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L'investissement culturel
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 03 - 12 - 2015

Il va cette fois-ci « investir » l'acte culturel. Des théâtres, des salles de cinéma, des arènes de festivals, des ateliers de beaux arts vont peut-être subir la bourse du dinar. Qui peut nous dire quel est l'engagement politique de la politique culturelle algérienne ?
Oui au marché des arts et de la culture que l'on veut installer. Mais, il doit se faire sans compter sur le sou de l'Etat. Les vaches laitières ne sont plus de ce monde. La crise est aussi dans le papier, dans le son et dans la poterie. L'argent, cette implacable loi de l'offre et de la demande vient à point nommé investir ou s'investir dans l'acte culturel. Apres l'accaparement des squelettes de la société nationale, des décombres de la révolution agraire, de la politique, de la mémoire, de l'histoire le voilà camper dans la créativité et l'innovation. Belle aventure pour un avenir prometteur dit-on !
La culture est-elle chez nous simplement une chose dépensière et politique, ou bien un complément d'objet direct à un palais ou à un ministère ? Ce qui caractérise avant tout un pays c'est son optimisme foncier à l'égard des capacités culturelles d'abord de la génération actuelle et ensuite, inévitablement des générations d'avant. Ce qui défait les valeurs d'une société ne peut provenir que d'un système dont la tendance, en vue d'un parrainage négatif vise à museler son génie culturel et tenter de le moudre au travers d'un appareil trop administratif pour s'occuper de ce qui est culture, art et créativité.
Rendre la fonction de production littéraire, artistique et de tout ce qui gravite autour à de simples institutions organiques, la controverse ne mérite point d'être soulevée. Car peut-on imaginer que l'on puisse guider par décret ou arrêté l'itinéraire sur une toile du pinceau d'un artiste-peintre confus dans la pluralité de ses couleurs et enfouis dans les nuances de sa palette ? Peut-on de la sorte ordonner, si l'appréhension demeure possible ; à la muse d'un poète de ne plus tarir d'éloges à l'égard d'un régime, d'une personne ou d'une politique ? Etait-ce possible à un parolier, comme à son interprète, l'un d'écrire l'autre de chanter, à la commande circonstancielle, les louanges d'une révolution agraire ou la joie à l'obtention d'un trousseau de clefs mettant fin au calvaire agricole d'une crise logementale ?
On savait d'avance à quoi aboutirait une telle démarche dans la gestion de l'outil intellectuel. Elle ne pourrait surpasser le stade de la circonstance, donc n'aspirant point à un devenir radieux et rayonnant. Voyons les cultures anciennes ; qu'en reste t-il en fait comme legs à l'humanité ? Le portrait de la Joconde en fait dire sur de Vinci plus qu'il en dit sur Mona Lisa. Nedjma en fait autant pour Yacine que pour l'énigme algérienne. Ainsi l'œuvre fait certes connaître son auteur mais s'éclipse vers la gloire au profit de son maître. Comme par magie et détours l'œuvre grandiose ne peut obscurcir l'identité talentueuse de celui qui fut son inventeur ou son géniteur. Les pyramides sont toujours là, la mosquée d'El Hambara également. L'œuvre subsiste à son auteur et résiste à l'oubli tant qu'elle s'élève altière à travers les âges ou entre les pages s'agissant de chef d'œuvres. Saint Vidal est presque inconnu de tous et pourtant il fut l'auteur de Ain Fouara sculpture monumentale à la mesure de la ville qui elle demeure connue de tout un chacun qui aurait eu à traverser la cité depuis 1889 ou l'aurait reçue en carte postale.
Paradoxalement la culture politique peut entraîner, sans œuvre apparente ni talent matériel, des faits inoubliables et ancrées dans les mémoires humaines que même le temps est incapable de ne pas s'en souvenir. Les goulags, les tortures, Guernica etc.…en sont les preuves inexistantes de l'état culturel néfaste prévalant à chaque période nommée. Le nazisme était outre une légalité, un état de culture nationale qui emballée sous divers récipients en donnait la propagande du Reich. Chez nous la révolution agraire se voulait une culture populaire au sein même de la révolution culturelle. La masse laborieuse en était l'étendard et l'élite formait déjà l'élite. Nonobstant les tares des uns et les angoisses des autres ce fut quand bien même un temps où il faisait beau de parler culture. Le théâtre, le ciné-club, la cinémathèque, les récitals poétiques avaient eu lieu un certain moment, contrairement à nos jours où le théâtre n'existe que par la battisse qui abrite sa direction, et qu'en somme la culture n'existe qu'en termes de bons de commande. Nous voila maintenant ; présents pour voir venir des gens qui vont construire des théâtres, comme ils l'on fait pour des hôtels et y apporter le nom de leurs géniteurs. Qui peut nous dire quel est l'engagement politique de la politique culturelle algérienne ?
De nos jours, chaque jour qui passe, voit passer avec, un passé vide et creux, sans ombre ni teint, fade et insipide. La toile d'araignée gagne les sièges des loggias et des balcons de nos enceintes culturelles. Elle ne disparaît que le temps d'un meeting dit populaire en des occasions données. Toutes les salles continuent de perdre la raison de leur vocation. La politique se fait donc au cinéma, le monologue et la chanson au stade! Dure culture ! Tout à l'air de confirmer qu'il n'y a pas chez nous de culture ou de politique culturelle sinon qu'une simple politique de culture, une stèle à la mémoire d'un artiste inaugurée par là ; une autre par-ci et c'est tout. Cependant l'espoir est de mise, quand l'on voit un jeune ministre, écrivain et épris de sa passion, se passionner davantage pour donner un sens à ses missions, une trajectoire à son département. Mais que peut-il faire, lui ou un autre quand
Ce qui nous manque c'est une politique de la culture voire une politique dont l'essence culturelle l'emporte profondément sur tous les autres sens pour finir d'avoir l'essence la plus apolitique. Quel est le taux de dépenses dans un ménage engagées dans la satisfaction des besoins culturels ? Comment pouvoir assurer le retour des familles aux cinémas et devant les scènes de théâtre ? Quel est l'ouvrage le plus lu dans le mois ou dans l'année et combien de livres nos citoyens dévorent-ils par an face au nombre à déterminer de baguettes mâchées puis avalées ? Je me rappelle feu Boumediene disait à l'occasion de l'ouverture de l'une des nombreuses foires du livres que « le livre doit égaler le pain » Boumediene soutenait le livre, sachant bien sa valeur et son rapport prix-investissement, il n'encourageait pas l'importation de bananes.
L'édition est devenue plus perverse que ne l'est le créneau de l'import-export. Elle ne rougit point dans les recoins de la magouille et de la manipulation. Elle obéit évidemment à la loi du marché mais fait son marché en dehors de cette loi. L'on édite l'auteur et rarement l'œuvre. Les navets et le peu de best-sellers pullulent sur les étagères très peu fréquentées de quelques libraires, au moment où somnolent des merveilles dans les ténèbres des tiroirs de ceux à qui l'édition sans tracas est une autre œuvre difficile et impossible d'accomplir. L'Etat ne doit pas soutenir la fabrication du livre, il doit appuyer sa lecture.
Bonne chose est que tout le monde se met à écrire. Bonne œuvre est que tout le monde se doit de lire. Mais que chacun fasse dans son giron la mélasse qui anime ses tripes. Si le général écrivait sur l'armée, le médecin sur ses pathologies et l'idéologue sur sa politique, le lectorat aurait la latitude d'apprécier à juste titre les écrits ès-qualité. Mais tout baigne dans « el boulitique ». L'écriture n'est pas l'apanage d'une caste ni le monopole exclusif d'une union et encore moins d'individus que la conjoncture évidemment politique de ces derniers temps leur servait de tremplin vers la sphère des clubs ou des plateaux, qui par fonction, qui par rapport pouvoir-opposition.
Pour une certaine école de la pensée managériale, une fonction ne doit pas miroiter le profil d'un diplôme et c'est l'œuvre tout genre confondu qui devrait refléter la compétence et le mérite et attester authentiquement la véracité des mentions portées sur le dit diplôme. A-t-on des ministres auteurs de un, trois ou quatre ouvrages ou manuels dans des matières prévalant le domaine ministériel qu'ils gèrent ? Nos ministres, nos dirigeants et nos opposants ont rarement eu le temps de se consacrer à mouler leurs réflexions, ou transcrire leurs appréhensions au cours de leur exercice du pouvoir. Rarement sont ceux qui le font une fois out le sérail. Que l'on ne vienne pas nous radoter une fois de plus le spectre de l'obligation de réserve ! Car, si par exemple le ministre de la communication édite en son nom un opuscule sur « l'avenir de la communication en Algérie » ou si M. Bouchouareb le fait aussi sous le titre de « l'industrie : enjeux et défis » je ne pense pas que Bouteflika les savonnerait pour ça. Attendent-ils leur éviction pour le faire ? Enfin, nous attendons toujours de lire ce que pondront ceux qui les ont bien précédés.
La société avait été de tout temps entremêlée dans un schéma culturel tel que le voulait le pouvoir. L'expression de la richesse nationale intellectuelle n'a cessé de se débattre dans les diverses options qui allant de la langue jusqu'aux sources d'inspiration. On y oppose francophonie à « arabophonie ». Occidentalisme à orientalisme. Mais sans se soucier de se demander où se trouve notre grain d'algériannité. Il n'est pas permis de s'aventurer dans ces aspects, au motif que les susceptibilités sont plus pernicieuses que si l'on parlait de nationalisme et d'amour de la patrie. Ce conflit qui en sourdine fait ravage dans les rangs des décideurs culturels, est, outre l'obédience idéologique l'un des handicaps majeurs dans la scoliose de cette « ossature » culturelle. Nul n'en demeure à l'abri de l'étiquetage philosophique (baâthiste, trostkyste …) et parfois par mégarde intellectuelle ou à bon escient tactique, recours est fait à l'opprobre et l'indignité ( hizb franca) ou détention d' «intérêts étrangers» (massalah adjnabia).
Les Mohamed Dib, Feraoun, Assia Djebbar, Rachid Boudjedra, Yasmina Khadra et Mimouni ou les Ouettar , Larbi Dahou ou Mihoubi sont nés Algériens, leurs œuvres aussi. Le vocabulaire et la syntaxe sont différents, l'action, le drame et la tragédie sont les mêmes. Tous pleurent les déboires du pays et tous produisent ensemble le gène générateur de la fécondité nationale et universelle.
Même la loi ou à vrai dire ses prétoriens légaux ne font de la culture qu'un service administratif chargé d'animer, tambours battants les soirées ramadhanesques ou accroître le bruit métronomé sur les accotements des boulevards lors des visites officielles. Ces dépositaires de l'autorité légale de l'Etat rencontrent le plus ou moins souvent la culture dans les maisons et les palais dits de la culture seulement lors des séances d'ouverture de « salons de l'investissement » « journées cinématographiques » « semaine des arts folkloriques» etc. juste le temps de se vautrer dans les premiers rangs sur les fauteuils veloutés des palais …de la culture. Dans ces palais il y a tout. L'on y organise tout ; du politique, de l'économique à des symposiums sur le sida et la lutte anti-tabagique, enfin tout. Rarement la culture en ses nobles dimensions. Si le contraire arrivait à se produire c'est que l'organe administratif de la gestion culturelle est bien huilé. Public trié, invité et parfois sans rapport aucun avec l'objet de la manifestation. On ne peut introduire un esprit hautement culturel dans une tête totalement rivée sur le béton armé, le ferraillage ou le LSP.
Dans une autre version, la perversion qui s'empare de l'art musical se cache bien sous le sobriquet fourre-tout de la culture. Si la zorna est notre lyre et la flûte notre harpe ; leur emploi n'est plus une source d'inspiration ou de verve mélodieuse. Ce qui est sûr c'est que la liberté dans la culture se confond goulûment au goût de la dépravation et s'éloigne de l'idéologie. Il est temps de se ressaisir pour établir de studieux rapports culturels entre les différents segments de la société.
Il n'est pas dit, qu'il faudrait proscrire l'injection de l'argent dans la culture. L'on se limite juste à dire que le sou ne doit plus être le souci primordial dans la création d'une œuvre. Et que par contre, il appartient à cette œuvre de pouvoir créer à son tour et à ses alentours de la richesse. L'industrie « culturelle » n'est pas de produire des pots de céramique ou d'argile à l'aide d'outils mécaniques et dire que nous mécanisons l'artisanat. Encourager le mécénat, susciter une périphérie de sous-traitance gravitant autour de l'acte culturel est aussi un atout de financement. En somme si l'argent ne doit pas conquérir le marché des arts et de la culture, l'Etat ne doit pas y faire ses emplettes. Il n'a de charges en ce sens que celles de la régulation, de l'encadrement et de la pose des garde-fous.


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