L'économie a avec la médecine une certaine analogie qui ne vient pas immédiatement à l'esprit, tellement est éloigné l'un de l'autre le champ d'intervention qu'elles couvrent respectivement. En économie, tout comme en médecine, tout tient au diagnostic juste La décision économique, comme l'acte médical, commence par le diagnostic, et toute erreur commise, volontairement ou involontairement, à ce stade, ne peut avoir que des conséquences nocives tant respectivement sur la situation que l'économiste veut corriger, que sur la santé du patient qui se confie à son médecin. Le problème de l'analyse des faits par lesquels se manifeste le problème économique ou la maladie, et de la distinction, à travers ces manifestions de mauvais fonctionnement ou de mauvaise santé, entre les causes et les effets, tient une place majeure dans les remèdes à apporter à l'économie ou au corps du malade. Il faut, toutefois, souligner que le médecin a, sans aucun doute, une tâche plus facile que l'économiste, car il dispose de l'histoire de cas cliniques, rencontrés au cours de sa pratique, ou dans ses lectures, qui peuvent l'éclairer rapidement sur l'interprétation à donner aux symptômes constatés sur son patient, et lui dicter le type de traitement qu'il doit lui prescrire. On peut, cependant, imaginer des cas où des maladies différentes présentent des symptômes similaires, et où des symptômes peuvent donner à des interprétations erronées. Par exemple, un malade gagne du poids sans raison apparente. Le diagnostic immédiat pourrait être qu'il a besoin de suivre un régime alimentaire strict et se soumettre à la prise de médicaments réduisant son appétit. Mais, en fait, ce gain de poids pourrait avoir été causé par un kyste qui se serait développé dans un des organes vitaux, et qui aurait été difficile à repérer à travers la prise en compte exclusive de ce gain de poids inexpliqué. C'est , sans doute, soit un cas qui ne se présenterait jamais, car le médecin bien entrainé et expérimenté serait capable de détecter immédiatement le caractère inhabituel du gain de poids de son patient et délivrer le diagnostic qui correspond au cas de son patient. La situation économique du pays, conséquence de décisions politiques délibérées et justifiées par diverses considérations En économie, les choses ne se présentent pas avec cette clarté. L'économie, comme science et comme art, est autrement plus compliquée que la médecine, et les erreurs de diagnostic sont fréquentes, non seulement en raison de la complexité des facteurs qui agissent sur la situation économique que ce spécialiste doit diagnostiquer, mais également, parce que des facteurs politiques interviennent qui constituent un voile dans la recherche de la « vérité économique. » Car toute situation économique n'est pas d'émanation « sui-generis. » Elle est toujours la conséquence de décisions à caractère plus ou moins politique, prises par une entité décisionnelle, sur la base de motivations et d'objectifs qui n'ont rien à voir avec la rationalité économique. Au cours des ces trente dernières années, l'Algérie a été souvent confrontée à des situations difficiles du fait d'orientations économiques qui étaient fondées plus sur des considérations de « stabilité politique, » que de pure logique économique, dont le fondement est toujours une mobilisation optimale des ressources nationales, monétaires, financières, minières, humaines, en vue d'assurer soit le maintien du bien-être de la population, s'il est satisfaisant, soit d'accroitre ce bien-être pour l'amener au niveau des pays-phares du monde. Tirer les leçons des expériences malheureuses du passé dramatique récent Parmi ces situations difficiles, il y en a une qui revient en mémoire, car elle a déclenché des évènements douloureux, connus sous le nom générique de « décennie noire, » et dont les conséquences continuent à être ressenties jusqu'à présent. Il est fait référence ici à la crise financière extérieure terrible qui a duré du milieu des années quatre vingt jusqu'aux premières années des années quatre vingt dix du siècle dernier. On avait alors tenté de dépasser cette situation sur la base d'un diagnostic et de solutions qui tentaient de maintenir le statuquo politique, économique et social. On a considéré que les difficultés du moment ressortissaient du rétablissement pur et simple des équilibres financiers extérieurs, par la mobilisation de moyens financiers tirant leur source de la capacité de production des hydrocarbures. On s'est, ainsi, proposé de privatiser Hassi Messaoud, le champ pétrolier le plus important du pays, qui produisant alors plus de quarante pour cent du pétrole. On a imaginé de vendre à l'avance le pétrole non encore extrait du sol, de faire « flotter, » sur la base de l'hypothèque des champs de pétrole et de gaz, des « obligations à coupon zéro, » qui ont été, en leur temps présentées comme des emprunts sans intérêt, alors que ce sont des instruments financiers fondés sur la capitalisation des intérêts et le remboursement, en une seule fois, du montant de la dette ainsi contractée et obérée des intérêts capitalisés. On a accepté de payer des primes de risque aberrantes sur les prêts commerciaux effectués pour approvisionner le pays en produits de première nécessité. On a même pensé sérieusement à vendre le bijou de famille, à savoir la Sonatrach, donc de livrer entièrement le sort du pays à quelque multinationale en quête de monopole facile sur la seule source de richesse du pays ! Bref, du diagnostic erroné, on a tiré des remèdes qui aggravaient encore plus la situation financière du pays, et conduisaient irrémédiablement à sa ruine définitive. Au lieu de s'attaquer au poids de la dette extérieure, cause de cette situation financière périlleuse, on a adopté la politique de la fuite en avant, essentiellement pour des raisons politiques. Peut- on à la fois assumer des responsabilités nationales et tenter de plaider l'irresponsabilité ? On aime bien assumer des responsabilités politiques, qui donnent accès non seulement aux privilèges habituels découlant du pouvoir, mais également à cette renommée facile si importante pour la vanité personnelle. Mais, lorsque des problèmes sérieux se posent, tout un chacun tente de se protéger et d'éviter de révéler sa profonde implication dans la situation difficile du moment. On a l'impression qu'actuellement, toutes choses étant égales par ailleurs, une situation similaire à celle des années « noires » du siècle dernier, est en train de se développer. Cette situation a exactement la même cause que celle mentionnée plus haut. Le prix des hydrocarbures s'est brusquement effondré, et est passé, en quelques années de 120 dollars le baril en moyenne, à 50 dollars. L'Algérie, qui avait accumulé, entre 2002 et le milieu de l'année 2014, comme dans les années 70 du siècle dernier, et plus sphériquement à partir d'Octobre 1973, des réserves de change importantes, grâce à la flambée du prix des hydrocarbures, se retrouve de nouveau confrontée à une situation financière dangereuse, du fait de la dépression du prix de la quasi unique source de devises dont elle dispose. Rien de sérieux et de systématique n'a été fait pour diversifier l'économie algérienne et la soustraire à la dépendance à L'égard des hydrocarbures On peut affirmer que les recettes d'exportations hors hydrocarbures continuent à être anecdotiques, car elles sont constituées pour moitié de dérivés des hydrocarbures, auxquelles s'ajoute le sucre, produit boursier, importé et réexporté à des fins de spéculation boursière. La situation financière actuelle est encore plus dangereuse que dans les années déjà citées du siècle dernier, parce qu'entre temps, des mesures extrêmes d'ouverture de l'économie algérienne, ont été prises au nom de la « mondialisation, » entrainant un changement dans la structure du modèle de consommation des Algériens, et dans le tissu social algérien, avec la montée en puissance d'une classe d'hommes d'affaires, de plus en plus riches, et de plus en plus influents dans les orientations tant politiques qu'économiques du pays. Les autorités publiques algériennes ont une marge de manœuvre nettement plus faible que dans le passé, car cette libéralisation est actuellement appuyée sur des accords internationaux librement contractés, mais dont les conséquences sur la potentiel de diversification de l'appareil économique du pays, ont été catastrophiques. L'industrie a perdu de sa rentabilité, car toutes les mesures prises pour faciliter la mise en œuvre de ces accords, ont non seulement soumis cette industrie à une concurrence extérieure qu'elle n'a pas été capable d'affronter, mais également encouragé les importations, en faisant des sources d'enrichissement rapide garantie. La création monétaire a été, pendant plus de 12 ans, exclusivement générée par les entrées de devises en liaison avec les exportations d'hydrocarbures, ce qui permet d'affirmer que l'accès aux crédits bancaires dont ont disposé les « importateurs-importateurs, » provenaient de la rente pétrolière, et non de l'escompte des opérations de création de richesse par l'accroissement de la production intérieure, donc non par une meilleure mobilisation du « potentiel » de production dont on parle tant et qu'on fait tout pour étouffer. Cette libéralisation brutale, dont les motivations ressortissent de calculs de politique nationale comme de politique étrangère, a déraillé l'économie algérienne et l'a rendu encore plus dépendante des hydrocarbures, plus que jamais-peut-on affirmer- depuis l'accession du pays à l'indépendance. On ne peut même pas imputer la faute aux prédécesseurs, car le personnel politique est d'une stabilité sans faille On aurait imaginé qu'à la suite des drames qu'a vécus l'Algérie dans la décennie noire, du fait de la perte massive des recettes extérieures d'hydrocarbures, les autorités publiques, dont la stabilité n'a jamais été sérieusement mise en cause, et qui ne peuvent même pas plaider l'inexpérience ou la faute de leurs prédécesseurs, allaient prendre en charge sérieusement le problème majeur de l'économie algérienne, à savoir le manque total de diversification de son appareil économique. On a assisté au contraire à l'accentuation de la dépendance à l'égard des hydrocarbures, et à la création d'une classe parasite extrêmement riche qui ne tient pas à ce que les règles de jeu qui lui ont permis de s'enrichir changent, et qui, de plus, a gagné l'appui de puissances étrangères que cette orientation économique aberrante arrange. On traite la crise actuelle comme si elle était simplement un reflet de la brusque chute des recettes des hydrocarbures, sans rapport avec la politique économique des dix sept dernières années, dans laquelle rien de sérieux n'a été fait pour casser une fois pour toute le monopole des hydrocarbures sur la santé économique, et bien sûr, politique et sociale du pays. On adopte des mesures d'ordre exclusivement financier, prises plus ou moins dans la précipitation et de manière plus ou moins incohérentes, pour ne pas toucher les intérêts de la classe des ploutocrates qui se présentent en sauveurs du pays et en exemples d'entrepreneurs qui ont « réussi à la correcte, » alors qu'ils sont les produits d'une politique délibérée d'élargissement de la base de soutien du système tant intérieur qu'extérieur. Changer, non les mentalités, mais les comportements Il faut le souligner encore une fois, s'il le fallait : la crise est économique, et non financière, même si sa manifestation la plus évidente est la réduction des ressources financières budgétaires comme en devises du pays. C'est la politique économique suivie au cours de ces dix sept dernières années qui est la cause de cette crise financière, et non l'inverse. Si l'Algérie avait adopté une voie différente, en encourageant la diversification de la production nationale, en réduisant la dépendance à l'égard de l'étranger tant pour le développement des infrastructures que pour la satisfaction des besoins de production et de consommation intérieure, en améliorant la structure de la consommation du citoyen algérien par la production nationale, il y aurait certainement eu des conséquences financières liées à la chute des prix des hydrocarbures, mais autrement moindres que celles que connait actuellement le pays. On a fait allusion à la nécessité de changement des mentalités pour dépasser cette crise. La politique économique ne promet de « changer les mentalités, » qui ressemble plus à un slogan politique vide de tout sens, qu' à une volonté affirmée de changer d'orientation économique. Une politique économique saine vise à changer les comportement en prenant les mesures adéquates, en brisant l'addiction à l'enrichissement par les importations ou la spéculation sur les produits nationaux, comme le montre le désordre dans les circuits de stockage et de distribution de la pomme de terre, dont les spéculateurs utilisent la politique d'encouragement à sa production, aux fins de s'enrichir en jouant de la passivité des autorités publiques. Le seul mécanisme puissant et efficace pour assainir rapidement l'environnement économique, la réforme monétaire Le désordre économique actuel, qui se manifeste à travers l'inflation galopante ( égale à 4 fois l'inflation mondiale), à travers la continuation des importations en masse de produits facilement fabricables en Algérie, à travers les manœuvres spéculatives sur le marché des fruits et légumes, etc. etc. appelle à une action d'urgence qui ne peut être que monétaire, car ,sans assainissement de la circulation monétaire, qui alimente la spéculation et renforce le maintien dans l'informel des activités de distribution, et cause la poussée inflationniste actuelle, le déclic nécessaire pour aboutir au changement de comportement des agents économiques, que ce soit les producteurs, les distributeurs ou les consommateurs, n'aura pas lieu. Il faut commencer à assainir cette situation monétaire pour créer l'environnement économique sain propice à encourager les activités de production sur la base de la mobilisation des ressources nationales, que ce soit les matières premières, ou le potentiel humain. Les autorités publiques disposent du monopole exclusif de la création et de la gestion de la monnaie. C'est un instrument formidable qu'elle détient pour assainir l'économie et forcer tous les acteurs économiques à jouer un jeu sain qui profite, non à une minorité, mais à toutes les couches de la population. Le monopole de cette gestion a été perdu du fait d'un excès de libéralité et de libéralisme aux objectifs politiques évidents. Il est temps que les autorités publiques réaffirment leur pouvoir monétaire, car de lui dépend la relance de l'économie sur des bases assainies et propice à encourager le potentiel de production nationale et de mettre fin aux poussées spéculatives qui minent l'économie du pays et risquent de le rendre ingouvernable, ouvrant la voie à l'aventurisme d'une minorité de ploutocrates aux aguets et disposée sans doute à se faire complice de manœuvres déstabilisantes extérieures, uniquement pour sauvegarder ses richesses mal acquises, même au détriment de la stabilité politique du pays. En conclusion, Sans une purge de l'économie, qui passe par une profonde réforme monétaire, comportant probablement une démonétisation d'une partie des signes monétaires, l'économie algérienne ne reprendra pas son équilibre, et donner plus de chance à ce fameux « potentiel, » dont on parle tant, de devenir une réalité productive. Les autorités publiques, dans ce contexte électoraliste, auront-elle le courage de reconnaitre que ce pays passe par une crise économique ? Oseront-elles affirmer que la crise financière est une conséquence, non une cause de cette crise, et qu'il faut agir sur les mécanismes monétaires pour changer massivement le comportement des agents économiques et mettre enfin cette économie sur une voie qui la libère de l'asservissement périlleux aux hydrocarbures et à la rente facile en envoutante qui la caractérise ?