La gare routière de Bangkok C'est décidé, je dois bouger au lieu de rester bailler aux corneilles. Bangkok est une capitale grouillante qui absorbe le temps et l'argent. Je dois suivre la trace de mes rêves. Comme disait Kundura, «la vie est ailleurs». Chacun convoque son appétit d'horizons nouveaux. Nos frontières, on les forge, on cautionne nos fantasmes au gré de la géographie de nos illusions. Je pense le voyage comme un acte fondateur. L'aspiration à l'inconnu en est le ciment. «Dans chaque acte que nous entreprenons, il y a un message», disait Claude Lévi-Strauss. Le départ devient conquête. La gare centrale de Bangkok, un véritable fourbi du monde où la densité humaine, telle un magma, gruge l'espace sans vergogne. L'Européen se sent perdu face à cette imposante masse, il tâtonne en se mouvant comme il peut de guichet en guichet, s'enlisant dans un langage qui rappelle la colonisation. Il a recours à ses compatriotes pour s'en sortir. «Entre Blancs» l'entraide se concrétise vaillamment. Dans le train, le confort est de mise. D'une vitesse moyenne, il va se projeter sur plus de 600 kilomètres vers le nord en direction du triangle d'Or. Tout un temps pour une décantation de la pensée par rapport au vécu des dernières heures. Le balancement va aider le sommeil à opérer un autre rêve plus réparateur. Il se revoit traversant le marché flottant, arpenter les divers quartiers, toujours en quête du nouveau pour revenir à mon point de départ, l'hôtel. L'hôtel en question, situé dans une ruelle de la grande rue de Rombori, est envahi à longueur de journée et une bonne partie de la nuit par un bruit incessant. La quiétude est rejetée hors norme. Le repos est soumis à un battage sourd qui dérange même le rêve. Je me démène à rechercher un autre hôtel même plus cher. Le rue mitoyenne, bruyante, dérange le sommeil nuit et jour. Remballage du sac, quelques mètres plus loin je l'installe dans une chambre plus sympathique qui m'offre le loisir d'avoir une meilleure vue. De bonne heure je m'attaque à la visite du marché flottant de Thon Buri. Je me décide d'aller à pieds afin de mieux tâter la contexture urbaine. Visiter les divers quartiers asiatiques confirme un exercice anthropologique où l'observation est plus que déterminante. A chaque coin de rue c'est une nouvelle découverte. Je remarque que les maisons sont construites en longueur. Ne présentant ainsi qu'une petite façade de quatre mètres maximum, la maison est ainsi érigée dans le sens de la largeur. Renseignement pris, c'est une façon de répondre au cadastre qui allège les impôts foncier en respectant cette discipline. Toutes les maisons offrent une même façade d'une même longueur. Les règles de l'urbanisme se veulent plus équitables en matière d'espace à loger. J'arrive aux abords du fleuve qui offre des bifurcations d'une multitude de canaux sur lesquels flottent une nuée de barques dans un environnement tropical. Vous pouvez voir ainsi les moines procéder à leurs ablutions dans le fleuve, le marché flottant qui se trouve près du croisement des klongs Bang Ku et Dan où des fois un policier perché sur le toit d'une péniche règle la circulation des bateaux, de plus en plus nombreux et bruyants, c'est plus de trois millions de kilomètres de chemins d'eau en Thaïlande le long desquels subsiste la vie traditionnelle. Je m'embarque sur une pirogue à location sur l'embarcadère. Comme sur un taxi collectif. Ils partent quand il y a du monde et s'arrêtent à la demande. Tout le long du klong défilent de nombreux temples. Le marché flottant s'étale tout au long laissant la place pour le croisement de deux embarcations. Les pirogues se touchent, elle sont remplies de toutes sortes de marchandises allant des biscuits aux bidons d'huile qu'aux légumes et fruits. Il y a aussi des serveurs de soupes aux vermicelles très populaires à la consommation. Si l'on veut, tout un marché identique de la place avec une surface d'eau verdâtre en prime. Les Thaïlandais se sont adaptés à la rareté de l'espace et de profiter de la confluence du fleuve en pleine ville. Toute l'Asie est confrontée sérieusement à l'exiguïté, quand l'espace au sol se raréfie, l'essaimage ailleurs s'impose, il investit l'eau à l'instar de la civilisation des Etrusques. A Bangkok les canaux servent aussi bien à la circulation qu'à des points de ventes. En revenant sur terre l'impression de fouler la terre vous ramène à un meilleur contrôle de ses mouvements. Aller se désaltérer sur une terrasse demeure un des exercices le plus destressant. Une pause dans ce magma humain, interpelle ta conscience d'Occidental pour mesurer ta condition humaine. La différence reste surprenante, note façon de penser, nos habitudes mêmes, notre stature, demeurent curieuses et insolites par rapport à la façon dont les Thaï s'y appliquent. Leur calme, leurs idées, leurs penchant s'écartent de nos normes préétablies. L'acculturation momentanée est assez sage pour épouser du moins leur politesse ou leur art culinaire. Finies les frites pour plonger dans les nouilles et une humeur différente à adopter devant des civilités de salutations paraissant plus folkloriques. Joindre les deux mains et se courber légèrement nous paraissent plus un jeu qu'une bonne habitude. La face dans des affrontement sont les plus à sauvegarder et une sérénité générale se dégage en surface. Il n'y a que le sourire qui domine, convenant plus à la gent féminine. Pour un Algérien habitué à la dure expression, c'est reposant et même fascinant et poétique. Le sourire sur toutes les lèvres aspire à une contagion de sympathie. Pas trop loin du quartier routard, les rues adjacentes, très commerçantes, plient sous le poids de tonnes de marchandises de tout genre. Tenté, je m'aventure intéressé pour l'achat d'un short. Je me rends compte que je déambule dans le quartier chinois. Les trottoirs sont occupés sur toute latitude. Pas un pouce ne respire, tout est envahi, tables, chiens, étalages, cuisines, mini-parkings pour motos, hommes sandwiches, etc. La différence avec l'Occident c'est ce grouillement du nombre, cette chape envahissante dont notre vision n'est guère habituée. Trimballé de chope en chope et de trottoir en étalage, au bout d'une heure je suis complètement perdu. Dans mon arpentage insouciant j'ai laissé échapper le sens d'orientation, et c'est avec peine et misère que je vais tenter de me sortir de ce labyrinthe. Demander en thaï la localisation de mon quartier relève d'une gymnastique linguistique assez marrante. La maison de Jimmy Au grès du retour, sans faire exprès, je bute sur une maison particulière qui attire ma curiosité. D'emblée, elle ressemble à un petite château coquet qui se situe entre un musée et une institution publique. Une petite plaque mentionne : Maison de Jimmy, mémoire artisanale. L'entrée vous invite à une ambiance muséale ? Des affiches criardes, une hôtesse d'accueil anime son coin et, moyennant quelques pièces, elle vous délivre votre ticket. Monsieur Jimmy a eu le privilège de monter ce lieu de mémoire afin de mettre en relief toute la panoplie artisanale du pays. Dans cette sorte de musée, construit dans le respect traditionnel, Monsieur Jimy, un Hollandais amoureux du pays et pédagogue, a décortiqué quelques processus de fabrication du verre, de la faïence, de la vannerie, etc. La découverte de certaines méthodes astucieuses pour la fabrication du verre avec des mini-fours, ou des tours, ménage de la poterie, émerveille par la finesse des produits. Parmi les salles en affilées, un espace convivial offre une cafétéria alléchante par son calme et ses friandises. Un lieu aussi merveilleux qui apaise et rafraîchit la panse et l'esprit. Son lieu d'aisance dégage une impression d'un plaisir indéfini. Ce pionnier de la belle époque marque le passage d'un apport additionnel à l'artisanat déjà riche du pays. La contribution de l'Occident au développement suit des méandres d'intérêts au grès de l'occupation coloniale. Le cœur de la ville est une jungle commerciale bordant une superficie mémoriale. Des zones piétonnières, investies par des restaurants, des night-clubs bordées d'hôtels, de bars et d'agences de voyages, serpentent jusqu'à l'artère principale. J'avais hâte de découvrir l'arrière-pays et de pousser vers l'extrême nord du pays au fameux triangle d'Or. Le matin je saisis dans un grand magasin quelques produits alimentaires à mon goût pour le viatique de la soirée dans le train car je commençais à me lasser du bouillon de nouilles et des plateaux surprise. Je reste plutôt fidèle à mes habitudes culinaires. L'après-midi, je dois m'entretenir avec un étudiant belge rencontré par hasard au Grand Palais, expert en art asiatique. Il était curieux d'approfondir ses connaissances sur l'art musulman. En voilà autres choses au pays thaï. Je focalise sur l'Andalousie et lui fait sentir les reliques de l'Alhambra de Grenade ou la Giralda de Séville. Je le fais traîner à Tlemcen, capitale de la culture islamique et je l'assène au passage de tous les minaret de la Koutoubia à celle d'Alger. Je ne voulais point lui évoquer la grandeur des cathédrales européennes pour ne pas causer un désordre esthétique dans ma tête, préférant surnager dans l'art thaïlandais. Nous prenons rendez-vous pour une autre rencontre où nous pourrions épancher notre culture sur l'art en général. Mon problème est de m'acheminer à la station du chemin de fer avec mon sac et les viatiques à une heure de grande influence. Déjà qu'à Bangkok, en temps normal, le trafic est à son comble, plus dense qu'à Alger autour de la colonne Voirol en allant à Hydra. A ce moment, le tuc-tuc est pratique, car il se faufile en mordant sur la ligne continue. Cette fois-ci le motard du tuc-tuc me saisit au vol quant à la destination. Quelques secousses accompagnées de forts balancements lors des virages et nous voici près de la porte centrale de la gare. Sur la grande place très spacieuse se joue tout un monde qui va du commerce à des démonstrations sportives, artistiques et même religieuses. Effectivement, sous un chapiteau immaculé, une sorte de sœur habillée en blanc distribue des pamphlets et invite la foule à visiter l'intérieur. Un petit temple de la secte religieuse très populaire parmi la vaste religion du bouddhisme. Au son du micro, l'annonce d'une gare d'arrivée me réveille pour affronter la réalité. Notre compartiment est très prisé par les «falang» ces «nez blanc » en quête d'exotisme. Cette frange européenne qui fuit la crise économique pour oublier sa condition sociale. Ils viennent pour la plupart pour se refaire une virginité psychologique en se trempant dans la sagesse orientale. Il ont certainement raté le chemin de Saint Jean de Compostelle pour venir se forger sur des routes où l'Orient excelle dans la philosophie thérapeutique. Tous, ils veulent voir le triangle d'Or, célèbre pour son trafic de narcotiques d'antan. Sa situation géographique le place dans le carrefour à cheval avec les trois frontières, qui au nord délimité par la Chine, à l'est par la Birmanie et à l'ouest par le Laos. Région montagneuse qui facilite la communication caravanière en dehors des postes de contrôle officiels. Le trafic depuis les dernières guerres est prospère. La Bourse de la drogue se trame dans ce creuset. La valeur de la «blanche» est l'équivalent de l'or, comme à l'époque Manding en Afrique où le sel avait la même équivalence. Les chinois, maîtres dans cet art, manipulent le gros flux en direction de l'Europe et l'Amérique. Les touristes, sans illusions aucune de tremper dans ce trafic, vont subir juste un pèlerinage des lieux pour dire «j'y étais». Le climat montagneux aide la quête exotique par la présence de nombreuses tribus quasiment primitives qui y vivent. Le train, avec ses wagons bien entretenus, compose un minimum de confort. Le notre dispose d'un arrangement de lits superposés tout en longueur. Des draps et une couverture enveloppe la couche. Une petite échelle en aluminium vous fait accéder au lit supérieur. Il n'est pas pratique dans la mesure où les déplacements nécessitent un double effort pour descendre ou monter. Ce sport après un bon sommeil indispose et vous prévient qu'à la prochaine réservation il faut faire attention pour choisir le bas. Le problème crucial pour ma sécurité c'était de ne pas me séparer de mon pantalon où logent mes finances. Si, aller aux toilettes de bon matin et laisser le magot sous la couche pourrait causer des surprises malveillantes. A la guerre comme à la guerre, je ne me sépare pas de mon pantalon et je dors sur ma fortune. Le va-et-vient des hôtesses avec leur chariots bien garnis vous proposant des sachets de victuailles est quasi permanent. Comme je ne suis pas habitué aux diverses marques je m'abstiens sauf pour l'eau qui est visible. Le souper est proposé en boites dont le menu est bien étudié. La soupe aux nouilles y est comme entrée. Le poulet n'est pas épargné. Enfin, ce n'est pas le moment de faire la fine bouche, c'est l'Orient avec sa spécificité culinaire. Au moment voulu, je me ressource de ma réserve préparée à Bangkok. Le thé prédomine et tout le wagon en sirote. Le train file son allure à une grande vitesse et avec lui le temps. Peu à peu le silence absorbe l'atmosphère laissant libre cours au rythme permanent des rails. La vitesse enrobe le train dans son envolée, le dorlote pour le plonger dans un repos méditant. Le matin à partir de 6 heures l'animation se crée par divers mouvements. A huit heures le train rentre en gare de Chiang Maie pour décharger ses voyageurs. Comme attendu, la cohorte des taxieurs vous surprend et par réaction à cette agressivité vous résistez par un refus soutenu. Dehors vous scrutez le paysage en dehors des taxis pour deviner la direction du centre et se diriger vers. Ce n'est qu'en cours de route que je saisis un taxi collectif qui va je ne sais où. Par le pif, je tente de deviner l'endroit idéal de ma chute. Ce n'est pas les hôtels qui manquent mais c'est la disponibilité de la chambre qui reste à dénicher. Après quelques essais infructueux je tombe sur une bonne réceptionniste qui m'offre une chambre décente. Dans le hall café restaurant, une dame esseulée lit un journal français. Aussitôt je fus invité par curiosité de lier connaissance, une façon de briser l'isolement interne et de délier sa langue. Le temps de déposer mon sac et me voici deviser le coup avec cette Française qui vit à Pondichéry en Inde. Nous confrontons nos idées sur notre parcours et nos expériences du voyage pour décider de souper au même endroit puisque la cuisine est satisfaisante. Je me précipite dehors à la découverte de ce gros bourg prisé par les touristes européens. Je dévale ma rue tout en soupesant l'offre des diverses vitrines. Je calcule en référence à mon dinar et je trouve un écart substantiel. Je rabats mes illusions et je me contente, une fois fatigué, de choisir une terrasse pour déguster en solo un breuvage. J'admire la place et le mouvement de la population. Le nord de la Thaïlande paraît plus apaisant que Bangkok, le trafic est moins pesant dans un espace mieux agencée. Les gens paraissent plus sympathiques, affichant un large sourire en permanence. Cette décontraction naturelle leur donne une aisance en apparence assez viable pour un Occidental noyé dans ses soucis de besoins permanents. Le Thaïlandais remonte sa pente allégrement par un acharnement d'efforts qui surpasse l'entendement. La nostalgie de mon cocon me pousse vers un cybercafé qui se trouve toujours au bon endroit. Au trois quarts il est peuplé de touristes en short branchés à leurs racines européennes. Ce nouveau commerce émerge dans tout le pays comme des champignons. Il pare à la communication en rapprochant les nouvelles et amortit le choc culturel qui est noyé dans l'écran informatique. Un baume qui rassasie la nostalgie. La région montagneuse offre de très beaux paysages et les agences de voyages s'ingénient à organiser de bons séjours allant du «trekking» (marche) au séjour explorateur. J'opte pour un trekking dans une région montagneuse qui abrite une ethnie ancienne assez attirante pour ses anciennes mœurs. Le départ est fixé pour demain matin à partir de l'hôtel. Une bonne chose que de découvrir la région par des voies anthropologiques. Le chef d'agence insista sur cet aspect et, sensible à ses arguments, je m'embarque dans la bonne affaire. A l'hôtel, Marie, attablée dans le hall cafétéria me héla pour un pot. Notre discussion s'emballa sur les Touarègues comme si l'Algérie n'avait que cet aspect folklorique. Les points furent mis sur les i et nous débordâmes sur les coutumes du coin. Cet ancien mannequin parisien, érodée par le temps s'agrippe à l'art indou et vit en Inde. Cette dernière, ajustant ses lois, oblige ses résidents à renouveler leurs papiers en quittant le pays pour trois mois. La Marie se trouve dans cet état de hiatus de séjour et se balade pour passer ce temps forcé. Elle était intéressée par ma compagnie pour lui servir de paravent. Mais sa présence m'importune du fait qu'elle fumait beaucoup et que son discours nostalgique sur la guerre d'Algérie devenait un refrain raseur. Le surlendemain à la première étape elle fut abandonnée à ses pensées et au défilé incessant de ses cigarettes. Le ramassage pour le trekking s'opère le lendemain de bonne heure. Le mini-bus, où rêvaient une poignée de touristes, continua sa tournée d'hôtel. A la première halte nous nous trouvions devant un beau jardin d'orchidées à visiter. Les allées sont somptueuses et se présentent en lignes dégageant des senteurs agréables. Les couleurs forment un grand bouquet qui embaume la région. En face il y avait un marché et ce fut un grand intérêt de découvrir toutes sortes de légumes et de denrées que les Thaïs consomment. Plus loin dans la même matinée nous fîmes connaissances avec un troupeau domestique d'éléphants. Deux par deux, le manager nous installa sur le dos d'un éléphant et c'est la balade autour du camp à travers une mini-forêt. Le balancement est bien accentué et, contenu dans une espèce de corbeille, la sensation de la hauteur et du rythme procurent une excitation exaltante. Dans un petit village en hauteur nous nous restaurâmes et au début de l'après-midi nous attaquâmes à pieds avec nos sacs à dos la montagne pour rejoindre le gîte où est prévu notre séjour. Un contact avec cette population soi-disant ancestrale est prévu, bien vanté dans le prospectus. Cette tribus primitive, nichée au plus haut de la montagne a soi-disant conservé ses mœurs d'antan. Qu'à cela ne tienne ! Notre naïveté est conditionnée dans ce sens et c'est avec joie que nous entamons l'escalade d'une montagne consistante. Au bout d'une heure l'essoufflement est à son paroxysme. La halte remet le rythme à son meilleur ton et nous continuâmes pendant quatre heures à faire souffrir nos mollets pour espérer mériter une curiosité anthropologique. Le guide qui se présentait sous le nom de Pot, facile à retenir, avait pour manie à tous les nouveaux départs de lancer à tue-tête : «C'est parti mon kiki». L'entrain est bien maintenu tout au cours du trajet. Le sentier de la forêt est étroit et abrupt, difficile à parcourir par la présence d'une boue mal séchée qui fait perdre l'équilibre de temps à autre si ce n'est la retenue de justesse du bâton bricolé pour la circonstance. La récompense par une vue magnifique s'illumina au sommet pour nous offrir tout un paysage montagneux à l'infini. Pot commença à nous répartir dans une cabane où nous sommes censés passer la nuit. Comme chez les Etrusques, la cabane est surélevée sur pilotis me faisant penser automatiquement à un danger d'animaux. Par la fenêtre nous voyons déambuler toute une flopée de garnements tous nus ainsi que quelques femmes drapées dans des pans ventraux. La tribu semble conserver ses us coutumiers. J'avais hâte de découvrir cet ensemble de population que je croyais quasiment vierge. J'anticipais pour écrire une communication sur une tribu thaïe retirée, de l'arrière-pays. Mais la réalité est tout autre, je la découvris au fur et à mesure. Premier constat, Pot nous invite à prendre un breuvage pour solder la soif de nos efforts. Il nous désigne un grand coffret rouge où la marque Coca Cola apparaît en gros. Effectivement, les bouteilles de Coca sont bien présentes. Si Coca Cola est déjà là c'est un signe d'échange probant et la civilisation n'est pas trop loin. Pot nous trace le programme et nous annonce une balade au village, le souper et la veillée sur une danse locale primitive. «Chic», nous allons voir une vraie tribu primitive. C'est vrai que les villageois sont encore en tenue d'antan. Je n'avais pas compris que la chaleur imposait ses droits vestimentaires, à savoir qu'un pan suffisait de cacher le sexe. Les enfants jusqu'à l'âge adulte étaient carrément nus. Le naturel, mêlée au climat arrangeait cette posture. Les maisons en pente et surélevées en pilotis posaient questionnement. Pot nous éclaira sur ce point en rappelant que nous nous trouvions à l'orée d'une chaîne montagneuse où se développe une grande forêt, laquelle fournit la plupart du temps des animaux sauvages, le tigre est encore en errance. Les habitants ont pris précaution de s'élever pour mieux dominer les animaux et échapper au dévalement des averses brutales. Les pieux sont souvent renforcés. Une grande place en terre battue occupe le centre du village. Elle est le lieu où la tribu livre des danses folkloriques pour les touristes et du coup maintient ses coutumes. Je pense que le côté touristique exploité par diverses agences l'emporte et conditionne le mode de vie pour un attrait économique. La danse et quelques démonstrations de lutte sont une commande des agences moyennant finance. De même que la location du gîte et la fourniture des repas sont d'un apport consistant pour la tribu. Le clou qui m'assomme c'est la découverte de la route en apercevant non seulement des motos, des tracteurs et même un mini-bus. C'est le bouquet ! Alors pourquoi cette montée abrupte par la montagne ? Tout simplement pour nous faire croire que nous explorons «une Terra Incognita» ! Quelle farce touristique où les pamphlets impriment n'importe quel bobard ! A partir de ce moment la curiosité prend un sale coup et se contente d'avaler la couleuvre tant mieux que mal. La danse du soir se déroula comme dans un cirque, une imitation des danses indiennes. Ce qui est déplorant c'est la quantité d'alcool ingurgitée par les adolescents qui, à la fin, ne tiennent plus sur leurs pieds et lancent des obscénités en anglais sur les touristes. Un moyen d'avaler leurs frustrations. La soirée continua sur une veillée entre nous où le son de la guitare surpassa la cacophonie des accompagnateurs de la danse. Le firmament étoilé nous laisse rêver et nous berce dans les bras d'Orphée sous peu de temps. La couche sur le plancher surmontée d'une mince épaisseur d'un matelas en mousse, ne facilite pas le rêve et aux aurores, avant la symphonie du chant des coqs, nous sommes à la recherche des toilettes. Un petit déjeuner bricolé sur un feu de bois à l'intérieur de la baraque va clôturer cette aberrante exploration de Tartarin. La descente fut dangereuse pour les chevilles car le sentier est plus sauvage que la tribu visitée. Des gros cailloux mal fagotés invitent à une attention soutenue sinon gare à la chute et «foulage» du pied. Aidé de mon bâton, je tâtonnais la pierraille en sollicitant la prudence et maudissant cette arnaque. Autour de Chiang Maï, de nombreuses cultures tempérées, mais le principal est l'opium. La culture de l'opium est interdite en Thaïlande. Curieusement, la production annuelle en est néanmoins de 145 tonnes (estimation), cela est faible comparée à la production chinoise : 2500 t ou du triangle d'Or, environ 1200 t. Les principaux producteurs sont les montagnards du triangle d'Or, surtout les Méos et les Akhas. Les champs sont en principe dissimulés dans des petites clairières dans les forêts ou le long de la frontière. Semé au printemps, l'opium fleurit au début de la saison sèche pour être récolté en début d'année. Ce sont les femmes qui saignent les bulbes qui donneront la cire : un peu comme on saigne un hévéa, sauf qu'il ne s'agit pas d'arbre. Récolté par les montagnards, l'opium sera vendu aux réfugiés Haw du 92e bataillon du Kuomintang, qui se sont installés entre Chiang Maï et Chiang Raï. Escorté par des hommes en armes et encouragés à une époque par la CIA, pour qui c'était un moyen d'alimenter les caisses noires, l'opium thaï rejoint les grandes routes de l'opium asiatique : les routes du triangle d'Or au nombre de trois : Triangle d'Or : - Birmanie, Rangoon, Europe. -Chiang Raï : Bangkok Saïgon Hong Kong -Vientiane Singapour Australie En hiver, sur les pistes connues, on pouvait assister au passage des caravanes de 200 à 400 chevaux chargés à 50 kg par bête et escortés. Ce trafic est enrayé actuellement, vu la politique sévère que la Thaïlande impose, aidée des relais internationaux. N'empêche que la région conserve sa légende et son mythe de la came blanche. «Payé 45 à 50 dollars le kilo dans le triangle d'Or, l'opium vaudra une fois transformé en héroïne (10 gr d'opium pour 1 g d'héroïne) 100.000 dollars le kg. Evidemment, il y aura eu entre-temps de nombreux intermédiaires», me confie un chauffeur de taxi. Lorsque les Américains étaient en Thaïlande, on les accusait de protéger ce commerce. Ils sont partis et ça continue malgré tous les contrôles. La mafia de l'opium est trop puissante, certains accusent quelques militaires puissants qui gèrent le secteur. Les montagnards en tirent profit car il demeure un des seuls revenus consistant. Je ne calcule pas la martingale, je minaude autant que se peut, je cherche à nimber l'imprévu dans l'uniformité de la vie par le voyage aux équinoxes. Quand je pense à tous les livres qu'il me reste à lire j'ai la certitude d'être heureux, je m'en réjouis d'avance. Le dehors guérit !