LES THERMES DU PARADIS. Roman de Akli Tadjer. Editions Apic, Alger 2015 (Editions Jean-Claude Lattès, Paris 2014), 235 pages, 800 dinars Gestionnaire d'une entreprise de pompes fu- nèbres, voilà un créneau qui n'attire pas, bien que l'on en ait grandement besoin et ça rapporte. Dramatique pour une jeune femme, pas belle bien que pas repoussante, qui en est la propriétaire. Car, ça n'attire pas les prétendants. La peur de la mort, sans doute. Sa seule amie est une thanatopractrice (celle ou celui qui refait une «beauté» à un cadavre accidenté avant son inhumation). Les hommes les fuient dès qu'ils prennent connaissance du métier exercé. Pourtant ce sont, toutes deux, de joyeuses filles. L'amour de la vie, sans doute. Heureusement que notre héroïne tombe amoureuse d'un black un ancien trapéziste devenu aveugle et, depuis son accident, masseur dans un hammam de luxe. Carrure impressionnante, physique attirant et, surtout, des doigts pouvant réveiller un mort, dans un hammam de luxe. La suite de l'histoire est simple : nuits d'amour, questionnements sur l'aveugle amoureux qui recouvrirait sa vue et découvrirait une jeune femme banale, la jalousie de ces doigts qui attirent tant et tant de femmes seules ou esseulées ou délaissées cherchant le massage orgasmique. A la fin heureuse, cela va de soi, l'amour désintéressé paie. L'Auteur : Né en France en 1954 (Gentilly), ayant suivi les cours de journalisme de l'Ecole de la Rue du Louvre (Paris), l'auteur - écrivain, scénographe - a déjà publié plusieurs ouvrages (dont «Le porteur de cartable», «La meilleure façon de s'aimer», «Les ANI du Tassili» ) dont certains ont été adaptés pour la télévision. Détenteur de plusieurs prix littéraires, il est traduit dans plusieurs pays. Avis : A lire pour son écriture si fluide et parsemée d'humour l'histoire, assez parisianiste - étant bien banale. Heureusement qu'il y a quelques clins d'œil «arabes», et vous en apprendrez beaucoup sur le monde des pompes funèbres un commerce qui peut rapporter gros (ce sont les cercueils qui coûtent le plus cher car il y a bois et bois). Un créneau commercial utile et juteux à investir chez nous ! Citations : «L'accoucheuse ouvre la porte du monde aux vivants tandis que le croque-mort se charge de la refermer» (p 52), « Il n'y a pas de hasard. Il n'y a que des rendez-vous» (p82, citant Paul Eluard), «Devenir aveugle, c'est ne plus pouvoir se regarder dans la glace, ne plus savoir si on est beau ou laid, c'est être dans le vide absolu puisque plus rien n'arrête votre regard C'est vivre dans la plus haute des solitudes» (p 91), «On n'a qu'un seul grand amour dans sa vie. Tous ceux qui précèdent sont des amours de rodage, tous ceux qui suivent des amours de rattrapage» (p 162). PUISQUE MON CUR EST MORT. Roman de Maïssa Bey. Editions Barzakh, Alger 2010, 183 pages, 600 dinars Une véritable Mater Dolorosa que l' «héroïne» du livre. L'histoire d'une mère, veuve, enseignante d'université, qui perd son unique enfant, un grand garçon promis à un bel avenir, et assassiné par un terroriste islamiste (durant la décennie rouge). Elle raconte sa douleur. Elle décrit son calvaire quotidien dans un environnement désormais «autre». Elle écrit sa souffrance. Pour que son enfant «sache» qu'elle pense toujours à lui....et qu'elle va le venger en préméditant la mort de l'assassin. Car, elle a réussi à obtenir une arme et à apprendre à s'en servir. Ainsi que l'identité et l'adresse de l'assassin, l' «égaré», devenu, par la grâce d'une réconciliation politicienne, un «repenti» vivant désormais «normalement» sa vie. Loin de la justice et de la vérité. Comme si rien ne s'était passé sans trace aucune de culpabilité. Au contraire ! Elle écrit et dialogue avec son fils pour ne pas crier sa peine, mais aussi pour transcrire (pacifiquement et secrètement, en attendant le jour J) sa haine de ceux qui assassinent sans comprendre tous ceux qui ne sont pas, croient-ils, comme eux : «Celui qui est désigné comme autre, celui qui ne s'habille pas comme nous, celui qui ne parle pas la même langue que nous , celui dont le mode de vie diffère tellement du nôtre que la distance paraît insurmontable, même s'il prie le même Dieu. Celui dont le regard qu'il pose sur nous, nous renvoie une image dans laquelle nous ne voulons pas nous reconnaître » L'Auteure : Née en 1950 à Ksar El Boukhari, enseignante de français, animatrice d'une association culturelle à Sidi Bel Abbès, Maïssa Bey (née Samia Benameur) est l'auteure de plusieurs ouvrages (romans, nouvelles, récits ). Elle a obtenu le Prix des Libraires algériens en 2005 pour l'ensemble de son œuvre, le Grand prix du roman francophone du Sila 2008 Avis : Le meilleur d'une auteure qui sait transcrire la douleur et la souffrance ainsi que la révolte. Des mots forts. Des phrases courtes et directes. Des chapitres explicatifs de situations compliquées. Des pages sublimissimes ! Citations : «On me parle de réconciliation. On me parle de clémence. De concorde. D'amnistie. De paix retrouvée, à défaut d'apaisement. A défaut de justice et de vérité» (p30), «La souffrance aiguise les sentiments, et pas seulement les plus charitables» (p 34), «Aucun remède ne peut venir à bout de l'absence» (p 68), «La douleur dérange. Ou plutôt, c'est le spectacle de la douleur qui dérange, indispose et parfois même exaspère. Pourtant, là, il n'y a pas de signes extérieurs de souffrance» (p 74), «Chez nous, tout se dissimule derrière les voiles épais du silence. Plus encore, dans l'enfouissement. Nous vivons dans le culte du caché, dieu aux pieds d'argile» (p 121), «Qu'est-ce qui peut expliquer la haine dévastatrice des massacreurs d'hommes, de femmes et d'hommes ?( ). Il est une explication qui préexiste et prime sur toutes les autres : la haine de soi « (p 130), «La vie, la mort, tiennent à un enchaînement de faits dont on s'aperçoit plus tard, trop tard, qu'ils sont réglés pour l'accomplissement du destin» (p 172). UNE PLACE AU CYBERCAFE. Roman de Djamel Kharchi. Editions Dalimen, Alger 2014, 430 pages, 800 dinars Une histoire toute simple mais si humaine. C'est l'histoire d'un bonhomme qui, suite à un accident de la circulation, perd sa mémoire. Pas définitivement. Pas totalement. Sa mémoire était «comparable à un ordinateur où les informations seraient stockées dans le disque dur, mais des dysfonctionnements sur certaines connexions les rendaient inaccessibles». Il regagne la demeure familiale (notre grand garçon, ingénieur informaticien de son état, vit chez ses parents) entourée par l'affection des siens, le papa, la, maman, les grandes sœurs, le petit frère Les souvenirs remontent peu à peu et là, toute sa vie passée défile au ralenti. Les connexions mémorielles se remettent, petit à petit, en place. C'est assez bien décrit. Souvenirs, images, sensations, tout y passe, même l'histoire contemporaine du pays et celle du monde arabe avec son incontournable Printemps arabe, même l'histoire du pays qu'il n'a pourtant pas vécue mais que son père lui a racontée Son enfance, sa jeunesse, sa rencontre - à la poste - avec celle qu'il ne tardera pas à épouser, dont il se séparera (impossible cohabitation dans un petit appartement et une belle-maman possessive impatiente d'être «mamy») mais qu'il aime toujours , son travail : il gère, en toute propriété, ce qui est un gros calmant, un cybercafé qui «marche» et lieu formidable de rencontres ; les manif' pour la liberté et la démocratie Les connexions mémorielles se remettent, totalement, en place. Et, grâce aux Ntic, miracle, il retrouve son aimée elle aussi perdue sans lui, mais heureusement fan de cybercafé, de net et d'échange de mails. L'Auteur : Né en décembre 1950 à Hussein Dey (Alger), post-gradué en droit, ancien DG de la Fonction publique sur laquelle il a «régné» durant 12 ans, jusqu'en 2011, auteur de plusieurs ouvrages (un essai sur la colonisation en 2004, des romans dont «La fureur de ressusciter» et des poèmes dont la mémoire littéraire a retenu des vers «originaux», mais beaux, tirés, entre autres, de «Ton réveil en six choses» . «Tes paupières s'ouvrent comme une braguette/ Sur la maturité du jour/ Tes yeux fécondent la lumière») Avis : Gloire éternelle aux (N)tic ! Trop de longueurs, trop de lenteurs, d'où démarrage laborieux mais la suite est prometteuse. De plus, si les gros caractères permettent une lecture facile, cela donne une épaisseur gênante avec l'impression de ne pouvoir jamais le terminer. Commentaire très personnel : nos romanciers écrivent comme si leur roman était le seul ou le dernier. Tout y est logé. Un lourd traumatisme éditorial ! Citations : «Il y a des murs anciens et beaux qui rappellent les bâtisseurs du passé. Mais, il y a, hélas, aussi, des murs exécrables ( ) qui séparent les hommes et entretiennent la haine» (p 28), «La vie la plus dure, c'est d'avoir peur d'exprimer son mécontentement au grand jour»(p 146).