Joseph Kabila a trouvé le subterfuge «légal» pour ne pas quitter son poste de président de la République même si son mandat expire en novembre prochain et qu'il n'a même plus le droit d'en briguer un autre. Le président congolais, Joseph Kabila, a instruit la semaine dernière son gouvernement pour lancer l'opération de révision du fichier électoral en prévision, en principe, des élections présidentielles qui doivent se tenir avant la fin de l'année en cours. A entendre les Congolais en parler, l'on pense sans hésiter que ces élections sont bien envisagées. Mais celles-ci n'auront certainement pas lieu même si la Constitution du pays oblige Kabila à les organiser puisqu'il est arrivé à la fin de son deuxième mandat. Il ne lui a pas été difficile de trouver «l'astuce» qui contourne la loi suprême du pays et l'amène vers un maintien en poste en bonne et due forme. Pour ce faire, il n'a eu qu'à actionner sa majorité partisane pour que celle-ci introduise auprès de la Cour constitutionnelle une requête dans ce sens. C'est ce qui a été fait il y quelques jours. La cour a pris, mercredi dernier, un arrêt qui permet à Kabila de proroger son mandat pour une durée de dix-huit mois. Ses soutiens applaudissent la décision et affirment que «c'est le temps nécessaire pour qu'il mène à bon port le dialogue qu'il a lancé». Kabila a en effet appelé l'opposition et la société civile au dialogue en octobre 2015. L'Union africaine (UA) lui a même désigné un facilitateur en la personne d'Edem Kodjo, l'ancien Premier ministre togolais (..). Il semble cependant que les choses patinent, voire s'enlisent davantage de ce qu'elles étaient déjà depuis longtemps, notamment quand on sait que son dissident le plus en vue connaît de sérieux problèmes avec la justice et risque, en conséquence, d'embraser le pays. Moïse Katumba, qui était depuis peu gouverneur du Katanga, membre actif dans le PPRD (Parti du peuple pour la reconstruction et le développement) créé en 2013 et dont Kabila est l'autorité morale, donc parti du pouvoir en place, est depuis quelques jours accusé d'avoir financé des mercenaires étrangers, en tête américains. Katumba est sommé ainsi de s'expliquer devant les juges sur un fait grave. Les Algériens connaissent Katumba Sa popularité dans le Katanga (sud du pays) et au-delà, à travers plusieurs provinces de la RDC, pourrait être un facteur déclencheur de grandes perturbations sociales. Déjà, dès sa première audition par le tribunal la semaine dernière, d'importantes manifestations ont eu lieu dans sa région (Katanga), rejetant toute accusation contre leur compatriote. Ce richissime homme d'affaires est, faut-il le rappeler, président du Mazembe, la plus vieille équipe de football du Katanga. Les Algériens la connaissent bien pour avoir perdu des matchs face à ses joueurs à l'aller et au retour. Enfant invétéré du système, Katumba n'a tourné casaque que récemment, c'est-à-dire à l'annonce par Kabila d'un nouveau round de dialogue. « Moïse refuse que Kabila reste président de la République, il estime que son mandat est arrivé à terme, alors il doit partir », nous dit un membre du PPRD. Notre interlocuteur pense que «Moïse Katumba est ingrat parce que c'est le gouvernement de Kabila qui l'a sauvé des griffes de ceux qui lui ont créé des problèmes quand il était en Zambie, pays où il avait constitué sa grosse fortune». Il vient de céder aux Chinois une mine de cuivre pour plusieurs milliards de dollars. Katumba est surtout un candidat déclaré aux prochaines élections présidentielles « avec de forts appuis ». Il est soutenu par sept importants partis de l'opposition (G7) et pratiquement par toutes les provinces déshéritées en raison, nous dit-on, de «sa générosité envers leurs populations». L'autre candidat dont le poids pèse au Congo est le président de l'UDPS (Union pour la démocratie et le progrès social), Etienne Tshisekedi, que les Congolais désignent comme «l'opposant de tous les temps» et lui reconnaissent qu'il est « le parrain de la démocratie au Congo ». Son courant représente l'opposition radicale, comparé à celui du président du Sénat qui est qualifié «d'opposition républicaine». Le 3e candidat est Vital Khamre, chef de l'UNC (Union nationale du Congo). «L'idée d'un dialogue n'a pas de sens» Seul Kabila ne s'est pas déclaré à ce jour. L'on pense qu'il pourrait aborder la question le 30 juin prochain, fête de l'indépendance de la RDC. « Il pourra se prononcer », nous dit un de ses anciens conseillers ». Mais en attendant, les Congolais sont nombreux à penser que l'idée d'un dialogue à la veille des élections présidentielles n'a pas de sens. « La RDC compte plus de 450 partis d'opposition mais ils sont très divisés, ils n'arrivent pas à s'entendre sur qui va les représenter et parler en leur nom tous », estime un politologue congolais. «L'opposition n'est pas non plus d'accord avec le format de dialogue proposé par la présidence de la République qui veut que seulement le G7 y participe avec chaque parti douze représentants », précise-t-il. Les partis de l'opposition demandent à Kabila de permettre la constitution d'un panel d'experts de l'OIF, l'UE, l'UA et les Nations unies, pour superviser le processus du dialogue en question. Il est cependant peu probable qu'il prenne ces doléances en charge parce qu'il refuse en évidence de prêter le flanc à une opposition qui appelle à son départ comme l'exige la Constitution. L'on dit alors que la véritable visée de Kabila à travers son appel au dialogue est de gagner du temps le plus possible pour prétexter des problèmes dont la solution exige la révision de l'arsenal juridique du Congo avec en tête sa loi suprême. « C'est sûr que Kabila compte réviser la Constitution pour perpétuer son règne présidentiel sur le pays, il veut amender la disposition relative au mandat présidentiel pour qu'il puisse en briguer un autre et rester à la tête du pays », juge un de nos interlocuteurs. Au-delà de son idée du dialogue, il a déjà mis en avant un facteur de taille, à savoir «le manque accru de ressources financières» pour ne pas tenir les élections présidentielles. « Il a demandé aux institutions internationales de lui accorder les financements nécessaires pour pouvoir tenir les présidentielles en ces temps de crise aigue dans le pays », nous dit une universitaire. La RDC entre terreur, violence et corruption Angèle Kanam Kisindi, attachée à la communication à la présidence de la République, affirme que « ces institutions ont effectivement débloqué un fonds mais ça ne constitue même pas le 10e du montant nécessaire à la tenue des élections ». Elle nous précise que « ce qui a été donné, c'est pour le fonctionnement de la commission de surveillance des élections; on se demande alors comment on peut donner de l'argent à une structure qui n'existe que si les élections sont organisées ». Si à Kinshasa, les politiques pensent aux élections présidentielles, dans les provinces de l'est du pays, les populations continuent de vivre dans la terreur et la violence. Depuis les tueries au Rwanda entre Tutsi et Hutu dans les années 90, et les nombreux conflits ethniques dans la région des Grands Lacs, la RDC n'a jamais retrouvé sa stabilité et sa sécurité. « En 94, de nombreux éléments hutu de l'armée rwandaise ont fui leur pays pour s'installer avec armes et bagages dans les forêts congolaises », nous disent des responsables. « Nous avons ouvert nos frontières au temps des tueries, ils sont rentrés au Congo mais se sont dispersés à travers les provinces de l'Est; ils terrorisent, depuis, les populations, accaparent les minerais et pillent nos ressources, notamment dans le Kivu où on trouve des diamants et de l'or, ils ne veulent plus quitter le Congo », explique un d'entre eux. Notre interlocuteur évoque aussi la présence dans le nord du Kivu de « rebelles ougandais sous la bannière de l'Armée de libération du seigneur ». Installée depuis 2001 dans les territoires du Congo en y déployant 1.800 hommes, la Minusco (Mission onusienne pour la sécurité au Congo) n'a à ce jour pas réussi à éradiquer les violences dans ces régions. «Ils raflent, ils pillent, ils volent, entretiennent le trafic des enfants et repartent dans les profondeurs du pays », nous disent nos interlocuteurs. «Les groupes d'autodéfense, qui se sont constitués durant les tragiques événements qu'a vécus le Congo, se sont aujourd'hui transformés en milices locales, pillent elles aussi », ajoutent-ils. L'on rappelle que «les Américains ont, depuis deux ans, tout un bataillon dans ces régions sous prétexte de traquer les Ougandais, mais il n'en est rien, sans résultat ». Pour les Congolais, « c'est la confusion totale, le régime Kabila est corrompu, les populations ont de graves problèmes économiques et sociaux, rien n'est fait, tout le monde corrompt tout le monde, le chômage et l'inflation ont atteint des niveaux effarants, la pauvreté sévit à grande échelle dans le pays, rien ne va plus »