pris au sérieux publiait un rapport, en 2014, dans lequel elle assurait que c'est l'Etat qui abusait des comptes spéciaux. En outre,elle dévoilait l'«existence», si l'on peut dire, de réalisations fantômes. Dans une de ses livraisons, le quotidien électronique Tout sur l'Algérie', TSA, nous apprenait ainsi que 130 millions de dinars ont été accordés «à 5 théâtres régionaux se trouvant dans les wilayas de Ouargla, Tamanrasset, Djelfa et Mostaganem», entités qui «n'ont pas de trace sur le plan juridique». D'existence légale, peu me chaut, dit-on. Dans la même veine, bibliothèques et centres de rééducation, foyers pour personnes âgées «ont reçu des subventions sans existence légale». Lecture intéressante qui nous apprend, également, que des ministères n'avaient pas consommé des fonds qu'ils avaient pourtant réclamés. En fait, donc, tout le monde avait en tête cette prévisible inversion du marché. Même le gouvernement. Question d'années. Celles qui nous permirent de jeter l'argent par les fenêtres pour atterrir dans les comptes d'une oligarchie. Qui se lia au capital international. Qui osa édifier un monument, à la gloire du Chahid, par un entrepreneur canadien. Le comble. Depuis, nous suivons le courant. Le «main stream». Qui serait responsable de la situation ? Le président ? Son Premier ministre ? Le gouvernement ? L'armée ? Les prix du baril de pétrole ? Les Oligarques, ou bien tout ce monde là, comme l'indique, indignée, l'opposition hier au pouvoir, pour certains - ? Non pas. Les responsables tiennent en deux mots : Nous tous.