L comme Elle : Assia Djebar Nulle part dans la maison de mon père au Blanc de l'Algérie. De la fille gâtée et déshéritée à l'amie présente malgré l'absence et le soupçon d'indifférence : « J'ai voulu, dans ce récit, répondre à une exigence de mémoire immédiate : la mort d'amis proches (un sociologue, un psychiatre et un auteur dramatique) ; raconter quelques éclats d'une amitié mais décrire aussi le jour de l'assassinat et des funérailles l'écrivain, une fois mort, et ses textes pas encore rouverts, c'est autour de son corps enterré que s'entrecroisent et s'esquivent plusieurs Algérie de cimetière en cimetière, parce que en premier l'écrivain a été, obscurément, offert en victime étrange et désespérante découverte !» Assia, un prénom qui jure avec Djebar, aussi bien que Fatma-Zohra avec Imalayéne. Assia, la «consolante» est en même temps une poétesse maudite parce que sultane allergique au sérail. Ce qui n'a pas empêché la France, l'Italie, l'Allemagne, la Belgique de lui offrir, pas moins, de 15 prix sans parler de l'Autriche, du Canada où Montréal lui dédie la journée du 16 juin etc. Sans honte, l'Algérie profite de son combat et de sa notoriété en lui décernant, de son vivant, que le prix de la méfiance voire de l'hostilité. Malgré de nombreuses nominations, le prestigieux et bien politisé Prix Nobel a échappé à notre héroïne. Il a fallu l'intervention du General de Gaulle pour qu'elle réintègre l'EN de Sèvres pour ses «talents littéraires» parce qu'on n'a pas apprécié sa solidarité à l'Algérie algérienne. De Gaulle qui a insisté, personnellement, pour faire tirer Bernanos de son exil, ce dernier l'a remercié avec «Pourquoi la liberté ?» Le Général, amoureux du verbe, ose le défi excepté en ce qui concerne la politique. Il nous a bien privés du brillant esprit humaniste d'un Ferhat Abbes au profit d'un obscur quasi analphabète Benbella qui revendiquait en vain, une arabité sans réussir à se faire adopter par l'Arabie «Ces voix qui m'assiègent», elle qui rêvait de l'amour de l'Aimée, la voilà aimée par ceux qui n'émettent aucun son à son oreille. Comme Camus et tant d'autres plumes contraintes à l'encrier noir du déracinement. Nulle part, dans la maison Algérie est aussi la «sans sépulture» et la sans-patrie. Parfois sultane, parfois suivante, ombre et lumière, soupirs et murmures, elle a fait des murs au féminin un fascinant paravent de jasmin, sans susciter aucune compassion. Si la servitude est là, elle ne dépasse pas la profondeur de la peau. Elle préserve la vie d'un moi hanté par la liberté. «...Ces chers disparus ; ils me parlent maintenant » Maintenant elle les a rejointe, ses livres peuvent apparaître sur les étalages des rares librairies. Sans nécessairement, être rouverts après la disparition des langues et des lecteurs. Qu'importe, la Sultane a acquis son trône au mérite, non au lit promotionnel d'un calife. Shahrazade par passion, non par peur. L comme Elle : Nawal el Saadaoui Une jeunesse de l'Egypte pharaonique à 86 ans. En star, elle a participé au Printemps et campé sur la place Tharir. Liberté, indépendance, qui mieux qu'elle les incarne dans le monde arabo-musulman. Médecin psychiatre féministe écrivaine opposante au Raïs, aux Frères musulmans et au système mondial capitaliste. Elle est de tous les combats. Ce qui a fait dire avec ironie, côté algérien : « Nawal el Saadaoui est le seul homme de Misr. » Dame Nawal est une Cléopâtre qui n'a pas besoin d'un César pour régner. Elle est contre le voile contre la mini-jupe, la répudiation, la polygamie, la circoncision des filles et des garçons, contre le maquillage contre le porno, les bimbos, les rimbos, elle dénonce la trahison des intellectuels, la corruption des médias et s'oppose à tous les pharaons arabes. Sans ciller, encore moins s'embrouiller. Le regard brillant d'un intense feu de joie : «j'aime rire, je suis toujours joyeuse » Nawal el Saadawi, on l'aime ou on ne l'aime pas, on veut sa mort ou pas. Heureusement, elle existe pour toutes les filles qui naissent dans le monde arabo-musulman, avec une virginité absente ou anormale. Ces êtres nées avec ce mortel «handicap» peuvent être graciées grâce à l'anatomie expliquée par la scientifique Nawal qui le paie au prix fort. Combien de vies sauvées tous les jours pour une membrane «sacrée» qui n'est pas nécessaire pour la vie, mais dont l'absence est suffisante pour justifier le crime d'honneur. On comprend pourquoi, elle peut faire, tous les jours, une promenade seule sans avoir peur d'être assassinée. On comprend pourquoi sur la place Tharir, les jeunes ne voyaient qu'elle. Pour la faire taire, Sadate la jette en prison. Peine perdue, la tête brûlée continue à s'exprimer et trouve la muse plus inspirante, derrière les barreaux. Sur du papier toilettes et avec un crayon cosmétique, elle écrit. Au lieu de la briser, les fers la fortifient. C'est là que le livre de la «Femme degré zéro» voit le jour, traduit, en français, sous le titre de Ferdaous par Assia Djebar... Elle côtoie, en prison, l'héroïne accusée d'avoir tué son proxénète qui l'a abusée, dès l'enfance. La justice égyptienne la condamne à mort. La veille de son exécution, la femme degré zéro, interrogée par un psychiatre, répond : « Je ne veux rien. Je n'espère rien. Je ne crains rien. C'est pour ça que je suis libre. Parce que, tout au long de notre vie, ce sont nos désirs, nos espoirs, nos craintes qui nous asservissent.» L comme Elles : Les anonymes, les sans-noms, les héroïnes célébrité zéro, les damnées pour l'éternité, les déchets de l'humanité. Comme les esclaves sexuelles algériennes de la décennie noire. Elles étaient au mauvais endroit. Géographiquement condamnées. «Qu'ont fait, en effet, les intégristes algériens ? Issus d'un système de frustration maximale - pas de logement, pas de travail, donc pas de femme- ils ont fantasmé l'orgie. La guerre pseudo-sainte a fait d'eux des seigneurs qui s'appropriaient le plus grand nombre de femmes possible : 15.000 Algériennes violées et tuées, en 10 ans. 15.000 soumises à une codification inouïe de la copulation. Identifiées par leurs bourreaux comme jaryas. Affreux détournement du statut des favorites de Bagdad reconverties, 10 siècles plus tard en esclaves du nazisme vert. 15.000 meurtres de vengeance contre le principe féminin, après consommation des mères, des filles et des fillettes.» (Martine Gozlan) Pour devenir un terroriste, il ne suffit pas d'être privé de logement de travail de femme et fantasmer sur l'orgie. Sinon, les femmes auraient disparu depuis belle lurette, notamment dans certaines parties du globe. Il faut avoir une fissure dans la tête et posséder de l'argent, savoir où trouver des armes et s'en servir, direction l'Afghanistan où se trouve les camps d'entraînement. C'est compliqué pour une populace, démunie et idiote, d'arriver à transformer un hittiste' en terroriste. L'histoire nous le montre, le terrorisme est une affaire d'élites, c'est-à-dire d'Etat. L comme Elle, à peine sortie de l'enfance, non comptabilisée dans les 15.000 puisqu'elle a «survécu». Délivrée par l'ANP et prise en charge dans un centre spécialisé. Un personnel médical sensible et à l'écoute, mais le regard est mort et la bouche aphone. Profitant d'une seconde d'inattention, elle se jette par la fenêtre, sans pousser aucun cri. On ne sait pas qui des deux l'a le plus traumatisée et facilité son suicide : le viol des barbares ou du rejet familial. Parce qu'il faut le dire, les mères qui exhibent la photo de leur enfant disparu, n'y figure aucun visage féminin. Disparue, la fille est automatiquement enterrée, damnée à l'infini. L comme Elle, la fille de cet Arabe chrétien de Syrie ou Irak, qu'importe. Là où sévit Daech dont quelques djihadistes viennent demander au père de leur offrir, volontairement, sa petite princesse et éviter ainsi le massacre de toute la famille. L'homme rentre chez lui, prend son arme tue sa fille avant de se suicider. L comme Elles : C'est toujours l'actualité sans la Une, une femme copte en Egypte, les salafistes tuent son fils et son époux, devant elle, avant de brûler sa maison. Avant de fuir leur village, les autres coreligionnaires la supplient de fuir avec eux, elle refuse. Morte vivante comme cette Algérienne d'un certain âge que son entourage fait passer pour folle parce qu'elle refuse de faire la prière après avoir assisté à l'assassinat de son fils, de la main d'un terroriste, hurlant «Allahou Akbar» ! L comme Elles : Les «Laissées pour mortes» de Hassi Messaoud, qui témoignent : «Si je n'avais pas mon enfant, je partirais d'ici pour faire la pute, c'est ce à quoi ils te poussent ! Je n'en peux plus de mendier. -Souvent, j'ai songé à me jeter, tel un kamikaze, contre les murs du tribunal, bardée de dynamite pour tout faire exploser- Aujourd'hui, quand je me rends à la wilaya ou à Diar Rahma, je n'essaie même plus de réclamer un emploi ou un logement, je demande des vivres. Des lentilles ? des haricots secs, des boites de sardines. -J'ai été souillée par 60 bonshommes et le juge n'a même pas retenu le viol comme chef d'accusation. -C'est ça notre pays, ils détestent trop les femmes Pourquoi le juge serait-il différent ?- Mais ce qui m'a le plus secouée, c'est que mon amie avait complètement perdu pied. Elle déambulait dans la ville, en haillons. Elle parlait seule. Je n'ai pas eu le courage de me lancer à sa recherche. Mon fardeau était déjà bien assez lourd » Que sont-elles devenues, à l'heure où un plat au quotidien, fait de sardines et légumes secs, n'est digne que d'un palais royal ? L comme Elles : Dans le Journal de Feraoun où on peut lire : « une jeune fille a été abattue par un terroriste. Une jeune fille de mœurs légères, paraît-il. Un jeune homme lui a vidé froidement, son revolver dans le bas-ventre. Puis d'autres gens sont venus la prendre par les bras et les jambes pour l'enterrer. Un jeu d'enfants, en somme, sans portée, sans conséquence. La scène n'a pas duré longtemps, il a vite fallu trouver autre chose, changer de jeux : parler, par exemple, de la libération prochaine, de la grandeur de l'Islam ou du sens de l'honneur qui doit animer, tout un chacun. Surtout ne pas supposer que les jeunes gens, en question, avaient tous été plus ou moins et à tour de rôle les amants de la fille légère. «Il faut être un homme pour penser que la prostitution est un métier et en sus le plus vieux. Une femme ne se lève pas un matin pour s'interroger sur le métier qu'elle voudrait faire demain : médecin, ingénieur, secrétaire, femme de ménage ou prostituée ? Non, la prostitution est un statut. La preuve, elle n'existe ni chez les animaux ni dans les sociétés primitives et on le voit de nos jours, dans les rares tribus qui vivent encore à l'âge de la pierre. Pour fabriquer des prostituées, c'est simple. Par exemple grâce à un Code de l'infamie, basée sur l'honneur et un chapelet de constantes où l'épouse qui cesse de plaire est répudiée et jetée à la rue, avec ses enfants, au grand bonheur des proxénètes, des obsédés sexuels et des pédophiles. C'est ainsi qu'on protège de la pénurie les marchés siamois de la drogue et de la prostitution. C'est ainsi que la polygamie prend de l'essor, en Algérie, des Moudjahidate , jusqu'au point où des femmes universitaires se résignent s'écrasent face à l'inimaginable. Parfois, le change gagnant est total : la nouvelle dulcinée est plus jeune, plus jolie, plus intelligente et diplômée que l'ancienne. Pour l'une, le toit d'un harem est plus sûr que celui du caniveau. Pour l'autre, le capital en billet est plus fiable que celui de la beauté qui dure ce que dure une rose, l'espace du premier cheveu blanc, à la naissance d'une ride. L comme Elle : Katia, la lycéenne abattue par un jeune barbu à la porte de son lycée, parce qu'elle refusait de voiler sa beauté. Aujourd'hui, la majorité des filles de son âge ont compris la leçon, sans vraiment être assurée d'une quelconque protection contre le harcèlement, le kidnapping, le viol, l'assassinat ou même la cruauté d'un mari, y compris de bonne famille. Leur calvaire prend une inquiétante progression et le voile généralisé semble jouer plus le rôle du viagra que du castrat. L comme Elles Dans «Les Algériennes, victimes de la Société néo-patriarcale», livre édité en Algérie, en 1999 et disparu depuis, l'anthropologue et historien, Mahfoud Bennoune relate la condition «exceptionnelle» des Algériennes : « Au cours d'une discussion avec trois anciens compagnons de la guerre de Libération nationale, dont deux anciens officiers de l'ALN, j'appris que l'aspect libérateur du développement algérien n'incluait pas, dans les faits, la libération de la femme. Dès que je mentionnai cette expression, un ancien compagnon m'interpella ainsi : «En préconisant la libération des femmes, tu as laissé entendre, par implication que nos femmes sont dominées. Or, laisse-moi te dire clairement, car ton long séjour, en Europe et en Amérique du Nord, semble t'avoir éloigné de nos traditions arabo-musulmanes, que c'est nous les hommes qui sommes esclaves de nos femmes !» Mes 3 amis me parlaient en socialistes convaincus de toutes les questions sauf celles relatives au problème de la femme.» Avant d'être contaminé par l'Occident, l'enfant Bennoune a souffert de la disparition de sa sœur aînée qui l'a élevé et à qui il a dédié son livre. Une malheureuse tuée par un funeste mariage, une année après sa célébration. Notre historien note sa prise de conscience de l'enfer de l'enfermement des femmes, quand il fut, lui, privé de sa liberté dans les prisons coloniales. Quant à ses détracteurs, ceux qui parlent de leur attachements aux traditions arabo-musulmanes, tout en déclarant sans honte qu'ils sont esclaves de leurs femmes et non l'inverse, Mammeri nous explique l'énigme dans son livre «La Traversée» : «Ce qu'ils voulaient, c'était la grande vie la grande vie, c'était bien, mais ils ne pouvaient pas la mener avec les paysannes boueuses et analphabètes qui leur avaient servi jusque-là d'épouses et d'exutoires. Alors, après la guerre, les uns après les autres avaient épousé des bourgeoises ripolinées, avec des cheveux eau-oxygénés qui parlaient le français les plus chanceux, ou les plus inconscients , avaient épousé des Européennes L'ennui c'était les autres ceux qui n'avaient ni whisky ni épouses blondes et grasseyantes ni jeux de société. Comme on leur avait répété que le paradis était pour tous, ils y avaient cru et ils pressaient sur les portes qu'un de ces quat, elles allaient céder » On le voit, si l'esclave fait le maître, ce dernier peut faire l'esclave. L'évolution ne peut se faire, autrement. Si on soupçonne les esclaves d'avoir causé la chute de la civilisation grecque, c'est parce qu'elle a fini par produire des esclaves philosophes. L comme Elles : Ces étrangères La «Parfumeuse», la femme de Messali Hadj qui a imaginé et réalisé le drapeau algérien. Et la mère, l'handicapée «mentale» quasi sourde et muette, misérable femme de ménage dont le seul loisir c'est d'aller au souk avec une Fatma. Refusant de quitter Alger pour vivre à Paris avec le fils qui a si bien réussi avec l'Etranger, Camus. A toutes ces femmes qui demeurent étrangères et suspectes, dans leur propre pays qui n'arrive pas à décoller malgré la baraka du sous-sol. A ces dirigeants qui refusent, sans plaisanter, d'aider les femmes violées pour ne pas encourager le viol et les femmes divorcées pour ne pas encourager le divorce qui n'est qu'une répudiation qui ne veut pas dire son nom, il faut leur rappeler que l'imam El Chafié, théologien et juriste, fondateur de l'une des 4 écoles juridiques de l'Islam, est né en 767 et mort en 820, quand il affirmait : «Trois choses vous insultent si vous les honorez et si vous les insultez vous honorent: la femme, le serviteur et le nabatéen.». Au 21ème siècle, ce n'est pas un hasard si le seul pays qui a su mettre à genoux la Banque et résister à la crise de 2008 est aussi celui qui se classe en première position pour la qualité de vie offerte à ses citoyennes, l'Islande.