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L'effet boomerang de la politique extérieure de Mme Le Pen
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 04 - 05 - 2017

Tout Maghrébin se sentirait interpelé par les rodomontades de la candidate Le Pen. Qu'y aurait-il donc de potentiellement inquiétant dans le volet de politique extérieure de son programme ?
En écoutant les présentations de Mme Le Pen en matière de politique extérieure, on recueille une première impression d'une politique sans empreinte digitale. De fait, les «144 engagements» qui structurent son programme intègrent peu de choses en la matière. Sept vagues éléments d'orientation en tout et pour tout. C'est un volet d'une indigence surprenante. Hormis quelques généralités et quelques lieux communs, il n'y a rien qui puisse rapprocher ce volet de son programme d'une ambition d'Etat. Rien pour lui donner quelque crédibilité aux yeux des pays partenaires de la France. Rien pour l'entourer de l'aura propre à la représentation d'une grande puissance. A ce niveau du débat pour la conquête de la plus haute charge de l'Etat français la carence est interpellante.
Est-ce là le signe de l'absence dans ses rangs de professionnels des relations internationales et d'experts des questions stratégiques? Est-ce une défiance envers un segment de l'élite française? Est-ce la marque d'un modèle de contre-élite? Elue présidente, se défiera-t-elle de l'élite du Quai d'Orsay ou n'aura-t-elle d'autre choix que de composer avec le «système»?
Qui dirigerait le Quai d'Orsay, et pour y mener quelle stratégie diplomatique?
Sur quels alliés pourra-t-elle compter puisque Mme Le Pen entend prendre des distances vis-à-vis des Alliés de la France à l'Otan? Quelles sont les menaces extérieures pour la France? Quels rapports avec les pays du Sud dont le nôtre? Trouvera-t-elle dans le monde preneur de son langage si faiblement ancré dans le réel international ?
Mme Le Pen ne sera pas en capacité de produire des réponses aux tensions, crises, conflits et menaces sans s'appuyer sur le «système» en place et sans concertation avec les «Alliés». Le rétablissement des frontières n'est que poudre aux yeux face au génie malfaisant du terrorisme qui se joue des barrières géographiques. La projection à l'international qu'elle fait pour son pays est de faible épaisseur. Comment est-ce possible en France? Nous sommes accoutumés à la mise à l'écart des élites dans notre pays, mais que cela advienne en France, cela détonne. Pareille perspective diplomatique molle facilitera la vie des interlocuteurs de la France à travers le monde qui n'auront pas de difficulté à prendre l'avantage sur Mme Le Pen.
Le personnage lui-même de la «Présidente» peut inquiéter de prime abord. Mais sans vision, ni acteurs diplomatiques confirmés pour conduire une politique extérieure - non identifiable - Mme Le Pen risque fort de ne pas décoller de la piste des rodomontades et des effets de manche. Sur tous les sujets de politique extérieure effleurés dans son programme, elle sera condamnée à battre en retraite.
Son premier échec annoncé sera sa «politique» européenne. Elle semble minimiser ou ignorer que le mode de décision par consensus du Conseil européen ne lui laisse aucune chance d'avoir gain de cause. Ce mécanisme décisionnel barrera la route à toutes ses prétentions de révision des traités. Les mécanismes décisionnels en place (consensus, unanimité, majorité qualifiée) du Conseil européen lui permettront tout juste d'exposer ses états d'âme, mais il ne lui sera pas permis d'ouvrir le débat.
Peut-être lui sera-t-il accordé le bénéfice d'un sommet informel, par respect pour la règle démocratique et par égard pour la France, un des six pays fondateurs du Marché commun. Quant à vouloir formuler un nouveau projet européen - dont elle n'a elle-même aucune idée -ou retirer la France des politiques qui ne lui conviennent pas va surtout contribuer à donner naissance à une grande coalition de dissuasion des manœuvres de déconstruction de l'UE. Forts de l'enseignement du Brexit, les chefs d'Etat européens ne la laisseront pas faire.
Mme Le Pen veut déconstruire quelques pans de l'UE tout en souhaitant obtenir l'assentiment de ses pairs européens. C'est une attitude proprement contre-productive sur la forme comme sur le fond. La procédure choisie du passage par le Conseil européen - avant la tenue d'un référendum national - est démagogique sur un plan interne et irréaliste au plan européen.
A n'en pas douter Mme Le Pen s'en retournera penaude auprès de son électorat. Il est certain que d'entrée de jeu, Mme Le Pen sera envoyée dans les cordes par ses pairs lors du sommet européen qu'elle voudrait convoquer. Elle ne se relèvera pas de la fin de non-recevoir qu'elle y essuiera. Quelle alternative alors pour elle? Il n'y en a pas. Elle n'a pas de plan B. Aucun plan B de séparation à l'amiable n'est possible, même sur le long terme. On perçoit dans cette démarche de l'amateurisme et une sous-estimation de l'amplitude de la crise qu'elle déclencherait. La forteresse Europe ne se laissera pas impressionner ni démonter.
Le rapport de force est en faveur de l'UE. D'autant que la grande armée des acteurs pro-européens français se rangeront du côté de l'UE pour affaiblir les positions de négociation françaises.
Mme Le Pen perd de vue l'enseignement du Brexit: la primauté de l'intérêt collectif sur l'intérêt national. Voudrait-elle qu'il en aille autrement, que la France, son électorat donc, aurait à payer un prix plus lourd pour la séparation que le maintien du statu quo. En outre, supposons que Mme Le Pen vienne à présider le Conseil de l'UE le premier semestre 2022 lorsque le tour de la France arrivera: que serait l'image d'une UE présidée par un pays anti-Europe?
Il y aurait quelque paradoxe dans une France anti-Europe de devoir défendre les intérêts de l'UE dans le concert de la mondialisation. Défendre les banques, la zone euro qu'elle n'aura pas pu quitter, les fusions d'entreprises avec leur lot de licenciements, le libre-échange, la défense des frontières européennes, le système Schengen qu'elle n'aura pas pu quitter non plus, devoir respecter les règles communautaires du droit d'asile ainsi que celles relatives à l'extradition, la protection des réfugiés…
En somme, «La Présidente» devra se soumettre au respect de valeurs qu'elle ne partage pas et devra assumer un rôle aux antipodes de la vision et des intérêts de la France qu'elle dirige. On peut être sûr que tout le «système communautaire» se liguera pour neutraliser la présidence française de l'UE.
Dans les relations avec les pays maghrébins en lien avec l'UE à travers des contrats de coopération, elle ferait naîtra du désordre que la Commission s'efforcera de contenir. Les difficultés commenceraient par la négociation des agendas diplomatiques qu'une présidence française aux couleurs Le Pen voudrait sans doute reformater.
Pour la suite, et en raison de sa faible pratique des mécanismes communautaires, la présidence française de Mme Le Pen n'aura d'autre choix que de faire confiance aux négociateurs communautaires. Elle n'aura aucune prise ni influence sur les programmes de coopération bilatéraux - pour autant que les relations avec les pays tiers suscitent chez elle quelque intérêt. Néanmoins, le niveau de dialogue politique et de confiance s'en ressentira.
Globalement, il se pourrait que les relations avec les pays maghrébins, africains et arabes entrent dans un cycle bas durant cette présidence qui serait contraire aux efforts traditionnellement déployés pour renforcer les relations.
Avec un pays comme l'Algérie elle devra apprendre à conjuguer les intérêts de la France avec la notion d' «intérêts mutuels». A défaut, elle desservira les intérêts de son pays. Son deuxième échec annoncé sera l'Afrique. Dans un langage proche du dénuement diplomatique, elle s'adresse non pas à l'Afrique mais à «des pays d'Afrique» avec qui elle souhaite développer des «politiques de co-développement… en matière d'enseignement».
D'entrée de jeu, elle scinde l'Afrique et se projette dans la division. Quant au fond, on ne peut être moins créatif dans la formulation de ce volet de politique extérieure. Cette rédaction semble être le fait d'une petite main. Il ressort que le sujet «monde» est visiblement accessoire dans la perception très provinciale des enjeux internationaux de la candidate.
Ni les crises et conflits autour de la Méditerranée, ni le monde arabe, ni le Maghreb, ni d'autres régions du monde ne sont dans son champ de vision. La complexité du monde, les menaces hétérogènes et multiples, l'insécurité au plan international, les solutions de paix, ne sont pas dans sa matrice.
La lutte contre le terrorisme (en sept points) par exemple est amputée de sa dimension transnationale. La France circonscrira la lutte au périmètre de l'Hexagone. La coopération internationale, l'échange de renseignements ne sont pas ne sont pas dans l'agenda des «144 engagements présidentiels». Les éléments de politique extérieure de son programme sont une démonstration du niveau d'indigence à l'international de Mme Le Pen.
Il y aurait lieu de s'en inquiéter s'agissant du leadership d'une puissance nucléaire assumant des obligations en sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité. De s'en inquiéter encore en raison du poids de la France dans la relation bilatérale avec l'Algérie et du rôle qu'elle joue dans le maintien de la paix et de la sécurité dans la région.
La France sous Mme Le Pen deviendrait-elle une source de préoccupation pour la stabilité régionale? N'ayant d'yeux que pour la France, elle tournerait le dos au monde qui viendra de toute manière bousculer son petit monde.
Le monde est déjà dans le brouillard avec le Président Trump. M. Trump et Mme Le Pen dans notre monde seraient un facteur amplifiant l'imprévisibilité. Notre propre région aurait plus de soucis à se faire d'une France sous Le Pen et des Etats-Unis sous M. Trump que des rodomontades de la Corée du Nord.
Mme Le Pen et M. Trump ont en commun la défiance envers leur système respectif de gestion des affaires du monde, d'un niveau réduit de perception des enjeux internationaux assurément complexes et intriqués, et leur caractère impulsif, des traits de caractère assurément incompatibles avec les responsabilités incombant à deux grandes puissances.
Troisième échec annoncé: tout ce qui est en rapport avec les étrangers et la dimension humaine en général. Les slogans de campagne sont une chose, les traduire en politique d'Etat et les faire accepter ou les imposer aux pays partenaires en est une autre. «Interdiction du territoire à un binational» (donc un citoyen français), «expulser tous les étrangers en lien avec le fondamentalisme» (y a-t-il une qualification légale de cette notion, et vers où?), «mettre fin au regroupement familial» (cela suppose un accord bilatéral), »interdire le financement étranger des lieux de culte et de leur personnel» (la Mosquée de Paris par exemple? Une institution très républicaine), «automatiser l'expulsion des étrangers en situation illégale» (l'accord du pays de destination est nécessaire), tout cela requiert des accords ou des arrangements internationaux auxquels les pays visés comme l'Algérie ne se prêteront sûrement pas.
Sur la dimension humaine, un des points majeurs de fixation Mme Le Pen, nous fait craindre un clash des communautés. Un mouvement de résistance civique de grande ampleur pourrait naître. Un mouvement de reflux citoyen vers d'autres pays européens ou vers le pays d'origine pourrait se développer. Certains pays pourraient même s'inquiéter de son impact multidimensionnel.
Les ressortissants de ces pays légalement installés en France pourraient même réclamer un exercice plus ferme du devoir de protection (consulaire) par leur pays d'origine. Des tensions diplomatiques pourraient s'ensuivre. Ces pays seraient même tentés d'invoquer un devoir d'ingérence humaniste et pacifique au profit de leurs millions de ressortissants?
On verrait aussi la France convoquée devant les instances européennes et onusiennes des droits de l'homme et encourir des résolutions de condamnation. Mme Le Pen ne pourra sûrement pas compter sur les amitiés africaines de la France, ni sur son réseau de la francophonie pour contrebalancer les majorités défavorables.
Surtout si d'entrée de jeu les instances européennes donnaient le signal en rabrouant la Présidente Le Pen sur les politiques communes? Les instances européennes n'auront d'ailleurs d'autre choix que de transposer à l'endroit de la France la politique «d'endiguement» appliquée envers la Hongrie du Premier ministre Orban. Ce dernier à l'origine de dérives xénophobes et europhobes persistantes, a lancé début avril une consultation nationale intitulée «stoppons Bruxelles» en matière économique et d'émigration.
Une convergence d'intérêts pourrait ainsi naître entre la France et la Hongrie et donner naissance à un axe franco-hongrois qui endommagerait le moteur franco-allemand.
Certes l'UE a déjà eu à gérer l'arrivée au pouvoir de partis d'extrême droite dont la virulence interne tend à se dissoudre dans le tissu communautaire européen. Mais l'arrivée au pouvoir en France d'une obédience de cette nature aura un impact globalisant à haut potentiel de méfiances et de défiances à tous les étages de la sphère des relations internationales.
Si les pays européens nous pointent assidûment du doigt lorsque le cours des politiques et pratiques de gouvernance internes, y compris au plan électoral, les incommode - elles nous embarrassent aussi - l'inverse est aussi vrai lorsque surgit dans ces mêmes pays des facteurs de rupture du respect mutuel et du bon voisinage.
*Ancien ambassadeur


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