Abderrezak Makri a tenu la dragée haute au pouvoir et refusé de réintégrer le gouvernement. Sauf que Ce fut une semaine haletante, pleine de suspense, terminée en apothéose. Le MSP, parti islamiste modéré dirigé par Abderrezak Makri, allait-il tenir la dragée haute au pouvoir, en refusant de rentrer au gouvernement ? Pouvait-il, malgré les pressions internes et externes, et le chantage exercé par Bouguerra Soltani, ténor du parti et ministre pendant une vingtaine d'années, tenir bon, et se maintenir dans une position d'hostilité radicale au pouvoir ? Ou, à l'inverse, les choses allaient-elles rentrer dans l'ordre, avec une réintégration du MSP au sein de l'Alliance présidentielle, et donc au gouvernement, pour permettre au pays de revenir à son train-train habituel ? Les deux courants rivaux au sein du MSP avaient mis la barre très haut. Abderrezak Makri avait publiquement annoncé qu'il démissionnerait de la présidence du parti en cas de retour au gouvernement. Bouguerra Soltani, appuyé par l'ancien ministre Djaaboub et Abdelkader Saïdi, avait lui aussi fait état de son intention de démissionner, voire de quitter le parti, si celui-ci ne revenait pas à sa place naturelle au sein du pouvoir. L'histoire se terminée par un joli happy-end. Le rebelle Makri a gagné. L'homme qui avait ancré le parti dans l'opposition depuis la conférence de Zéralda, a gardé le cap. Le méchant Bouguerra, homme de compromissions et de complicité avec le pouvoir, a perdu. L'honneur était sauf, et le pays, à défaut de réussir une belle opération avec les législatives, avait gagné un parti. Sauf que Postulat erroné Sauf que tout ce qui a été dit et écrit sur cette crise au MSP s'appuie sur un postulat erroné, selon lequel le pouvoir voulait un retour du MSP au gouvernement. Mais à y regarder de près, il apparait clairement la place du MSP dans la séquence post-législatives est dans l'opposition. Cela apparait clairement quand on déroule l'agenda politique du pouvoir, dont le gouvernement n'est qu'une composante. Rappels. Le président Abdelaziz Bouteflika a fait adopter une nouvelle constitution, dont l'un des changements les plus apparents est de doter le parlement de quelques prérogatives, sans impact réel sur les grands équilibres du système. Pour former le gouvernement, le président de la république consulte la majorité parlementaire, mais il n'est pas tenu de se conformer à son avis. Il garde la main sur la question. Le parlement peut débattre de sujets qu'il veut, mais il n'a pas de poids face au chef de l'Etat. Le pouvoir veut donner corps à cet amendement constitutionnel. Il veut avoir un parlement très bruyant, où se concentreraient les affrontements et les polémiques, mais capable de capter et de canaliser une partie de la contestation. Cela donnerait l'impression d'une démocratie parlementaire vivante, bouillonnante, très dynamique. Mais comme le parlement est, d'un côté, sans pouvoirs réels, et d'un autre côté, sous contrôle, cela ne présenterait aucun danger significatif. Un cadre institutionnel vide Un MSP contestataire a naturellement sa place dans cette frange « rebelle » de l'assemblée. Avec Louisa Hanoune parlant au nom des travailleurs, le FFS qui essaie de donner du contenu politique à une assemblée aride, le MSP peut apporter une touche supplémentaire pour donner ce minimum de vie dont le pouvoir souhaite doter le parlement. Dans un contexte tout à fait différent, Abderrezak Makri jouera le rôle qu'a assumé Ali Benflis lors de la présidentielle de 2014. Car pour le pouvoir, l'objectif ultime est d'avoir une opposition contenue dans un cadre institutionnel, mais vide de préférence. Ce qui pousse un analyste à voir dans ce choix une volonté de «partager des insuffisances au sein d'un gouvernement, ou de continuer à fabriquer des carences en dehors». En tout état de cause, le pouvoir n'a pas besoin du MSP dans la majorité parlementaire. Avec le FLN et le RND, il dispose déjà d'un plat consistant de frites-omelette, qu'il peut assaisonner comme il veut avec de la mayonnaise, de la moutarde ou du ketch-up, en disposant d'un large choix offert par TADJ, le MPA, l'ANR et les indépendants. Plus tard, estime un autre analyste, «le statut d'opposant du MSP pourrait être utile dans une alliance gouvernementale, en cas d'aggravation de la situation sociale». «Radicaliser» Makri Il ne reste plus qu'à dérouler les séquences à travers lesquelles Abderezak Makri a été manœuvré. Dans un premier temps, le premier ministre Abdelmalek Sellal l'a rencontré pour l'inviter à entrer au gouvernement. A ce moment là, M. Sellal n'était pas officiellement chargé de former le nouveau gouvernement. L'initiative de M. Sellal avait d'ailleurs suscité des interrogations : pourquoi s'est-il lancé dans cette initiative alors que les procédures constitutionnelles prévoient une autre démarche ? Formellement, après des législatives, le premier ministre présente sa démission. Il peut être reconduit après l'installation de l'Assemblée, auquel cas il entame les consultations. Il est dès lors clair que ses contacts répétés avec M. Makri avaient un autre objectif : le pousser à se « radicaliser ». Une surenchère sur la position du MSP a ensuite été organisée. Avec la complicité ou la duplicité des dirigeants du MSP, peu importe. De déclarations enflammées en surenchères, les courants qui animent la direction du parti en sont arrivés à des positions inconciliables. Elles ont donné le résultat attendu. Avec un coup de pouce discret et décisif pour délégitimer Bouguerra Soltani : à la veille du vote du conseil consultatif du MSP, une information faisant état de la condamnation de son fils pour détention d'héroïne a été rendue publique. Pour le MSP, l'honneur est sauf. Le parti va participer à animer l'opposition. Abderrezak Makri obtient un label officiel d'opposant, et Bouguerra Soltani, expert en voltes-faces, a finalement renoncé à démissionner.