Au moment où le ministère de la Santé et de la Réforme hospitalière insiste sur la disponibilité des médicaments et dément formellement l'existence de pénurie sur le marché, ceux qui sont sur le terrain affirment que 140 médicaments dont 40 produits locaux sont indisponibles. Les opérateurs de l'importation et de la production de médicaments ont affirmé que seuls 70% des programmes d'importation 2017 ont été délivrés par le ministère de la Santé avec beaucoup trop de retard. Et d'autres sont toujours bloqués au niveau de la douane. Le président du Syndicat national des pharmaciens d'officines (Snapo), M. Messaoud Belambri, a affirmé en réponse aux questions des journalistes, en marge de la tenue de la 10ème Journée nationale pharmaceutique, hier à l'hôtel Aurassi, que l'indisponibilité des médicaments existe bel et bien dans les officines. Il a affirmé qu'«en tant que pharmaciens et en tant que syndicat, on a joué pleinement notre rôle de veille sanitaire». Et de préciser : « On a été interpellés par les citoyens et par les médias au sujet de ce problème, on a confirmé justement le constat qui a été fait par tout le monde, l'indisponibilité des médicaments au sein de l'officine ». Cette indisponibilité touche à la fois les produits importés et les produits fabriqués localement. L'exemple édifiant, selon notre interlocuteur, est « les antibiotiques injectables, pourtant, ils sont fabriqués par trois producteurs, ceux de Sophal à Oran, Biocare à l'Est et on a Saidal », affirme-t-il. Belambri cite plusieurs médicaments indisponibles, entre autres, l'amoxiPal injectable, l'amoxicilline, la gentamicine, l'oxacilline et la pénicilline G, ainsi que des médicaments anticancéreux. «On reçoit parfois et malheureusement, regrette, le président du SNAPO, des quotas de 20 et 30 boîtes seulement de pénicilline G ou d'amoxicilline injectable». Le président du SNAPO affirme que sa corporation n'est pas en train de chercher à polémiquer sur l'existence d'une pénurie ou non de médicaments ou d'accuser X ou Y. « On a fait notre constat de terrain, 140 médicaments sont actuellement indisponibles au niveau des officines et chez nos fournisseurs et les grossistes et ce, au niveau national, on l'a dit et on assume ce qu'on a dit ». Et d'enchaîner en précisant que « les pouvoirs publics devraient nous remercier de jouer ce rôle, car nous sommes pleinement dans notre rôle ». Le président du SNAPO persiste en affirmant que son organisation a fait ce constat d'indisponibilité auprès des officines et auprès des grossistes avec qui ils sont en relation directe. Va-t-on vers une véritable rupture de médicaments dans quelques mois ? Le président du SNAPO n'écarte pas ce scénario puisque, explique-t-il, « on avait l'habitude de signer les programmes d'importation septembre-octobre et novembre, mais actuellement, selon les déclarations des uns et des autres, les programmes d'importation n'ont été signés qu'à partir du mois de janvier, février et mars». Et de poursuivre : « Sachant qu'au minimum pour que le produit puisse rentrer, il faut compter deux ou trois mois, car les usines chez qui les commandes sont faites ne travaillent pas que pour l'Algérie. Et, en outre, le médicament conditionné pour l'Algérie doit répondre à des conditions spécifiques à la réglementation algérienne, ce qui prend beaucoup de temps». Selon les opérateurs des produits pharmaceutiques, la libération de médicaments prend du temps, car elle ne peut se faire qu'après l'élaboration du bon de commande délivré par la Pharmacie centrale des hôpitaux (PCH). Ils ont indiqué avec inquiétude qu'entre le choix du soumissionnaire, la délivrance du bon de commande et l'obtention du programme, il faut compter 5 à 7 mois, pour le déblocage des produits. Le président du SNAPO a également souligné que même les programmes complémentaires « des avenants » signés au mois de juillet et septembre, annuellement, ont sauté, ce qui peut entraîner un double impact. « A ce rythme, même s'il y a eu des stocks de sécurité à tous les niveaux, ils s'épuiseront rapidement ». Il prévient que si les programmes signés actuellement ne bénéficient pas d'une procédure spéciale d'urgence et d'accélération, il faut s'attendre à des complications et à une sévère pénurie de médicaments essentiels dans les prochains mois. Contrairement à ce qui a été avancé par des voix officielles, la pénurie de médicaments concerne majoritairement les médicaments essentiels. Il cite l'anti-cancéreux « Cytotrex » un antidouleur majeur qui est importé et qui n'est toujours pas disponible. Alors que selon certains importateurs et producteurs, des médicaments de luxe ont été libérés au détriment de médicaments vitaux pour les malades. Ils citent « les lotions nasales d'origine marine ». Des antidouleurs pour les cancéreux inexistants Le Docteur S. Habbaq du Centre Pierre et Marie Curie d'Alger a, pour sa part, relevé non seulement la rupture de médicaments antidouleurs pour les cancéreux, mais l'inexistence carrément de certains dérivés de morphine à libération directe. Ce sont des traitements qui ont un effet direct qui agissent au moment de la douleur cancéreuse. Des médicaments qui sont capables de gérer la douleur et de l'éliminer complètement de la vie du malade. Et d'affirmer que son service avait déjà formulé des demandes pour l'acquisition de ces traitements et d'autres, comme, par exemple, des patchs transdermiques contre la douleur cancéreuse, avec une capacité de 72 heures d'effet antidouleur, « mais on les a jamais vus », regrette-t-elle. Et de déplorer le fait que les morphines sont disponibles uniquement à Alger, ce qui pénalise davantage les malades atteints du cancer, qui résident en dehors d'Alger. Pourtant, explique-t-elle, la consommation des antidouleurs (la morphine) est en augmentation constante vu l'évolution croissante des cancers en Algérie. «Nous comptons près de 480.000 malades du cancer avec 11.000 nouveaux cas du cancer du sein annuellement». Le président du Snapo a beaucoup insisté sur le rôle que doit jouer le pharmacien dans la prise en charge des malades atteints du cancer. Ce rôle doit être coordonné entre les pharmaciens et les médecins. Notamment au niveau de l'ambulatoire. « On doit apprendre comment prendre en charge le malade à l'extérieur au niveau de l'officine, bien évidemment en coordination avec les médecins », a-t-il recommandé. « On a besoin de savoir de quelle façon doit-on prendre en charge nos malades de manière efficace, que ce soit du point de vue conseil ou sur le plan de la mise à disposition de ses patients des médicaments qui leur faut», dira-t-il. Des ordonnances à souches pour les psychotropes Le président du SNAPO a évoqué le dossier relatif à la gestion spécifique des psychotropes qui est en étude au ministère de la Santé. Des mesures qui exigent une ordonnance à souche pour la vente, ou les prescriptions des psychotropes et des psychotropes assimilés et ce, pour éviter toute sorte de trafic ou utilisation de ces médicaments sans l'avis du médecin. A noter, par ailleurs, que deux conventions ont été signées par le SNAPO. L'une avec l'ANEM pour le recrutement de 450 pharmaciens assistants, toutes spécialistes confondues (en relation avec la pharmacie) à Alger, durant cette année. Une opération pilote qui sera généralisée à la lumière des résultats sur toutes les willayas du pays. Une autre convention a été signée entre le SNAPO et la BDL, pour faciliter le paiement entre la CNAS et les pharmaciens, notamment dans le cadre du tiers payant.