Quand ils se sont réunis autour de la table, pour le Mazafran II, la question qui s'est posée à l'opposition, aux prestigieux invités, était non pas de parvenir à un consensus sur un programme commun pour mettre le pays sur les rails ils n'y étaient pas préparés mais comment sortir de l'impasse, ou du rond point où ils ne cessent de tourner parce que toutes les avenues, les rues, celles qu'ils avaient empruntées, étaient des sens uniques. Ils n'en sont pas sortis avec un projet clair. Au bout du compte, nous eûmes droit à des déclarations amères. Des appels à la mobilisation. Se mobiliser, ont-ils proclamé. C'est bien. Mais combien sont-ils ceux qui seraient prêts à cela ? Dans quelles conditions ? Pour obtenir quoi ? Des élections anticipées ? Vous n'y pensez tout de même pas ? Les derniers mois auraient dû être instructifs. Des leçons devaient être tirées. Le refus du quatrième mandat n'a mobilisé que quelques dizaines de personnes, ici ou là, autour desquelles une centaine d'hommes chargés de la sécurité veillaient à les contenir en cas de débordement. Il y eut, plus fort encore, la prise de parole, et des occupations de la rue, de nos compatriotes de Ouargla. Ils ne demandaient pas le pouvoir. Ils tentaient simplement de remettre en cause l'idée d'exploiter le gaz de schiste. Egalement étouffées. Leur leader est toujours incarcéré. A travers tout le territoire, peu de nationaux entendront parler du refus des travailleurs, ici et là, des conditions qui leurs sont faites, qui s'insurgent contre la gestion de leurs unités de production. Seules, plus visibles, furent celles des agents de l'ordre, des agents de transports urbains, les trams, dont les débrayages ne pouvaient être cachés. Mais point de publicité pour les autres. Les femmes et les hommes qui disent «non» au quotidien, non à la gestion du pays, à la gabegie. Il y a bien eu ces membres, respectables, du groupe des «13» qui ont voulu comprendre où nous allions, ou plutôt où l'on nous menait, et recherché l'information sur la feuille de route de notre pays, en s'adressant, directement, au président de la République. Pour qu'il les rassure. Parce qu'ils doutaient de lui, doutaient du fait qu'il soit encore en charge du pays au regard de prises de positions qu'on lui attribuait qui, à leurs yeux, ne l'exprimaient pas. «Porte fermée». Verrouillée. Ils avaient promis de se revoir. De prendre d'autres initiatives. Plus rien. Cette capacité de noyer les bonnes volontés, de les ignorer, de poursuivre la route sans coup férir, dans une logique que l'on craint même de deviner, nous renvoie une image pathétique de nos dirigeants, de la République et de nous-mêmes. L'opposition classique, visible, continue de s'opposer sans espérer être entendue. Elle se réunit, s'active, se souvient de la jeunesse et de ses rêves pour aller l'écouter pourquoi si tard ? - ouvre des bureaux à l'étranger. Y aurait-il d'autres choses à faire ? Rien. Sinon attendre. Attendre le levier, se souvenant que, dans notre tradition, prétendument «républicaine», le changement a toujours besoin d'un point d'appui militaire. L'armée occupant la rue, en 1962, en 1965, en 1980 ou bien, version plus civilisée, son intervention auprès du cercle de ses dirigeants pour appointer celui-ci ou celui-là. D'aucuns estiment que c'est la seule issue possible. Cette armée qui a enfanté d'un président de la République. Et lui, l'expérience aidant, et sa lecture du pouvoir dont il fut le pilier le confortant dans les idées qu'on lui prête, paraîtrait décidé de demeurer en place pour conduire le pays là où il le rencontrera. Au cimetière. Il aurait, dit-on, neutralisé les officiers supérieurs et changé le code d'accès au pouvoir. Il le prouve. Ceux qui parlent, trop tard, sont réduits au silence. Sans risque. Parce que, il le sait, il les voit, quand ils s'avancent pour oser dire ce qu'ils pensent, une fois leur discours achevé, en face, c'est le silence ou le sourire narquois qu'ils obtiennent pour toute réponse. Alors, ils se retournent, attendant l'approbation et les cris de la foule. Silence. Elle est absente. Elle les observe des balcons. Sans banderoles déployées ni mots d'ordre. Des murmures seulement. A peine audibles. Dans le saint des saints, comme on dit, il en est sans doute qui ne perdent pas leur temps. L'agenda de «l'après» est sur la table. Rectifié, ajusté au jour le jour. Ne pensez pas un seul instant et je souhaite me tromper que le style politique changera du jour au lendemain comme certains leaders auraient tendance à le croire. Que la passation de pouvoir dans le cadre de la «République» se fera démocratiquement. Il ne faut pas rêver. Quand arrivera le moment, nous aurons droit «à la menace extérieure» contre laquelle il faudra bien nous unir pour lui faire face, nous aurons droit aux mesures prévues dans de tels cas pour contenir l'urgence. A une mobilisation des esprits que d'aucuns appelleraient diversion. L'armée se prouvera républicaine. Elle garantira la pérennité de l'Etat, des institutions, les conditions de bonne gestion du pays. En bons patriotes, il ne se trouve pas d'Algériens qui s'engageraient dans un processus d'effondrement du système pour obtenir un changement institutionnel. Les risques sont énormes aussi bien sur le plan intérieur que sur le plan international. Les partis d'opposition ne s'y engageraient pas non plus. Ils n'en ont ni les moyens ni la stratégie. Ce qui reste à craindre donc, est le dérapage incontrôlable. Une étincelle. Souvent provoquée. Le syndrome tunisien. Une étincelle qui enflamme, sans distinction, tout ce qui se trouvera sur son chemin. Beaucoup de casse. Pour retourner à la case départ. Comme en Tunisie. Curieux que la civilisation, berbère ou arabe, qui font de la «djemaa» ou la «choura» l'alpha et l'oméga de la vie en commun, curieux que ces deux visions du monde en soient réduites, à ces moments-là, à attendre un homme providentiel coopté. Par l'armée. Evidemment. Pour refaire le chemin. Quelques mois plus tard. Celui des faux semblants. Des élections locales, régionales, nationales, bien sûr, millimétrées. Parce que nous devons évoluer dans le couloir qui nous est réservé par les puissances de ce monde, ces puissances auxquelles il a suffi d'une attaque dans les marchés des matières premières sur les prix de pétrole pour réduire un Venezuela, le pays du libérateur Simon Bolivar, d'Hugo Chavez, un pays triomphant, en économie pratiquement en faillite. Et tout restera à faire. En attendant, tourner en rond.