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Les médiocres ne se mangent pas entre eux
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 17 - 12 - 2015

« Les princes médiocres ne tolèrent qu'un entourage de flatteurs qui leur dissimulent leur médiocrité. » (Citation)
Les références intellectuelles et la culture dans notre propre contexte sont une nécessité sociale plus que l'exigence du pain. Si par hasard, on se remettait à lire conformément aux percepts de ce que nous dicte notre religion et aussi à penser normalement selon une rationalité économique, à pouvoir donner plus de sens aux valeurs universelles, aux valeurs morales et religieuses et aux concepts scientifiques. Par contre, les Algériens vivent dans un autre contexte où ces notions nobles sus-citées sont balayées comme si elles étaient des faits insignifiants, c'est un nouveau terrain contextuel où le politique trouve son champ pour mieux mener sinon ensemencer par la rente son idéologie oligarchique.
Alors, l'Algérien se demande comment se situer avant de définir ce que c'est la médiocrité qui nous hante dans notre quotidien; les uns nous disent que c'est le milieu social, tandis que d'autres nous récitent que c'est le pouvoir qui nous administre, le régime qui nous dirige, le système qui nous manœuvre. Cependant, il y a aussi des intellects qui nous jaspinent autrement pour nous dire que c'est le moyen, le médian, le dérisoire, le minable, le passable, le piètre, le piteux… Ce sont ces significations qui dominent la pensée de ceux qui nous gèrent, régentent pour leur propre intérêt; ils sont des politiciens, des gestionnaires, des administrateurs, des directeurs et autres responsables…
C'est dans ce contexte pollué où est issue la médiocrité qui fait que la combine et la manigance font rage avec effet dévastateur. La plèbe, les partisans ou les pseudo-citoyens se font élire pour un programme plein de promesses mais ils en appliquent un autre vide de sens une fois élus en parlant des locales APC. Les vrais électeurs profitent par leurs absences lors des municipales pour protester contre le dégoût et leur colère de la mauvaise politique nationale. La majorité ne vote pas pour soi-disant exprimer leur refus, laissant la manigance, le truquage et bourrage des voix, le détournement des voix pour asseoir la véritable «médiocrité», c'est-à-dire laisser faire ce dont elle veut sans aucune vision, ni stratégie ni autre conception d'avenir, tout le jeu de cette médiocre politique est à courte vue au milieu d'un bricolage persistant et permanent de la nouvelle oligarchie.
C'est une nouvelle culture à l'algérienne arrosée avec du pétrole; il s'agit au fait d'une transformation de l'esprit créatif vers un esprit sédatif, calmant pour enfin devenir un esprit narcotique. Cet état de fait nous invite à ne pas trop penser comme disait J. Brel : « On ne pense pas Monsieur ! » Quand il s'agit de ne pas se situer un peu trop aux extrémités, il faut choisir le juste milieu, sinon le centre pour que rien ne soit mis à l'épreuve en faisant attention à nos convictions, penser mou avec trop de « dodo », très peu de « boulot » et tout le temps sinon beaucoup de « rien faire ». Pas d'invention, ni de transformation, tout doux comme un petit «bon… bon». Ne pas déranger et pas être dérangé sinon la révolution risque de s'éclater pour une remise en cause de l'ordre social, de l'ordre économique et de «ragda oua tmangie».
Il y a eu prise de pouvoir par les rentiers, la paix sociale veut que manger et consommer puis consommer et manger sans autres convictions socialo-économiques pour écarter toute pensée critique, étincelle de la révolution prolétaire ou bourgeoise sinon sociale.
L'incompétence est la nouvelle valeur des rentiers, et les piètres, insignifiants, ratés et passables se sont emparés du pouvoir via l'unique force organisée avec des colts et des cellules pour que la gueule se ferme et l'esprit se renferme.
Le résultat en fin de compte, au lieu d'aboutir à une démocratie, les rentiers ont choisi de mettre en place une «médiocratie». Au fait, c'est quoi une «médiocratie ?» C'est une forme de gouvernance, un modèle de pouvoir ou un style de régime où les standards de gouvernance sinon les normes requises sont impérieuses et devraient être la moyenne, ni bien, ni mal, ni supérieures, ni inférieures, c'est l'ordre médiocre dont il s'agit d'incarner.
Au fait, quelle est cette différence ou nuance entre «moyen» et «médiocre», en regardant de plus près ? Quand c'est « supérieur », c'est déjà la supériorité, pour quelqu'un d'«inférieur», c'est de l'infériorité et quand c'est «moyen», ce n'est plus la «moyenneté» mais bien la «médiocrité». Le terme «moyen» en général se dit et s'utilise lorsque quelque chose est mesurable, comme par exemple un résultat moyen, un salaire moyen, un homme de taille moyenne, une capacité moyenne qui veut insinuer un juste milieu ou une place détenue en son milieu, c'est en somme une échelle de valeurs (dont on a perdu le sens !!) tandis que la médiocrité est la moyenne dans les agissements, dans les actes et dans les démarches et événements (on a retrouvé le sens). Les agissements sociaux de personnes, des «ghachis» et de la population sont médiocres, ceci est un nouvel ordre érigé en modèle par les rentiers.
C'est bien ces derniers qui ont transformé les « métiers » créateurs de valeurs, une force de création de bien en «emplois» créateurs de salaires devenus un coût.
Les rentiers ont détruit les métiers, la conception de la profession et le travail devenu boulot qui s'est transformé en prestation. Les travailleurs devenus demandeurs d'emplois qui, de manière indifférente, passent d'un travail ou plutôt d'un emploi à un autre pour un salaire donné pour, enfin, subvenir à une subsistance. L'œuvre de la «médiocratie» se cristallise dans le domaine politique et permet d'effacer la saine gestion des institutions publiques, si au moins la conception du libéralisme pouvait mettre en œuvre l'application (gestion des entreprises privées) aux structures et mécanismes de l'Etat, les méthodes de gestion des entreprises privées supposées plus efficaces, efficientes et économiques (théorie des 3E). Cette nouvelle gouvernance émettant des chants de la « démocratie de proximité » oubliant la « démocratie responsable » ou le profit n'est qu'une rente pétrolière détournée vers d'autres classes (oligarchies) via les marchés publics.
Dans ce régime avec sa propre gouvernance, l'action politique est réduite à la gestion du petit spéculateur, ne possédant point les concepts de management, ni même accumulateur de capitaux (bonjour Monsieur K. Marx), c'est-à-dire la recherche d'une solution immédiate à un problème immédiat par le biais ‘'je te donne de la matière pesée, tu me donnes un autre prix de sa valeur qui n'est pas la sienne'', ce qui exclut toute réflexion basée sur des principes et fondée sur la règle de l'art. Devant ce régime rentier qui mène une drôle de façon de gouvernance, le peuple est invité à devenir de petits simples consommateurs au milieu d'un marché de biens de services, de travail, de finance… Etre médiocre, ce n'est donc pas être incompétent. Ce système, ce régime, ce pouvoir encourage l'ascension des acteurs du même clan, de la même famille, maladroit, ne fait pas l'affaire au détriment des connaisseurs, pour ne pas dire compétents, qui risquent de remettre en cause le système, le régime et le pouvoir.
Par conséquent, le médiocre doit avoir une attitude soumise qui ne provoque pas d'effet à remettre en cause les fondements de ce régime. L'esprit critique ne fait pas l'affaire et il est ainsi redouté car il s'exerce envers toute chose, dans tout contexte et à tout moment.
Le médiocre est un très bon joueur, soumis car il ne fait que «jouer le jeu» moyennant une gratification.
Le médiocre veut pourtant dire accepter des pratiques officieuses hors normes et hors standards qui servent les intérêts de ses maîtres, se soumettre à des règles malsaines en détournant les oreilles du non-dit et les yeux du non vu, de l'impensé. C'est aussi accepter de ne pas divulguer tel événement, tel fait, tels noms… dans tel rapport, faire abstraction de ceci, ne pas mentionner cela, permettre à l'arbitraire de prendre le dessus.
Au bout du compte, jouer le jeu consiste, à force de tricher, à générer des institutions corrompues. La corruption arrive ainsi à son terme lorsque les acteurs ne savent même plus qu'ils sont corrompus. Certains disaient que lorsque la corruption est en force, le talent devient rare. Ainsi, la corruption devient l'arme de la médiocrité qui abonde. Quand le centre de la lumière, c'est-à-dire l'université, forme des étudiants pour en faire non pas des esprits autonomes mais des aguerris prêts à être instrumentalisés. Les cerveaux préparés d'aujourd'hui en forme de «pack» doivent correspondre aux besoins des oligarques.
Jouer le jeu, c'est aussi, où que l'on soit, adopter le langage, la couleur, la vision, le son et le plaisir du libéralisme en petit bourgeois tout court.
C'est avec cette nouvelle gouvernance que l'on s'aperçoit que le service public disparaît volontairement pour faire place à la concession, à l'affermage aux marchés publics pour que tout soit payant et tous deviennent des « clients » rois. On nous appelle ainsi « Cher client ». Cette nouvelle terminologie est révélatrice. Ils en disent long sur la révolution anesthésiante que nous vivons aujourd'hui.
Vous mettez un compétent soumis au centre de la médiocratie. Pourquoi ?
Le docteur, le responsable, le licencié, le professeur, le directeur... sont tous des médiocres. Ils ne sont pas incompétents, mais les oligarchies, rentiers qui détiennent le pouvoir ont formaté et configuré leurs pensées, leurs comportements et leurs carrières en fonction des intérêts de ceux qui les emploient. Ils alimentent les données d'exercices pratiques ou théoriques dont ont besoin pour leur satisfaction ceux qui les rétribuent pour se légitimer dans leurs fonctions, pour que la carrière soit très bonne. Le fait d'accepter cet ordre, il devient systématiquement « médiocre » ou « petit simple agent » même s'il est directeur.
Résister d'abord au « méchoui » auquel on vous invite, aux petites tentations par lesquelles vous allez entrer dans le jeu et au petit cercle d'affaires. Dire non, non..., je n'occuperai pas cette fonction, non, je n'accepterai pas cette promotion, je renonce à cet avantage ou à cette reconnaissance, parce qu'elle est empoisonnée. Résister, en ce sens, est un érémitisme qui est dur à supporter. C'est un discours politique de rentier qui pousse tout un chacun à l'affadissement des gens compétents. Enfin, la médiocrité refuse toujours d'admirer et souvent d'approuver.


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