Les Algériens, qui se sont aventurés dans les quartiers européens, ont été tués et certains corps décapités par les pieds-noirs. Ce vendredi matin 9 décembre 1960, à Alger, jour où commence le général de Gaulle son voyage présidentiel, tous les commerçants de quartiers européens ont gardé les rideaux baissés sur ordre du Front de l'Algérie française. De Gaulle est arrivé à Témouchent en compagnie de Louis Joxe, ministre d'Etat chargé des Affaires algériennes. Il est accueilli par un choeur discordant dont les voix se répondent et s'insultent au premier rang. Retenus par les services de l'ordre, des Européens crient: «A bas de Gaulle, Algérie française», derrière, des Algériens agitent des banderoles «Vive de Gaulle, Algérie algérienne». Le général de Gaulle, qui poursuit sa tournée à Cherchell, Blida, Orléansville, Tizi Ouzou, Akbou, Bougie, Batna en évitant Alger et Oran, a vécu un événement imprévu sans précédent, la sortie en masse dans les rues d'Alger, de Constantine, d'Oran et d'autres villes et villages, du peuple algérien faisant front contre les ultras. C'est samedi 10 décembre 1960 en fin d'après-midi que des bagarres ont éclaté entre des ultras européens et des Algériens à Belcourt, au Champ de Manoeuvre, à Hussein Dey, à Kouba, à Clos Salembier, à Diar El-Mahçoul, à la suite des attaques par les Forces de l'Algérie française (FAF), la veille, des commerçants algériens pour les obliger à fermer leurs magasins et cafés, les revolvers à la main, en se mettant à tirer sur ceux qui ont refusé de respecter leur mot d'ordre en tuant 30 personnes. Vers 18h, des milliers d'Algériennes et d'Algériens se sont mis en marche, descendant de Kouba, du Clos Salembier, de Birmandreis par le Ravin de la Femme sauvage pour occuper les rues d'Alger. A la tête des cortèges, des femmes et des hommes avec des drapeaux de l'Algérie libre. A la hauteur de la rue Musset, des groupes de jeunes ont brisé les vitres des magasins européens et vers 19h 30, le dépôt central du monoprix a été brûlé. De leur balcon, les Européens excités, armés de revolvers et de fusils, tiraient sur la foule. Plus de 50 personnes ont été tuées. Dans la nuit de samedi à dimanche, au Clos Salembier, à Diar El-Mahçoul, à Birmandreis, à Kouba, à El-Biar, à Belcourt, à Hussein Dey, dans des milliers de foyers, les femmes cousent les drapeaux de l'Algérie libre et les hommes confectionnent des banderoles et des pancartes sur lesquelles on pouvait lire «Vive l'indépendance de l'Algérie», «L'Algérie algérienne», «Abbas au pouvoir», «Négociation Abbas-de Gaulle». Les chaînes de radio ont fait part des événements du samedi afin que toutes les grandes villes d'Algérie suivent l'exemple de la capitale. Dès 6h, dimanche, les manifestations ont repris dans tous les quartiers algériens. Vers 8h, par les rues qui descendent du boulevard Bru et du Haut Belcourt, c'est une profusion de drapeaux de l'Algérie libre qui avance portés par des milliers de manifestants, les femmes en costumes colorés vers le Champ de Manoeuvre. Mêmes images à Bab El-Oued et à La Casbah. Les 100.000 manifestants qui devaient rejoindre la place du Gouvernement se sont heurtés aux CRS, aux soldats, zouaves et à des groupes d'Européens. En fin de matinée, des Européens tirent sur les Algériens au Ruisseau. Dès le début de l'après-midi, les fusillades se faisaient plus meurtrières, les paras du 18e RCP ouvrent le feu à l'arme automatique, nettoyant à la mitraillette les quartiers du Ruisseau, la place du Gouvernement et Bab El-Oued. Les Algériens, qui se sont aventurés dans les quartiers européens, ont été tués et certains corps décapités par les pieds-noirs. Le lundi 12 décembre, l'armée tire encore sur les Algériens à La Casbah et à Maison-Carrée. Le sang de milliers de victimes, morts et blessés, a démontré que les Algériens ne se tairont plus. Le mercredi 14 décembre, alors que des cortèges montent vers le cimetière d'El-Kettar pour enterrer les morts, les soldats lancent des grenades au milieu de la foule. Au cimetière de Sidi M'hamed, à Belcourt, au moment où la foule allait enterrer une fillette de 13 ans, tuée lors des manifestations, les militaires ont tiré sur les Algériens. Tout le monde est resté là, applaudissant, les femmes poussaient des youyous et les gens tombaient. Du sang coulait partout. Pendant ces deux ou trois jours de manifestations, dans les quartiers populaires d'Alger et de Constantine et les villages où l'armée française a installé des camps avancés, les Algériennes et les Algériens ont gardé au coeur le sentiment qu'ils sont sortis victorieux. Ceux qui utilisent cette date historique du 11 Décembre 1960 pour protéger leurs biens mal acquis, peuvent-ils continuer à ignorer le nombre de morts, de blessés, d'arrêtés et de torturés du 10 au 14 décembre 1960 à Alger, à Constantine et dans d'autres villes et villages? Les responsables du ministère des Moudjahidine, qui doit être appelé secrétaire d'Etat aux anciens moudjahidine et victimes de guerre, peuvent-ils continuer à priver les ayants droit des avantages dont bénéficient ceux des chouhada, les blessés par balle et tortures, de leurs pensions d'invalidité et leurs enfants handicapés et malades chroniques de leur pension d'invalidité, de la gratuité des transports, des soins et de l'appareillage, du droit à un logement aménagé, à l'exonération des impôts et taxes? Pour libérer le peuple de sa domination par des groupes d'individus, il appartient aux différentes couches privées de leurs droits de sortir de leur silence pour arracher ce qui leur est dû et contrecarrer les plans diaboliques des hypocrites et malhonnêtes. Honneur et gloire à tous les morts pour la patrie. Ce flash est donné au peuple pour mettre fin à la falsification de l'histoire par celles et ceux qui se sont servis pendant 40 ans au nom de la Révolution.