Pour lutter contre les flux migratoires, l'Europe veut créer un nouveau corps commun de gardes-frontières et gardes-côtes à ses frontières externes et propose à la Turquie le rôle de gendarme à ses frontières Est. Cependant Pour faire face à la crise des migrants qu'elle vit, l'Union européenne (UE) a mis en place une stratégie qui a montré ses limites par le passé récent : le renforcement des contrôles des flux migratoires à ses frontières externes (et conjoncturellement aux frontières internes) et l'appel à la collaboration d'Etats tiers frontaliers de l'Europe. Ainsi, l'agence européenne «Frontex» sera, selon la proposition annoncée, la semaine dernière, de la Commission européenne, remplacée par un «corps commun de gardes-frontières et gardes-côtes, en poste aux frontières externes de l'UE et sur un autre plan, relancer le processus d'adhésion de la Turquie, à la famille européenne, après que ce pays ait accepté de servir de barrage aux migrants et réfugiés, fuyant les guerres en Syrie, Irak, Afghanistan Ces deux mesures sont décrites comme exceptionnelles, exclusives, sûres qui protégeront l'Europe de la «menace de la vague migratoire» qui la déstabilisent tant. Sauf qu'il n'y a rien d'exceptionnel et de nouveau dans ces mesures. Quelle différence «opérationnelle» et stratégique y-a-t-il entre l'agence «Frontex» mise en place depuis 2004 et le nouveau «corps de gardes-frontières», annoncé par la Commission européenne ? L'efficacité de Frontex, lors de l'aggravation de la crise des migrants, au lendemain de la guerre en Syrie, a été mise à rude épreuve et l'agence n'a pu contenir la vague des migrants et encore moins sauver un maximum de naufragés. Et pour cause : les Etats membres de l'UE ont rechigné et rechignent, encore, à la doter de moyens adaptés à sa mission, elle, exceptionnelle. 114 millions d'euros de budget pour Frontex en 2015 ! Une goutte, c'est le cas de le dire, dans l'océan de détresse vécu par les victimes des guerres. Sur le plan des effectifs humains, idem. En pleine crise de réfugiés naufragés en Méditerranée, l'appel aux Etats membres pour un surplus de 700 hommes n'a pu être satisfait. A peine la moitié de l'effectif demandé a été pourvu. Du coup, on imagine les coûts financier et humain qu'exigera la création de ce nouveau corps de gardes-frontières européen. Par ailleurs, et au plan juridique, sur quel argumentaire l'Europe va-t-elle légitimer les arrestations, gardes à vue, voire emprisonnements de migrants, par ce nouveau corps commun de gardes-frontières ? Parce qu'il lui faut un cadre juridique «international» et dieu sait combien le droit international est fastidieux, compliqué et différemment interprété par les Etats. En outre, il n'est pas exclu que des Etats de l'UE brandiront le sacro-saint principe de la souveraineté nationale, en matière de sécurité et de gestion des flux migratoires. C'est déjà le cas aujourd'hui. Bien sûr, le principe de la création de ce corps commun de gardes-frontières et gardes-côtes est, en soi, légitime et logique eu égard à la construction de l'Union européenne en tant qu'ensemble de vie commune pour plus de 550 millions d'habitants. Malheureusement il prêche, plus, par volontarisme politique de la Commission européenne que par la sincérité des Etats qu'elle représente. Quant au deuxième volet de cette stratégie de lutte anti-migratoire, soit la «cour» faîte à la Turquie d'une promesse de son entrée dans l'UE contre son rôle de gendarme aux flux des réfugiés de guerre et de misère, il montre tout l'opportunisme politique calculé, autant de la Turquie que de l'Europe. Parce qu'il faut expliquer pourquoi les négociations avec la Turquie sur son adhésion à l'UE ont-elles été interrompues au chapitre 12 (sur 25), depuis 2005 et pour quelle raison l'Europe souhaite les rouvrir de nouveau ? Y a-t-il eu depuis 2005 un changement du régime politique en Turquie ? N'est-ce pas l'actuel président, M. Tayyep Erdogan qui a mené les négociations en tant que Premier ministre, depuis 2003 ? Et puis faut-il rappeler qu'il faudrait l'unanimité des membres des 28 Etat de l'UE pour l'adhésion de tout nouveau autre Etat ? Et la Turquie croit-elle, vraiment, que la France qui a manifesté son opposition à l'adhésion de la Turquie ou des pays comme l'Autriche et presque la totalité des 14 pays de l'ex Europe de l'Est changeront d'attitude, dans les 20 années à venir ? Là aussi, il faut bien comprendre que l'Europe, autant que la Turquie, jouent ensemble une partition diplomatique d'une rare hypocrisie politique : la Turquie pour ses intérêts économiques (plus d'ouverture dans l'accord douanier qui la lie à l'UE, depuis 1963) ; pour le soutien du peuple au régime d'Erdogan (promesse de l'entrée dans l'UE) et aussi pour la gestion de sa crise politique, en Syrie, face à la Russie. Cerise sur le gâteau, un chèque de 3 milliards d'euros accordé par l'Europe. Quant à l'Europe, l'aide la Turquie dans son rôle de barrage aux flux migratoires lui permet non seulement d'atténuer l'arrivée de nouveaux migrants chez elle ; de lutter contre le sentiment d'insécurité (risque terroriste notamment) ; de calmer son opinion publique et de couper l'herbe sous les pieds des partis d'extrême droite (confer. La montée des partis populistes en Europe). L'inconvénient dans cette stratégie européenne de lutte anti-migratoire est qu'elle se fixe, comme toujours, sur les effets et non les causes profondes des phénomène de migration massive que sont les guerres, les misères et le déséquilibre croissant, dans ce grand marché économique mondial en défaveur des pays pauvres ou en voie de développement, le réchauffement climatique Mais cela est une autre histoire. Il faut juste retenir que l'Europe est en droit de se protéger du fléau migratoire, jusqu'à s'élever en forteresse, hors de ce monde en bouillonnent, telle une forteresse imprenable.