Des réactions plus ou moins mitigées étaient enregistrées à la suite de l'annonce par les autorités turques de l'avortement du coup d'Etat organisé par une partie des officiers supérieurs de la puissante armée turque. Car au silence observé dans les premiers moments de l'annonce du coup de certaines capitales occidentales, s'en est suivi, dans l'inextricable confusion ayant suivi le communiqué des putschistes lu à la télévision publique investie par des militaires, un soupçon de soulagement au départ d'Erdogan et de son parti islamiste, l'AKP, du pouvoir en Turquie. Mais, très vite le vent et la donne ont confirmé en fait que le pouvoir actuel en Turquie est plutôt bien vu par les Turcs, descendus comme un seul homme dans la rue à travers le pays défendre la démocratie et refuser que les militaires ne prennent le pouvoir, au nom de la 'démocratie'', et qui ne quitteront en fait plus le pouvoir, replongeant à nouveau le pays dans la dictature militaire, la loi martiale et la fin des libertés. Car si l'appel d'Erdogan a été entendu par les Turcs pour défendre la démocratie et s'opposer aux putschistes, il y a aussi et surtout cette position moderniste des partis de l'opposition, y compris l'ennemi juré du chef de l'AKP, l'imam en exil Fethullah Gülen, qui ont d'emblée signifié aux militaires qu'ils ne sauraient accepter qu'on leur impose un coup d'Etat. A plus forte raison de le cautionner et le soutenir. Abdallah Gül, l'ancien président turc, avait raison de dire durant la tentative de coup d'Etat vendredi soir que la Turquie n'est 'ni l'Amérique latine ni l'Afrique'', en ce sens qu'un coup d'Etat en Turquie ne peut être ni envisagé ni même toléré. Gül a en fait expliqué aux putschistes qu'un coup d'Etat est un non-sens dans une Turquie qui est actuellement en train de négocier 'pied à pied'' son adhésion à l'UE, après avoir supplié les Européens d'y entrer il y a quelques années. Car la Turquie d'aujourd'hui, même avec une baisse de sa croissance de 10% à 4-5% par an, un exploit, a réussi sous Erdogan lorsqu'il était Premier ministre à collectionner les exploits économiques, politiques et sociaux. En moins de dix ans, il a pu hisser le pays comme un leader économique dans la région et permis aux Turcs de voir leur niveau de vie s'améliorer, en marge d'une modernisation tous azimuts des infrastructures du pays. En cela, les putschistes, emmenés par plusieurs généraux, avaient tout faux: la rue les a hués et ne les a pas suivis. L'actuel gouvernement, même s'il est mené d'une main de fer par l'AKP, à qui l'opposition reproche certaines dérives sur le plan des droits de l'homme, le harcèlement des minorités politiques ou un retour à la restriction des libertés, notamment d'expression, n'est pas vraiment boudé sur le plan politique. En offrant la solution de la construction d'un grand pays, tourné vers la modernité, en surfant sur la fibre patriotique des Turcs et leur passé glorieux du temps des grands sultans, il a réussi à fédérer une grande partie de la jeunesse qui croit à son programme politique, à ses objectifs. Et puis, il y a cette erreur fatale des putschistes qui ont cru que toutes les composantes de l'armée seront au rendez-vous du coup, oubliant que les travées des loyalistes parmi les officiers supérieurs, dont ceux de la marine, sont importantes et que, surtout, la police et les services de renseignement restent un élément stratégique qui a fait avorter ce putsch. Finalement, Erdogan et la Turquie sortent encore plus forts de cette épreuve et que le peuple turc ainsi que les partis ont montré une fois encore leur maturité politique. Et surtout que la Turquie a définitivement tourné le dos aux militaires.