Une nouvelle réforme, très libérale, du travail est contestée par 7 Français sur 10 Elle s'est déroulée, hier, la première manifestation contre la «loi Travail», défendue par Myriam El Khomri. La ministre du Travail, d'origine marocaine, fut sur ce projet de loi particulièrement, cornaquée par Manuel Valls, le Premier ministre et dit-on par le Président François Hollande lui-même. Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette réforme, l'une des plus importantes du Quinquennat, est loin de susciter l'enthousiasme des Français : 7 Français sur 10 la jugent négativement, et 63% d'entre eux estiment qu'elle pourrait déboucher sur une crise sociale d'importance, dans l'Hexagone. La contestation, signe des temps, a d'abord gagné les réseaux sociaux. Une pétition lancée par une «écologiste citoyenne», Caroline de Haas, a recueilli en 15 jours, 1,1 million de signataires. Une 1re en France ! L'ensemble des syndicats la rejettent et les mouvements de jeunesse, lycéens et étudiants s'y opposent. Ce sont ces derniers mouvements qui ont appelé à manifester, hier, dans toute la France, ouvrant une longue liste d'initiatives prévues par les organisations syndicales tout au long du mois de mars. Qu'y a-t-il dans ce projet de loi qui suscite autant de colère ? Pour beaucoup de responsables politiques de droite mais aussi de gauche, la France, trop repliée sur elle-même, ne perçoit pas les mutations nécessaires que lui impose, l'actuelle mondialisation de l'Economie. Du coup, les nouvelles propositions de Myriam El-Khomri, concernant le monde du Travail sont, toutes, d'inspiration très libérale: pour ses initiateurs, il s'agit, dans cette période de très faible croissance et de très fort chômage (10% de la population), de donner le maximum de flexibilité aux dirigeants d'entreprises, afin qu'ils puissent reconstituer les marges qui permettront de «créer les emplois de demain». Très vieux discours qui, pour l'instant, n'a réellement fait redémarrer la croissance, nulle part en Europe, sauf peut-être en Allemagne. Le projet comprend, en effet, de vieilles recettes libérales : remise en cause des 35 heures, accroissement de la durée du travail, préférence mise aux accords d'entreprise plutôt qu'aux accords de banche (où le rapport de force syndicats / patrons est meilleur pour les premiers), licenciements simplifiés et moins coûteux, remise en cause du tribunal des Prud'hommes, instance juridique de protection des salariés. L'ensemble des mesures furent, bruyamment, applaudi par le Medef, principale organisation patronale, et plus ou moins discrètement, approuvé par un grand nombre de députés de l'opposition de droite. Fronde à gauche «Le gouvernement Valls-Hollande met en place des mesures libérales et antisociales que le gouvernement Sarkozy n'avait même pas osé mettre en place !» s'emporte Caroline de Haas, l'initiatrice de la pétition électronique aux 1,1 millions de signatures et qui en vise 2 millions, d'ici la fin du mois. Les Ecologistes, le Parti communiste et le Front de gauche de Jean-Luc Mélenchon sont, ouvertement, contre la réforme. Mais également de nombreux députés socialistes sont plus ou moins, ouvertement, pour un report ou un oubli de cette réforme. Principale réforme sociale du Quinquennat de François Hollande, celle-ci est, en effet, à leurs yeux beaucoup trop «sociale-libérale».Et si beaucoup admettent la nécessité d'une plus grande flexibilité, elle doit s'accompagner, pour eux, d'avantage de sécurité pour les salariés : c'est la «Flexi-sécurité» adoptée par les pays de l'Europe du Nord, qu'ils ne retrouvent pas dans ce texte. L'ancienne n°1 du PS, Martine Aubry a largement pris ses distances, vis-à-vis du gouvernement. «Trop, c'est trop», c'est le titre d'un éditorial que la responsable du parti socialiste a signé avec Daniel Cohn-Bendit, leader des Ecologistes et seize autres personnalités de gauche. Le désaccord avec le président de la République est global. Outre la loi Travail, qui fut la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, les points de conflits avec le couple Hollande-Valls sont nombreux : - Le Pacte de responsabilité, signé avec le Medef, en janvier 2014 : l'Etat avait versé 41 milliards d'euros aux entreprises, l'organisation patronale promettant la création d'un million d'emplois ! Il n'en fut, évidemment rien, le dispositif créant seulement, quelques dizaine, de milliers de postes : «Le Pacte avec le Medef s'est révélé un marché de dupes». - La déchéance de nationalité : cette mesure autoritaire et sans doute, guère efficace contre les apprentis terroristes, avait été prise dans la foulée des attentats de Paris. Nombre de députés n'avaient été, franchement, convaincus lors de la discussion parlementaire. «François Hollande doit renoncer à la déchéance de nationalité au profit d'une peine d'indignité nationale ou de déchéance de citoyenneté» proposent les opposants. - L'accueil des réfugiés syriens : Manuel Valls qui, en déplacement à Munich, avait refusé la proposition d'Angela Merkel, d'une répartition par quotas des réfugiés, entre les 28 pays de l'UE, est vivement critiqué, «indécent discours de Munich», commente Martine Aubry Plus généralement, sur la question de la loi Travail, les électeurs traditionnels de gauche ne comprennent pas ce retournement, très libéral du gouvernement. On est bien loin des 60 engagements du candidat Hollande, lors de sa campagne présidentielle de 2012, bien qu'aujourd'hui, environ 40% de ces promesses sont réalisées ou en cours de réalisation. La remise en cause du Code du Travail, au bénéfice des chefs d'entreprises ne passe, décidément pas. Les élus socialistes voient, surtout, avec inquiétude, les élections législatives et présidentielles de 2017 : le PS est en train de perdre ses électeurs à la pelle ! Face à l'ampleur de la contestation, le gouvernement Hollande-Valls a décidé de reporter de quinze jours (et non de «15 minutes» qui fut le lapsus de Myriam El-Khomry, devant l'Assemblée nationale) la présentation du projet devant le Conseil des ministres. Si Manuel Valls veut conserver la ligne générale de la réforme proposée mais quelques mesures très contestées, seront «aménagées», cela suffira-t-il à calmer les syndicats ? Rien n'est moins sûr. L'Europe ne fait plus rêver Râleurs, arrogants, parfois innovants : ce sont, dans le monde, les images sur les Français, les plus souvent répandues. Râleurs, le gouvernement Hollande-Valls en fait les frais, le président et le Premier ministre n'ont jamais, été aussi bas dans les sondages : début mars, seuls 15 % des Français portent un jugement positif sur l'action de François Hollande comme chef de l'Etat, contre 78 % (+ 4) d'un avis contraire. Manuel Valls tombe à 20% d'avis favorables. Il est vrai qu'en supplément au menu de début d'année, les responsables de l'exécutif ont dû subir une explosion de colère des agriculteurs, qui subissent une crise liée au poids dominant de la grande distribution, aux errements de la politique agricole de l'UE et aux conséquences des embargos qui frappent la Russie après le conflit en Ukraine. A en croire les récents sondages, les Français sont, encore, très attachés à leurs paysans. 70% des consommateurs disent leur faire confiance et 60% d'entre eux sont prêts à payer plus cher pour des produits «bien français». Car l'Europe ne fait plus rêver les Français : alors qu'en 2003 les Français étaient 61% à voir, dans la construction européenne «une source d'espoir» et 50% encore en décembre 2011, ils n'étaient plus que 26% à la mi-2015. Soit une chute de 24 points en moins de 4 ans! Une perte de confiance qui tourne au véritable désamour. L'Europe inspire maintenant de la crainte, à 42% des Français. Un chiffre qui explose chez les sympathisants du FN (75%). Le discours eurosceptique de Marine Le Pen, dont la sortie de l'euro est l'un des thèmes majeurs, semble avoir porté ses fruits. Principale critique des Français : le manque de solutions aux problèmes récurrents du chômage et du pouvoir d'achat. Pis, «ils sont, de plus en plus, nombreux à estimer que l'Europe ne résout pas les crises mais les aggrave. Les Français n'ont pas attendu la crise grecque pour clamer leur scepticisme ( ) L'impuissance de l'Europe à résoudre les problèmes des peuples et l'interminable suspense autour du Grexit (la sortie de la Grèce de la zone euro) renforcent les doutes : l'espoir a encore perdu 6 points en un an, notamment depuis la crise grecque», souligne Céline Bracq, directrice générale d'Odoxa, l'organisme du sondage. L'impuissance européenne, face à la crise des migrants, la menace d'un référendum de sortie de l'Europe, en Grande-Bretagne, en juin prochain, ne feront qu'accroître le désamour des Français vis-à-vis de l'Union européenne. Une Europe sous influence allemande : plus des deux tiers des Français estiment qu'Angela, la chancelière allemande qui a, le plus d'influence sur les décisions prises dans l'Union européenne contre 2%, seulement pour François Hollande. Champions du monde du pessimisme Arrogants, les Français ? Plus du tout, en tous cas, vis-à -vis de la puissance US. Le récent et strict alignement de la France sur les positions américaines, souvent changeantes, dans les conflits du Proche et Moyen-Orient, ont souvent surpris. «Après 2002-2003, la France a été le pays le plus populaire dans le monde. Le seul fait d'être français valait considération lorsque vous franchissiez les frontières, rappelle Pascal Boniface, le directeur de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), La raison en était simple. L'opposition de la France à la guerre d'Irak se greffant sur une tradition diplomatique gaullo-mitterrandiste d'indépendance, lui avait donné un prestige immense. C'était vrai, non seulement, dans les pays arabes et musulmans mais, également, sur l'ensemble de la planète, y compris dans les pays où les dirigeants étaient favorables à la guerre, sauf aux Etats-Unis et en Israël. Les opinions étaient reconnaissantes à la France d'avoir eu le courage de s'opposer aux projets guerriers des Etats-Unis». Côté alignement, Laurent Fabius, le ministre français des Affaires étrangères, a même pris des positions plus raides que l'administration Obama, sur la normalisation des relations occidentales avec l'Iran, ou sur l'acceptation de Bachar El-Assad, dans le front contre Daesh. Fabius vient d'être remplacé par Jean-Marc Ayrault et l'on espère que celui-ci redonnera, une certaine autotomie à la diplomatie française : «aujourd'hui, la France conserve une image positive spécifique bien qu'elle ait un peu pâli à l'échelle mondiale, poursuit le chercheur de l'IRIS, mais dans les pays musulmans, du Maroc, au Pakistan, elle est perçue comme un pays islamophobe». Tout ira toujours plus mal : les Français sont, également, les champions mondiaux du pessimisme. Selon une étude mondiale réalisée, en 2015, par le Pew Research Center' des Etats-Unis, les Français sont les plus pessimistes quand il s'agit de savoir si la génération des enfants vivra mieux que celle des parents. Il n'y a que 14% des Français, à être optimistes sur ce point, record mondial, juste devant les Italiens (15%), et pas loin des Japonais (18%). Dans un autre sondage plus récent, ils étaient 68% à penser que 2016 sera pire que 2015. La France est, pourtant, reconnue comme une grande puissance économique; elle se situe en quatrième position mondiale, pour le nombre de sociétés multinationales, derrière les Américains, les Chinois et les Japonais et devant les Allemands (mais derrière en nombre de sociétés industrielles). Selon une enquête, toute récente, de Thomson Reuters, la France est troisième, dans le monde, pour l'innovation en termes de brevets (nombre, influence, utilisations...), (bien) après les Etats-Unis et le Japon. Elle a mis, historiquement, en place des mécanismes économiques innovants et qui le sont toujours, comme la concession de service public qui, bien encadrée, peut répondre, de manière très actuelle, à des besoins d'équipements complexes. Ce Service public qui est si souvent raillé par tous les libéraux