Supposons que le Président Hollande ne soit pas resté inactif sur l'enjeu de sa succession. Supposons qu'il ait mis sa propre mouvance politique au service du candidat Macron. Une stratégie électorale gagnante du premier coup comme celle ayant permis d'investir avec une telle efficacité, et en un laps de temps, les champs médiatiques, politiques et la société civile, et réussissant le tour de force de briser d'un coup ses adversaires à gauche et à droite, laisse penser qu'il y a des mains invisibles qui tracent le chemin au candidat Macron. En clair, y a t-il un orchestre et un chef d'orchestre derrière le rideau? En effet, le seul pouvoir d'attraction d'un visage nouveau sur la scène politique est par lui même insuffisant pour provoquer pareil séisme politique. C'est ce qui conduit à penser que le Président a dû jouer pour sa part un rôle dans l'orchestration de la stratégie gagnante du néophyte candidat Macron. On ne peut s'empêcher de penser que le président français a en sous-main fait retirer le tapis sous les pieds du parti socialiste, ce parti qui s'est désolidarisé de lui et l'a dissuadé de briguer un deuxième mandat. On ne peut exclure que le président français ait contribué d'une manière ou d'une autre au crash du candidat victorieux de la primaire socialiste, et du même coup à lui faire payer ses bravades gauchistes quand il était dans le gouvernement. On pourrait bien percevoir le rôle occulte du Président Hollande dans l'opération de ralliements de personnalités socialistes en faveur de M. Macron, laquelle opération a contribué à dévitaliser complètement le PS. On peut aussi supposer qu'en vieux routier des chausses trappes électorales, il a pris sa part dans l'affaiblissement du candidat Fillon pour le disqualifier et lui barrer la route dès le premier tour. L'objectif ultime de cette stratégie étant le tête à tête final Macron - Marine le Pen. M. Hollande parait être le bénéficiaire collatéral du dynamitage ou du suicide pré programmé des deux grands piliers de la scène politique française qui avaient convergé dans la critique de son bilan. Face à ce naufrage des deux vaisseaux amiraux de la scène politique française que sont le PS et la droite, il assurerait un radeau de sauvetage à son propre bilan à travers M. Macron. Le Président Hollande va s'en aller certes, mais il entrainera avec lui vers la sortie les deux mastodontes qui n'ont cessé de fustiger son mandat. Leur naufrage est à mettre à l'actif de son bilan de fin de mandat. La régénération de la gouvernance politique sera son legs à son pays. Elle effacera l'image ambiguë de son mandat, mais assurément plus claire envers l'Algérie. Quels effets ou quels contrecoups sur les relations avec l'Algérie? Commençons par supposer que M. Macron s'est rendu à Alger sur le conseil du Président Hollande car rien dans le passé du candidat ne le prédisposait à effectuer cette visite. Si M. Macron sortait victorieux au deuxième tour, les relations algéro - françaises seraient assurées d'une certaine continuité, à savoir apaisement et coopération. A charge pour le successeur potentiel de construire une relation plus avancée. Il jouit d'ores et déjà d'un préjugé favorable dans notre pays. La question clé à court terme à laquelle sera confronté le candidat parrainé par le Président français, porterait en premier lieu sur le positionnement de la France sur la problématique de la succession ou de la reconduction de notre Président de la République. Bien que cette question relève de la souveraineté nationale, on a noté lors de l'élection de 2014 une sensibilité encore plus prononcée aux marques de soutiens extérieurs. Si M. Macron était élu Président, il y aura de nouveau une convergence d'intérêts. La France s'abstiendra de tout commentaire déplaisant et respectera le choix des Algériens qui sera livré par les autorités. La France donnerait aussi le signal à ses partenaires européens de respecter le choix souverain du peuple algérien. C'est d'ailleurs ce qui serait attendu. Dans la foulée de l'élection ou de la réélection, les affaires reprendront leur cours. Vue sous l'angle des intérêts nationaux bien compris, la régularité et la transparence du scrutin présidentiel en 2019 et donc tout l'enjeu démocratique interne deviendront accessoires au nom du double impératif de la stabilité politique et de la lutte contre le terrorisme. Supposons à présent que cette stratégie gagnante jusque là dérape. Lassés par les faux calculs des états-majors politiques, les électeurs de droite et de gauche seraient plus ou moins fidèles aux consignes de vote de sorte qu'une partie du report des voix se dérouterait vers l'abstention ou irait à l'extrême droite. Au final, Mme Le Pen démentirait les pronostics des sondages et deviendrait Présidente. Si ce scénario se réalisait, il aurait la magnitude d'un Brexit. Comment l'Algérie réagirait-t-elle et quel devenir en ce cas pour les relations entre l'Algérie et la France? Si cette candidate arrivait à l'Elysée et qu'elle transpose à l'international ses stratégies de la tension, elle se condamnera immédiatement à l'échec auprès des partenaires de la France et notamment de l'Algérie. Sa doctrine d'ensemble qui ressemble à «ennemis tous azimuts» et «zéro amis» est de nature à ouvrir une parenthèse à la relation entre l'Algérie et la France qui se refermerait avec son départ de l'Elysée. Elle recevrait un message de félicitations sans chaleur l'invitant au maintien des bonnes relations mais ne recevra pas d'invitation pour une visite officielle. Au sud de la Méditerranée, pourraient apparaitre deux thèses: l'une faisant valoir que le changement de régime en France est un choix souverain qui ne doit pas faire obstacle au maintien des bonnes relations d'Etat à Etat. L'autre, plus sceptique tendrait vers une prise de distance en attendant des temps meilleurs. En arrivant au pouvoir, Mme Le Pen ne pourra pas ne pas ouvrir les hostilités à la fois sur le front interne et au plan international pour développer son programme. En ce cas la première victime de sa politique sera la liquidation de l'héritage du Président Hollande dans les relations d'Etat à Etat avec l'Algérie. La deuxième victime sera la passerelle construite entre les sociétés civiles depuis l'indépendance. Certains contentieux historiques seront aussi ravivés. Dans les domaines sécuritaire et militaire, les prises seront sans doute débranchées du côté algérien. Au plan de la diplomatie régionale, les partenaires traditionnels n'auront d'autre choix que d'ostraciser la France pour contenir les nuisances et les diatribes diplomatiques du nouveau régime et faire tourner les relations bilatérales sur le mode du minimum vital. Les ruptures ainsi provoquées charrieraient leur cohorte de méfiances sur tous les plans. Les voies du dialogue et de la concertation politiques seront forcément dégradées à leur plus bas niveau. Sans dialogue et sans la confiance requise, la coopération anti terroriste par exemple deviendra impensable. Comment faire confiance à un partenaire qui invite à la défiance tous azimuts? Si Mme Le Pen s'aventurait à remettre en cause les acquis comme l'accord de 1968 sur la circulation et l'établissement des personnes, il s'ensuivrait une crise majeure dont la France sortira perdante. La gestion des rapports humains sera irrémédiablement déstabilisée. Aucune négociation ne sera possible et tout acte unilatéral côté français équivaudra à un quasi casus belli. Aucune négociation ne sera possible et la France de l'extrême droite se rendra vite compte que les Algériens ont plus d'audace dans les logiques jusqu'au-boutistes. Evidemment, aucun ministre de son gouvernement n'oserait demander à effectuer une visite en Algérie sans prendre le risque d'un échec annoncé. Si de surcroit la nouvelle Présidente s'aventurait à relire l'histoire coloniale à sa façon, ou à en faire un sujet de quelque négociation, les ponts seraient coupés et la France s'asphyxiera dans le smog des brasiers communautaires et identitaires. La fibre musulmane sera écorchée par l'amalgame islam-terrorisme porté au niveau d'une politique d'Etat dont la France fera les frais non seulement en Algérie mais partout dans le monde musulman. Dans le Maghreb, elle perdra pied et ne pourra plus compter sur le dialogue et la coopération sur le Sahel avec l'Algérie. Les différents fora diplomatiques régionaux seront neutralisés ou désertés et le dialogue euro - méditerranéen, ou ce qu'il en reste, sera miné par les attitudes irresponsables de l'extrême droite française. De plus, elle ne pourra pas compter sur l'appui des institutions communautaires dont relèvent nombre de compétences, et dont elle veut se dissocier ou prendre ses distances. Sa marge de manœuvre sera infime dans les négociations bilatérales ou dans un cadre multilatéral. Si la France quittait la zone euro ainsi que l'espace Schengen, et se retirait des accords de libre - échange, les échanges commerciaux avec l'Algérie auraient tendance à se dégrader. Il pourrait se produire un détournement des flux commerciaux vers d'autres partenaires de la zone euro ainsi que la perte des préférences commerciales au titre des accords de libre échange. De toute manière, il ne fait pas de doute que les fantasmes grandeur nature sur les matières européennes de Mme le Pen n'atteindront pas les rivages de la réalité et elle n'aura d'autre choix que le recours aux décisions unilatérales contre productives. Sans les appels d'air extérieurs pour son économie, sa culture, sa présence diplomatique, la France se dirigera vers le stade de l'asphyxie. Quant à un retour éventuel à un régime bilatéral de circulation des personnes et de la négociation par exemple d'un nouveau cadre juridique de réadmission des illégaux, il est certain que Mme Le Pen aura quitté l'Elysée avant que la discussion sur un nouvel accord bilatéral ne soit entamé. En outre, s'aventurerait-elle à faire la chasse aux étudiants algériens, à l'élite installée en France au nom de la préférence nationale, ou à la multitude des Algériens en situation précaire pour les extrader, qu'elle se heurtera à une infinité de feux éteints de ce côté-ci de la Méditerranée. A ce jeu là, la France y perdra. Dans le contexte de globalisation, l'Algérie pourrait toujours trouver des substituts aux échanges avec la France, mais la France de Marine Le Pen ne pourra pas compenser ailleurs dans le monde ses pertes de marché en Algérie, et plus largement dans le Maghreb. Comme durant les années difficiles, opérateurs nationaux et société civile seront sans doute invités à aller explorer le grand village mondial, tandis que les compagnies aériennes françaises florissantes sur les routes vers l'Algérie en subiront le contrecoup. Les traitements humiliants auxquels les ressortissants algériens auront à subir dans les ports et aéroports, les contrôles au faciès, les discriminations à l'emploi, les restrictions en matière de délivrance de visas, le harcèlement des lieux de culte, la tentation de mettre la main sur la Mosquée de Paris, sont de nature à fracturer les relations bilatérales à l'image des lignes de fracture qui se dessinent dans la société française. Et tout cela pour n'engranger aucun gain politique. Par exemple, prétendre expulser par milliers suspects et délinquants, qui plus est sans l'accord du pays d'origine, est une pure vue de l'esprit et traduit une grande ignorance des procédures diplomatiques et une méconnaissance des règles et pratiques internationales. De notre côté, une question risque d'effleurer les esprits: y aurait-il intérêt à financer par les échanges commerciaux et les transferts de capitaux un régime d'extrême droite hostile déployant ses capacités de nuisance et renouant avec les tensions bilatérales à haut risques? Tout dépendra du niveau d'hostilité qui sera atteint, mais on peut supposer qu'un certain pragmatisme prévaudra - un certain temps - pour ne pas pénaliser nos acteurs économiques et sociaux. En ouvrant une multitude de fronts avec ses partenaires dont l'Algérie, elle n'aura ni la capacité ni l'expérience pour relever les défis. Sans appuis et sans la solidarité européenne, tout bras de fer qu'elle engagerait avec ses partenaires dont l'Algérie ressemblera fort à un exercice de gesticulation ostentatoire. La Présidente n'aura alors d'autre alternative que faire la politique du pire ou perturber le statut-quo et décevoir son électorat. Dans les deux cas de figure elle sera perdante. En Algérie, où la culture des pertes de temps et des surcoûts exorbitants sont des normes en vigueur, le pays n'aura aucun mal à faire l'impasse sur cinq années de gouvernance éventuelle de Mme Le Pen. Une gouvernance d'extrême droite ne fera que dégrader les positions et les intérêts de la France en Algérie. Cette situation profitera à ses concurrents et rendra service au besoin de diversification de nos échanges extérieurs. Mais revenons à l'hypothèse la plus réaliste de la passation de pouvoir probable entre MM. Hollande et Macron. Cette passation du relais illustrera les défis de gouvernance de notre époque. Elle renverrait l'image d'un chef d'Etat droit dans ses bottes, ayant contribué à la mise à l'écart des arrières gardes politiques périmées, passant le relais à un Chef d'Etat jeune en passe de diriger une puissance nucléaire, un pays membre permanent du Conseil de Sécurité et puissance économique mondiale. Cette image laissera plus d'un rêver à la survenance du syndrome Macron dans son pays. *Ancien Ambassadeur