LA PISCINE.Essai de Fadela M'Rabet. Editions Dalimen, Alger 2015, 400 dinars, 103 pages. Le titre du livre induit en erreur. La «Piscine» est le surnom que les Français donnent au siège, situé à Paris, près d'une piscine, de l'un des principaux services de renseignement, la Dgse. Désormais, on va dire chez nous, le Golf. Le début du livre aussi induit en erreur car on pensait que l'on allait lire un véritable roman d'espionnage ou policier. En reportage en Tunisie, l'auteure prend dans sa voiture un auto-stoppeur dont le comportement étrange la conduit à se demander si elle n'a pas prise en charge un espion Ce n'était là qu'un chapitre introductif à la description d'un «mal-être» qu'elle va décrire dans le style qui lui appartient. Elle dénonce l'islamophobie. Elle dénonce l'Eglise catholique de Fance qui l'encourage, après avoir sévi durant des siècles. Elle dénonce l'ignorance, dans la plupart des milieux, des apports de l'Islam à la civilisation Elle dénonce les niaiseries des journalistes et refuse d'«être Charlie». Elle dénonce le parti pris de Manuel Valls et des hommes politiques opportunistes qui, avec leurs «petites phrases», critiquent l'Islam sans le connaître. Elle dénonce, aussi, le message souvent brouillé dans bien des pays arabes, où l'on enseigne aux élèves un islam sclérosé, manipulé par des imams de service ou rejeté par de «pseudo-intellectuels» Sa colère -contre les incompréhensions meutrières- est si vive qu'elle va jusqu'à écrire : «Folle de rage, je brandirais peut-être l'épée comme le Christ et Mohamed, ou une kalachnikov». Sa douleur, on la sent - car c'est une «autre» Fadela que l'on retrouve- est si profonde qu'elle finit (conclusion) dans une sorte de méfiance presque maladive, voyant des espions partout : «Ils sont partout Pour diviser et créer le chaos. Revenir et tout recommencer. Avec encore plus de férocité». L'auteure : Née à Skikda. Docteur en biologie, interdite d'enseignement et de médias (radio, entre autres), elle quitte l'Algérie (avec son époux, le philosophe Tarik Maschino, lui aussi interdit d'enseignement et de médias) pour s'installer en France. Trop féministe au goût des pouvoirs de l'heure. A publié un grand nombre d'ouvrages à l'étranger et en Algérie, surtout après 88. Avis : Pamphlet journalistique ? Essai philosophique ? Roman de la vie quotidienne d'une musulmane en pays chrétien ? Non, de simples pensées amères et de nostalgie. Un discours de vérités. Surtout la crainte de voir le monde, notre monde, son monde, arabo-islamique, connaître (il a commencé Lybie, Syrie, Irak, Yémen, Egypte, Tunisie ) un autre colonialisme. Citations : «Si tant d'hommes et de femmes croient en Dieu, ce n'est pas seulement pour la promesse de l'éternité, mais parce qui'ils ont un besoin vital d'une présence qui reconnaisse leur qualité humaine» (p 17), «Vivre, c'est être agressé et réagir à l'agression» (p 25), «Dans une société civilisée, avoir le droit de tout dire ne signifie pas qu'on doive dire n'importe quoi» (p 29) «La souveraineté d'un pays n'est jamais acquise définitivement. Les requins ne sont pas seulement sur nos côtes, les vautours dans nos montagnes. Même dans les salons du livre, on les rencontre «(p 101) XENO-PHOBIE BUSINESS. A quoi servent les contrôles migratoires ? Essai de Claire Rodier. Editions Média-Plus, Alger 2015, 950 dinars, 194 pages. Grâce au livre de Claire Rodier, on en découvre des choses sur le phénomène migratoire. Et, surtout sur les capacités des économies et des pouvoirs politiques des pays industrialisés à surfer «utilement » sur les vagues, ne tenant compte que rarement des victimes enregistrées au passage ; l'essentiel étant le profit. On le savait : les économies des pays industrialisés ne peuvent se passer d'un volant de main-d'œuvre flexible et exploitable et les sans-papiers répondent en grande partie à ce besoin. Pourtant, on passe son temps à «inventer» de nouveaux dispositifs de contrôle : des patrouilles maritimes, des murs, des barbelés, les vérifications des passeports dans les aéroports, des camps, Une kyrielle de dispositifs ; chaque nouveau dispositif mis en place donnant l'impression de n'avoir pour but que de révéler les failles et les lacunes des précédents et servant donc de justification pour en créer un nouveau. C'est sur cette base que s'est, peu à peu, créée une «économie sécuritaire» qui tire de gros profits de dispositifs de plus en plus sophistiqués (La société G4S, dont une partie de l'activité est consacrée à la «gestion» de l'émigration, emploie plus de 650.000 salariés, ce qui en fait le deuxième plus gros employeur privé du monde). C'est donc le premier chapitre de l'ouvrage. Le second chapitre va chercher à caractériser les fonctions idéologiques des contrôles migratoires. Ils sont présentés comme une réponse aux préoccupations supposées de l'opinion face à une menace, régulièrement brandie sur le thème de l'invasion par des prédateurs et/ou de la délinquance étrangère. L'exploitation de la peur. Dans la logique bien connue du bouc émissaire et de la «manipulation de l'incertitude» (cela permet aux pouvoirs, incapables d'apporter des solutions aux problèmes des populations, d'asseoir leur autorité). Le troisième chapitre est consacré à la «dimension géopolitique» des contrôles, avec une diplomatie peu regardante, et à leur «marchandisation», avec pour fond l'industrie guerrière. Le «sale boulot» est de plus en plus délocalisé et il est donc exécuté par les autres les pays «fournisseurs» de migrants de passage, ou par des société privées ; le phénomène terroriste étant désormais un chiffon rouge agité par des politiciens en mal de légitimité et/ou en recherche de notoriété. L'auteure : Figure reconnue sur les questions migratoires. Juriste au Groupe d'information et de soutien aux immigrés, le Gisti, co-fondatrice du réseau euro-africain Migreurop. Travaille plus particulièrement sur les politiques européennes d'immigration et d'asile. Plusieurs publications sur ces thèmes. Avis : Une enquête fouillée sur la gestion des flux migratoires par les Etats et notamment leur privatisation croissante. Des faits et des chiffres. Un livre détonnant. Citations : «La gestion des frontières sert bien d'autres intérêts que ceux qu'elle prétend défendre. Et que ces intérêts, en prenant le pas sur le reste, minent toute perspective de réflexion cohérente sur l'organisation d'un monde où les gens ne cesseront jamais de se déplacer» (p 16), «Expulseur de migrants, un métier d'avenir» (p 31), «Au jeu du chat et de la souris, le chat n'a pas forcément intérêt à éliminer sa proie»(p 45), «Immigration et terrorisme : une association non démontrée, mais utile «( p 100), «Les fantasmes ont la vie dure. Surtout quand ils font marcher les affaires» ( 141). TEMPS D'EXIL. Poèmes et nouvelles de Mehdi Lallaoui. Casbah Editions, Alger 2015, 350 dinars, 79 pages Vingt-sept poèmes, onze nouvelles. Mélangées, toutes racontent l'exil, la migration, la solitude, la séparation. Tous suintent la nostalgie et la tristesse et d'eux transparaît la difficulté de se séparer de la terre natale et de la recherche d'un Ailleurs où la vie est, peut-être, meilleure «Mais dans mes veines, quoi qu'il advienne coule la Seine». Vingt poèmes, onze nouvelles : un recueil qui raconte des rencontres et qui, en même temps, restitue, en vers et en prose, des situations et des états. Les déplacements de populations, les exodes, les fuites (quelquefois ) salutaires, les drames, les espoirs exaucés ou déçus C'est ça l'exil qui secoue de plus en plus le monde contemporain. Avec tout ce que cela comporte comme risques. «S'exiler, c'est risquer sa vie». Ainsi, la Méditerranée est devenue un vaste cimetière sous-marin, et toutes les statistiques officielles restent incomplètes. Et pourtant, aucune société ne peut évoluer sans l'apport de «métèques lumineux», «voyageurs de jadis ou déplacés et réfugiés d'aujourd'hui et de demain». Face aux hérauts de l'obscurantisme, ces «nouveaux crétins des temps qui courent», «les tenants de l'exclusion et de la xénophobie», il y a énormément d'espoir et cela est bien raconté dans les nouvelles. La plus émouvante est celle d'Emile qui a consacré toute sa vie à Marseille et aux pleurs versés par les vieux Algériens de la ville le jour de sa mort. Il y a, aussi, celle de Soussou, le juif «authentiquement arabe», originaire d'Egypte, éditeur de son état, qui a aidé à concevoir et à imprimer, en urgence, les programmes scolaires de la nouvelle école algérienne juste après l'Indépendance Après des décennies d'exil, «il rentra dans son pays pour un adieu à sa patrie chérie, à son existence aussi». Et, l'histoire (vraie) de Zohra fuyant l'Algérie et le terrorisme (qui menacait de mort son époux, un syndicaliste) avec ses trois enfants L'auteur : Cinéaste documentariste français d'origine algérienne (né en France à Argenteuil), membre d'une association qui œuvre pour la reconnaissance des oubliés de l'Histoire. Son travail de création aborde souvent les thèmes de l'exil et des migrations. Ainsi que la condition humaine dans le monde. Auteur de plusieurs recueils de poésie. A présidé, tout dernièrement, le jury du 6è Festival international du cinéma d'Alger. Avis : Tous ceux qui aiment la divagation poétiqu et le monde. Le mélange poèmes-nouvelles en un seul ouvrage, démarche certes originale, ne nous paraît pas heureux ; le réalisme des secondes brisant le rythme des secondes. Citations : «Cent raisons motivent l'exil qui sont, pour la plupart, autant de déclinaisons, voire de combinaisons, des trois fléaux majeurs que sont la guerre, la pauvreté, les persécutions, et que rien ne semble devoir atténuer» ( p 8), «Ceux qui partent le pied léger ne sont que des inconscients. Ceux qui n'ont pas de chagrin en quittant leur pays, des faussaires» (p 33), PS : J'ai appris avec satisfaction l'initiative du Pr Messitfa de former -gracieusement- et ce avec l'aide du quotidien arabophone El Mihwar El Youmi- les journalistes à l'information économique et statistique. Objectif : parvenir à l'objectivité dans l'approche, la compréhension et le traitement des concepts, des chiffres et des données économiques. Malheureusement, cela ne suffira pas car, il me semble que l'on se trompe de cible. Ce ne sont pas les journalistes, simples «transmetteurs» d'informations et/ou commentateurs (avisés ou non, mais là c'est un autre problème) des données disponibles, qui sont les premiers concernés, mais les premiers «émetteurs» d'informations les sources. Mises à part quelques institutions et entreprises, toutes les autres pratiquent (souvent sans se rendre compte par prétention et suffisance ou par méfiance) la rétention, l'incomplétude, l'inexactitude, la lenteur, le retard, la manipulation parfois, etc dans le traitement de l'information les concernant. Cela ne date pas d'hier et cela n'est pas prêt de finir malgré un récent appel présidentiel assez vigoureux. D'où des cours à donner non aux journalistes mais surtout aux cellules de documentation et de communication des institutions et des entreprises. Et, pourquoi pas, d'abord à leurs responsables ?