Il y a onze ans, la romancière algérienne Assia Djebar était élue à l'Académie française, un certain 16 juin 2005. Une date retenue par un groupe d'amis et d'admirateurs au Québec de la première Maghrébine de l'institution pour célébrer son œuvre lors d'une soirée tenue, jeudi dernier, à la Maison des écrivains à Montréal, siège de l'Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ). «Lorsque nous avons perdu Assia Djebar, nous avons réfléchi à la meilleure façon d'honorer cette femme extraordinaire, son parcours, son héritage. Nous avons choisi la célébration et non la peine. Nous avons décidé de ne pas célébrer sa naissance ou sa mort, mais plutôt son œuvre à travers cette journée du 16 juin, date anniversaire de son entrée à l'Académie française», a expliqué à l'assistance Sara Nacer, membre du comité d'organisation composé de SN Production, Racines et confluences et l'UNEQ. Un choix partagé par le directeur général de l'UNEQ, Francis Farley-Chevrier, pour qui «le combat féministe, les choix thématiques de la mémoire, l'histoire et l'identité nous rejoignent toujours au moment où la mondialisation apporte chaque jour son lot de nouvelles questions». Abdelghani Cherief, le consul général d'Algérie à Montréal, qui a eu le frère d'Assia Djebar comme supérieur hiérarchique au sein de la diplomatie algérienne, a exprimé son admiration pour la romancière algérienne, qui, «confrontée à la discrimination que lui a imposée le fait colonial à elle comme à ses compatriotes, est partie à la conquête de la fierté et de la souveraineté dans la langue de l'autre. Comme Mouloud Mammeri, comme Kateb Yacine, qui parlait de ‘‘butin de guerre'', Assia Djebar s'est emparée de cette langue dont elle fit un si talentueux usage, non pas comme soumission mais comme libération». Il est rejoint par Hocine Meghar, ambassadeur d'Algérie à Ottawa, qui s'est remémoré sa rencontre avec Assia Djebar, il y a 16 ans, lorsqu'il était ambassadeur à Rome. Elle présentait sa pièce de théâtre Les filles d'Ismaïl. «Elevée dans un enracinement berbéro-arabe musulman, a-t-il expliqué, elle a essayé à travers ses romans, ses conférences, ses pièce de théâtre et ses écrits de se sourcer dans un syncrétisme des cultures et des religions, donnant ainsi une femme dont la seule nationalité est la culture universelle». Il a regretté qu'«elle ne soit pas assez connue dans le monde arabo-musulman, elle qui était imbue de sa culture d'origine et de sa religion». L'ancrage arabo-berbère d'Assia Djebar a été aussi souligné par l'invitée d'honneur de la soirée, Maïr Verthuy, professeure émérite de littérature francophone à l'université Concordia (Montréal), qui a introduit Assia Djebar dans les programmes universitaires au Canada et en Amérique du Nord. «Elle a toujours été algérienne, très arabe, très berbère. Le berbère est devenu de plus en plus important pour elle au fur et a mesure qu'elle vieillissait», a-t-elle dit à l'assistance en réponse à une question sur la signification de l'accession à l'Académie française pour la romancière. Entre anecdotes et analyse de l'œuvre de Assia Djebar, Maïr Verthuy, qui est derrière l'attribution à la romancière algérienne d'un doctorat honoris causa de l'université Concordia, a estimé que l'académicienne était «féministe mais n'était pas militante ailleurs que dans l'écriture. Et l'écriture est ce qui reste». La quête des origines chez Assia Djebar a interpellé la jeune poétesse autochtone de la nation Innue, Natasha Kanapé-Fontaine, qui participait à l'hommage, qui s'est dite «très contente qu'Assia Djebar tenait de plus en plus à parler des Berbères». Elle a lu un extrait de La femme sans sépulture (Albin Michel, 2002) qui raconte l'histoire de Zoulikha une héroïne de la guerre de Libération nationale, dont le corps n'a jamais été retrouvé après son arrestation par l'armée française. Une histoire qui rappelle à la poétesse innue le drame des femmes autochtones disparues ou assassinées, un sujet délicat au Canada. Et ce n'était pas l'unique extrait de l'œuvre d'Assia Djebar lu pendant la soirée. L'écrivaine d'origine égyptienne Mona Latif-Ghattas Mona a penché pour Nulle part dans la maison de mon père (Actes Sud, 2010). La soirée a été ponctuée de morceaux de musique entre les interventions. Le musicien montréalais d'adoption, Nassim Gadouche, avec son mandole, a puisé dans le répertoire chaâbi, algérois et kabyle.