Le 1er ministre a reconnu que «la fraude a touché de nombreux domaines en Algérie mais quand elle touche le secteur de l'éducation et du savoir, c'est l'effondrement de toute la société». La déclaration est lourde de sens. Abdelmalek Sellal l'a lâchée dimanche dernier, jour de la tenue de la 19ème tripartite à la résidence El Mithak. Avec du recul, l'entendre avouer que «la fraude a touché de nombreux secteurs en Algérie» peut être considéré comme un aveu de défaite -ou presque- devant la propagation d'un fléau qui a mis déjà à genoux l'économie et dilapidé les deniers de l'Etat à leur plus grande échelle. Si Sellal précise cependant que «quand la fraude touche le domaine de l'éducation et du savoir, c'est l'effondrement de la société», c'est qu'il ne semble pas en évaluer les dégâts dans les sphères qui en sont gangrénées depuis longtemps. Il est vrai que l'école est un des impératifs fondements pour construire un véritable Etat de droit. Mais le 1er ministre sait que la justice et la santé le sont tout autant et qu'ils évoluent depuis de longues années dans un piteux état en raison de pratiques malveillantes diverses et de l'impunité qui a pris force de loi à travers l'ensemble du pays. Aujourd'hui, les choses sont devenues claires en ce qui concerne la triche qui a entaché les examens du baccalauréat 2016. Les services de sécurité en particulier, ceux de la gendarmerie nationale, semblent détenir des preuves irréfutables sur qui a provoqué ce désastre. «Le plus important est de découvrir les personnes qui ont manipulé la triche à la source mais ceux qui ont permis sa propagation à travers le net pour qu'elle couvre toutes les wilayas et tous les centres d'examen du pays n'ont fait que leur servir de relais», nous disent des responsables du secteur. L'ONEC (l'Office national des examens et concours) a été pointé du doigt de l'accusation dès les premières informations faisant état de fuite des sujets du bac. Les soupçons ne doivent plus l'être. Notamment quand de hauts responsables nous confirment qu'«effectivement, les services de la gendarmerie ont découvert à l'intérieur de l'Office des choses bizarres qui démontrent clairement que le premier acte de fraude est parti de ce lieu pédagogique par excellence». Preuves irréfutables Pour nos interlocuteurs, «la découverte de matériels technologiques de communication et d'information aussi sophistiqués dans un endroit aussi sensible et de surcroît en période d'examen, est un acte prémédité». L'ONEC n'était pourtant pas à son premier examen. «A chaque examen du bac, l'Office garde enfermé entre 30 et 40 jours un personnel trié sur le volet, confiant, crédible, discret, apte à garder le secret dans n'importe quelles conditions, mais pour cette fois, les choses se sont passées autrement», nous dit un des responsables. L'on nous explique qu'«il y a près de deux ans, le premier responsable de l'Office faisait enlever jusqu'à la chemise aux personnes désignées pour rédiger les sujets, c'est-à-dire que la fouille qui leur était imposée était minutieuse, elles étaient coupées de leur famille et du monde, privées de détention de tout matériel douteux à commencer par le simple portable». L'on s'interroge alors comment pour cette fois les premiers éléments de l'enquête démontrent clairement, comme le soulignent des responsables du secteur, «qu'à l'intérieur de l'Office il y avait des moyens sophistiqués d'envoi rapide et sûr de sujets sur des supports électroniques modernes». Il est rappelé aisément que la triche dans les examens -tous les examens- a de tout temps été une seconde nature chez beaucoup de candidats. «Elle a toujours sévi à tous les niveaux scolaires, universitaires et au-delà, mais elle est l'œuvre de candidats qui se débrouillent pour copier par un moyen ou par un autre et acceptent même de faire passer leurs brouillons à d'autres», nous dit-on. Et «si la triche ou la fuite est découverte, elle n'est pas aussi massive», est-il précisé. En effet, «pour cette fois, la fuite des sujets a été faite à partir de l'ONEC, donc d'une institution qui est censée rendre hermétiques et inviolables les issues les plus anodines», souligne le responsable. Il est affirmé que «la mise sous scellés de l'institution prouve que la gendarmerie a des noms de personnes directement impliquées dans ce scandale». L'on tente cependant de rassurer que «la décision de faire repasser les épreuves qui ont été le plus fuitées, n'est pas mauvaise en soi, il ne faut pas que ça perturbe les élèves, bien au contraire, ils devraient la saisir pour soit corriger leurs erreurs, se rattraper ou affirmer davantage leurs performances», dit-il encore. Que ce soit le 1er ministre ou la ministre de l'Education, «l'atteinte à la sécurité nationale et la stabilité de l'Algérie» qu'ils ont mis en avant se résume «au complot». Règlements de comptes et impunité La suppression des officines, chapelles et autres cabinets noirs par les soins de la présidence de la République est un fait majeur dans l'histoire d'un pouvoir qui a toujours su phagocyter les relais dissidents ou encombrants pour réaliser ses fantasmes. «Tous ceux qui ont été éjectés des sphères du pouvoir ne lâcheront pas prise aussi facilement», nous affirme un haut responsable qui met en avant l'évidence de règlements de comptes et de revanche à prendre. «Par recoupements, il est facile de voir que des gens qui ont perdu beaucoup d'acquis, qui n'ont plus de couverture ou de parrains s'agitent aussi dangereusement», ajoutent nos sources. Sans trop s'étaler sur ce chapitre du «complot et des restructurations des pouvoirs en un seul bien renforcé», l'on fait remarquer que «la ministre de l'Education a avancé trop d'assurance et de suffisance en ce qui concerne sa maîtrise des situations de pré-examens jusqu'à tenter le diable en personne». Pour nos interlocuteurs, «Nouria Benghebrit aurait dû travailler en silence et ne pas permettre que se dressent tôt contre elle ces forces du mal». En clair, elle aurait dû avant toute chose constater que la gouvernance s'articule toujours autour «d'automatismes mentaux» comme dit par le secrétaire général de l'UGTA le jour de la tripartite. Automatismes qui ont en évidence permis l'émergence de sectes médiocres qui continuent d'enfoncer le pays dans ses ambiguïtés, ses tares et ses lacunes. L'impunité que la présidence de la République a érigée comme mode de gestion des affaires de l'Etat, a provoqué les pires dégâts à l'Algérie. Bien qu'elle soit déclarée dans toutes les sphères, la corruption n'a pas cessé d'amplifier ces dernières années. A partir du moment où le président de la République a fait en sorte d'asseoir son règne en faisant appel aux médiocrités les plus décriées en Algérie, sa responsabilité dans la persistance de ce marasme est entière et globale. La fraude en mode de gouvernance Il y a deux ou trois jours, le 1er ministre avait tenu un conseil restreint pour examiner cette honteuse question de la fuite des examens du bac. Il avait réuni, pour cela, entre autres la ministre de l'Education, le ministre de l'Intérieur, de l'Enseignement supérieur, de la Formation professionnelle. Ecœurée et effondrée par ce qu'elle a subi comme manœuvres de déstabilisation, de provocation et de défiance, Nouria Benghebrit aurait dit au 1er ministre «je suis prête à remettre ma démission tout de suite». Une «offre» que Sellal n'a pas acceptée pour ne pas avoir à l'assumer seul. «Sauf si elle est provoquée par le remaniement ministériel attendu depuis longtemps», indiquent nos sources. Mais il semble que la présidence de la République se plaît au jeu des échecs et «mat» qu'elle a enclenché dans la sphère politique puisqu'il est avancé que le secrétaire général du RND a eu (encore) instruction de débarquer de son Conseil national tous les membres qui occupent des postes de responsabilité depuis très longtemps. Cette manière d'exorciser le pays de ses maux profonds ne semble ainsi pas toucher à sa fin de sitôt même si l'on a souvent dit qu'elle prépare un départ «serein» du président de la République d'ici à la fin de l'année. La démission de la ministre de l'Education n'est pas véritablement l'acte qui est attendu par l'opinion publique pour assainir une gouvernance dont les animateurs ont failli à leurs obligations, leurs responsabilités et leurs preuves de crédibilité. Si les épreuves du bac ont été entachées par une fraude massive, elles n'ont été ainsi que le reflet de situations complexes et malhonnêtes qui ont permis l'émergence de fausses institutions puisque élues par la fraude. L'exemple le plus édifiant en est les élections législatives de 1997 où la fraude électorale a été organisée par les soins de décideurs qui continuent de commander à ce jour. Ils ont consacré la fraude, la triche et la malversation comme mode de gouvernance. Le reste et ce qui s'en est suivi jusqu'à ce jour, ne peut être qu'un «automatisme mental» qui a la peau dure.