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Temoignage: Les manifestations de décembre 1960 à oran
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 11 - 12 - 2016


«Il pleuvait sur les voiles blancs
Il pleuvait sur les casques sombres
Yasqat listi'mar...
Le serment demeure
Interrogez à Wahran les planteurs »
(Chants pour le onze décembre par Bachir Hadj-Ali)
Les manifestations de décembre 1960 ont été un événement majeur et un tournant important de la lutte de libération nationale. Ces manifestations spontanées, à la veille du débat de la question algérienne à l' ONU, ont montré d'une manière indéniable aux yeux du monde, que le GPRA issu de l'ALN-FLN, était le représentant unique et légitime du peuple algérien, et que l'indépendance et la souveraineté nationale n' étaient point négociables.
Ces manifestations ont commencé le 09 décembre 1960 à Aïn Témouchent. Ce jour-là, le général De Gaulle commençait sa tournée en Algérie par cette ville de l'ouest algérien.
Le FAF ( Front Algérie Française) a appelé la population européenne d'Oran, ýde Mostaganem et de Aïn Témouchent à une grève générale et à se rendre dans cette dernière ville pour manifester devant le général De Gaulle, contre sa politique prônant l'autodétermination du peuple algérien. Une contre-manifestation des Algériens est organisée, avec banderoles glorifiant le FLN et le GPRA, et appelant à l'indépendance.
Le même jour à Oran, devant les menaces de centaines de manifestants européens, et les «ratonnades», les Algériens commencèrent à organiser la riposte. Le samedi 10 décembre, dès le matin, c'est l'embrasement. Alger suit puis toute l'Algérie.
C'est en lisant le livre témoignage «Décembre 1960 à Oran» par Mohamed Fréha, que le souvenir de cette journée remonte en moi et particulièrement d'un événement que j'ai vécu ýdans ma chair. En page 116 de ce livre est écrit : «les militaires qui tiraient des rafales de mitraillettes, ont balancé deux grenades défensives sur deux membres de l'organisation urbaine d'Oran, qui s'étaient réfugiés dans une maison».
C'est ce témoignage que je voudrais compléter, ayant été présent dans cette maison à ce moment-là. Il s'agit d'une maisonnette sise au numéro 14 de la rue Ould Kadi faisant ýangle avec la rue du général Bourbaki. La veille, non loin de là, deux membres de l'ALN, Smahi et Mouffok, tombaient au champ d'honneur après un accrochage violent avec l'armée française. L'événement de la rue Ould Kadi est largement rapporté dans la presse de l'époque sous le titre de «prise d'assaut».
Je commence mon témoignage par la chronologie des événements en cette glorieuse journée du 10 décembre 1960, telle que je l'ai vécue.
Ce matin-là, la tension était à son comble à la place Sebastopol et le boulevard Paul Doumer, lesquels constituaient la ligne de démarcation entre le quartier «musulman» et celui «européen» ý. Ainsi, certains lycéens dont moi-même, avons quitté le lycée Ardaillon à 10h50. Des militaires, CRS et gendarmes mobiles commencèrent à se positionner autour de la ville nouvelle. Nous avons rejoint les centaines d' Algériennes et d'Algériens remplissant la rue de Mascara, tentant de forcer le barrage militaire du boulevard Paul Doumer, hissant des drapeaux verts et blancs et clamant des slogans nationalistes, pour aller en découdre avec les manifestants pieds-noirs rassemblés de l'autre côté. La charge des forces de répression a été brutale et sauvage. Toute la journée a été émaillée en différents points de la ville nouvelle par des face à face, souvent sanglants, entre les manifestants et les militaires. Le point culminant de la répression, que j'ai vécu, c'était en fin d'après-midi à la place Daouadji (placeta El Tolba). Nous étions quelques centaines regroupés sur place, un jeune manifestant grimpait sur le poteau électrique planté au milieu de la place pour y accrocher le drapeau algérien. L'armée tire, il est touché. Il s'écrase sur la foule. Je ne saurais dire s'il a survécu. A ce moment précis, une charge d'une férocité inouïe sera menée contre les manifestants avec bombes lacrymogènes et tirs à balles réelles. Plusieurs personnes restent à terre. C'était le sauve qui peut. Avec six personnes, je me suis engouffré dans le 14 rue Ould Kadi. C'est alors que le dernier des fuyards, lança un objet sur les militaires avant de fermer la porte. Ce fût alors le déluge de feu qui s'était abattu sur la maisonnette. Nous nous étions réfugiés dans les pièces donnant sur le patio. La maison prise d'assaut, les portes des pièces défoncées, je me suis retrouvé au milieu des militaires dans la cour. Sans pitié pour mon jeune âge (14 ans), les coups des crosses, matraques et godasses pleuvaient. En quelques instants, je saignais de partout. Visage ensanglanté et tout le corps endolori, je fus embarqué dans un camion militaire avec cinq compagnons d'infortune. Semi inconscient, je ne saurais dire si le lanceur de la grenade était parmi nous. On nous conduit dans un immeuble situé dans une rue perpendiculaire à l'avenue de Oujda, à hauteur de la clinique Gasser. Quand nous descendîmes du camion, une foule de pieds-noirs hystériques criait « à mort les Arabes «, contenue par un cordon militaire. On nous fera entrer très vite dans l'immeuble et sous bonne escorte, de crainte d'un lynchage. On nous jettera dans une cave. Dans la nuit, deux de mes compagnons sont extraits de la cellule. Je ne saurais dire pour quelle destination, je ne les reverrai pas. C'est en début de matinée que l'on nous fera sortir de la cave et amener dans une cour où se tenaient debout un civil et deux officiers en tenue militaire. On leur dira que c'est le «groupe de la grenade». Soudain, l'un des officiers me fixera, me demandera mon âge, il dira à ses compagnons «non pas de ça, ce n'est qu'un enfant!» Il ordonnera que je sois accompagné à l'infirmerie pour soins. Là, mon âge et mon état provoqueront une émotion accompagnée d'une réprobation. Il s'agissait certainement d'appelés du contingent. Je suis resté à l'infirmerie jusqu'au début de l'après-midi et on me libéra. Quant aux autres, je ne saurais dire ni leur identité ni quel à été leur devenir.
L'événement du 14 rue Ould Kadi, a été largement relaté dans la presse locale. Ainsi «Oran Républicain» des dimanche 11 et lundi 12 décembre 1960 sous le titre «Siège en règle à la rue Ould Kadi» rapporte «une grenade est lancée dans la rue d'une maison située au numéro 14 rue Ould Kadi et rue général Bourbaki, face au cimetière israélite, tombant au milieu des gardes mobiles où elle explose, blessant deux journalistes. Vers 16h30, l'assaut est donné par le lancement de grenades offensives à l'intérieur de la cour.
L'opération s'achève par l'arrestation des suspects dont certains sont blessés». Quant à « L' Echo d'Oran» des dimanche 11 et lundi 12 décembre 1960, journal connu pour ses positions «Ultras», sa désinformation pour discréditer la révolution et attiser encore plus la haine des pieds-noirs pour les Algériens, il relate longuement l'événement d'une manière tendancieuse afin de justifier la féroce répression. En effet, il écrit « A l'angle des rues Bourbaki et Ould Kadi, les militaires viennent de lancer une grenade offensive à l'intérieur d'une sorte de patio où s'étaient réfugiés des meneurs, qui refusaient de se rendre. Les Fellagas relancerent l' engin par-dessus une murette. La grenade explose aux pieds de nos confrères Michel LAVITE (Echo d'Oran), André BRAINCOURT (Radio Luxembourg), et GIL (Paris presse) les blessant. Les meneurs ont été arrêtés, certains trouvés porteurs d'armes. Ayant été parmi les prétendus «meneurs», je peux affirmer qu'aucun de nous n' était porteur d'arme. Il s'agissait-là d'une désinformation habituelle de ce journal. Cela ne pouvait être vrai car les responsables du FLN à Oran avaient donné ordre aux Fidais de ne porter aucune arme, lorsqu'ils se trouvaient parmi les manifestants. J'ai eu la surprise de voir la séquence de la prise d'assaut de la maison, dans un documentaire sur la guerre d'Algérie diffusé par ARTE lors du cinquantième anniversaire de l'indépendance.


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