La tension actuelle dans le Golfe est née de la volonté de l'Arabie Saoudite de mettre, en quelque sorte, au pas l'émirat de Qatar, accusé de soutien au terrorisme. Le politologue et enseignant universitaire Abdelaziz Djerrad a souligné, hier dimanche, dans une intervention à la radio nationale que «le Qatar estime que l'Arabie Saoudite veut le mettre sous tutelle», en l'accusant de soutenir le terrorisme et de se rapprocher de l'Iran, ennemi N°1 des Saoudiens. Le «début de la crise a commencé après la vive polémique suscitée par les (supposés) propos de Cheikh Temim du Qatar, qui aurait critiqué l'Arabie Saoudite et l'a accusée d'isoler l'Iran», à travers une dépêche de l'agence Qatarie, qui aurait été piratée.» Mais, pour le politologue algérien, cela «a entrainé une tension, qui n'est que la couverture d'une situation de crise latente depuis un certain temps» entre l'Arabie Saoudite et le Qatar. Pour lui, il y a trois éléments fondamentaux qui illustrent cette crise: 1) l'Arabie Saoudite reproche au Qatar de soutenir les frères musulmans; 2) Ryad considère que le Qatar a dépassé la ligne rouge en se rapprochant de l'Iran, ennemi héréditaire; 3) que le Qatar ait remis en cause le statut de leadership de Ryad en tentant de rivaliser dans les domaines économique, commercial et géopolitique.» En fait, estime M. Djerrad, «c'est une situation de fond qui pose un réel problème dans la région du Golfe.» La suite des événements est tout autant problématique. Il estime dès lors que «le scénario le plus proche c'est d'aller vers une escalade diplomatique dans les propos, une tension qui va imposer progressivement aux partenaires dans la région (Koweït, Etats-Unis, Russie) à intervenir et trouver un compromis entre les protagonistes.» «Le second scénario c'est d'aller vers une rupture en mettant en cause le régime de Qatar. C'est difficile de l'imaginer, mais le 3ème scénario c'est d'aller vers un conflit armé, ce qui est à écarter», relève cet expert des questions politiques arabes. Dés lors, cette situation, pour M. Djerrad, «ne profite pas au monde arabe et est un facteur de déstabilisation des pays arabes». Pour autant, cette situation «profite beaucoup plus aux multinationales, aux Etats-Unis, à Israël et aux pays occidentaux», relève t-il, estimant que le Qatar «est le maillon faible dans la région.» Car, pour lui, «ce qui est ciblé, c'est l'Iran. Le Qatar partage avec l'Iran la nappe de gaz, et il est obligé d'avoir des relations d'intérêts économiques pour en tirer le maximum de profits.» Et, au bout de cette logique, «le risque c'est de revenir vers ce conflit chiite/sunnite, Iran-Arabie Saoudite, qui fait que nous sommes dans une situation de risque majeur dans les prochaines années, avec même une guerre régionale et même mondiale». M. Djerrad souligne que ce «sont en fait les Etats-Unis qui dictent leur stratégie aux pays du Golfe. C'est clair que Trump, a-t-il ajouté, était informé, qu'il a laissé faire et qu'il va mettre tout le monde dans une même logique pour calmer tout le monde». «C'est un conflit entre alliés, le Qatar et l'Arabie Saoudite sont dans le camp américain», rappelle le politologue Algérien, qui précise que «c'est une tension qui cache des intérêts économiques et géopolitique majeurs», avec ses effets directs autant en Asie, en Russie, en Chine et en Méditerranée et l'Europe centrale. «Les pays du Golfe sont au milieu de cette ligne de fracture extrêmement importante et qui risque de nourrir des conflits futurs», a-t-il affirmé. D'autre part, il estime qu'au fond, l'Arabie Saoudite et ses alliés «exigent de Qatar de changer sa politique étrangère, et le projet (dans la région) de Trump c'est de constituer une sorte d'Otan régionale.» Or, «c'est un mythe, car il n'y a pas de stratégie réelle dans la région pour lutter contre le terrorisme», souligne-t-il avant de s'interroger sur le type de terrorisme qu'on veut combattre: «le Hamas, le Hezbollah, des Etats comme la Syrie ? Ils sont montrés du doigt par l'Arabie Saoudite. Or, il y a tellement d'éléments qui font que Ryad est derrière le soutien d'un certain nombre de groupes terroristes», a-t-il rappelé. Il ajoute que «le wahhabisme est une idéologie qui fondamentalement correspond aux idéaux du terrorisme, et justifie les actes terroristes». «Dire que Doha soutient le terrorisme, c'est peut être exagéré en essayant d'écarter toute responsabilité de l'Arabie Saoudite. C'est ainsi que se pose le problème.» Quant à l'Egypte, M. Djerrad estime qu'elle s'est depuis longtemps, après la disparition de Nasser, «mise sous tutelle de l'Arabie Saoudite, pour l'argent et au plan géopolitique, elle est sous l'autorité des Américains, qui financent une bonne partie de l'armée égyptienne. Ils ont soutenu le coup d'état de Sissi, car l'islamisme des Frères Musulmans est un islam politique qui passe par les urnes.» Si le concept de Grand Moyen Orient est «une idée dépassée», «le risque c'est d'aller vers le printemps des monarchies», explique par ailleurs M. Djerrad pour qui «c'est le début de la grande question et le risque de voir ce qui a été construit depuis la seconde guerre mondiale dans la région, détruit. Les Occidentaux vont-ils aider les wahhabites à aller vers un islam modéré, apaisé?» La ligue arabe «n'existe plus», estime par ailleurs cet expert, car les pays arabes «n'ont plus la capacité de trouver des solutions», et «sont dans une situation de crise». Pis, «ils sont complètement dépassés par les événements, et les Occidentaux et les autres puissances imposent donc leur logique dans le monde arabe, du Golfe à l'Atlantique.» M. Abdelaziz Djerrad a publié en octobre dernier un essai sur «La Géopolitique, repères et enjeux».