Réactions - Les appels à l'apaisement se sont multipliés dans la crise entre le Qatar et l'Arabie saoudite et ses alliés, le président américain Donald Trump ayant appelé à "l'unité" des pays du Golfe après avoir soutenu l'isolement de Doha. Le Koweït qui, lui, n'a pas rompu avec le Qatar, tente une médiation. Son émir s'est rendu en Arabie saoudite où il a dit que son entretien avec le roi Salmane "reflétait un intérêt commun à soutenir la bonne marche" du Conseil de Coopération du Golfe (CCG), a indiqué mercredi l'agence officielle Kuna. Créé en 1981, le CCG, qui regroupe des monarchies pétrolières sunnites contrôlant le tiers des réserves mondiales de brut, est formé de six pays Arabie saoudite, Bahreïn, Qatar, Emirats arabes unis, Koweït et Oman. Ce dernier est resté à l'écart de la crise. La France et la Russie se sont inquiétées de la tournure de la crise. Dans un entretien téléphonique avec l'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, le président français Emmanuel Macron s'est dit prêt à soutenir "toutes les initiatives pour favoriser l'apaisement". Son homologue russe Vladimir Poutine a appelé l'émir du Qatar à favoriser le dialogue. Selon la chaîne CNN, des pirates russes seraient à l'origine d'une attaque informatique contre l'agence de presse du Qatar fin mai, qui a été l'élément déclencheur de la crise ouverte, de faux propos selon Doha ayant été attribués à l'émir Tamim sur des dossiers sensibles. Le but de la Russie avec ce piratage était de provoquer des divisions entre les Etats-Unis et leurs alliés, a affirmé CNN en citant des enquêteurs américains. Le FBI participe à l'enquête du Qatar sur ce piratage, dont les résultats pourraient être publiés cette semaine à Doha. Le Kremlin a rejeté ces accusations qui ne s'appuient sur "aucune preuve". La rupture a entraîné une suspension de vols aériens, la fermeture des frontières terrestres et maritimes avec le Qatar, ainsi que des interdictions de survol aux compagnies qataries et des restrictions aux déplacements des personnes. Doha a rejeté les accusations de "soutien au terrorisme". Il n'y a "aucun élément prouvant que le gouvernement du Qatar soutient des islamistes radicaux", a plaidé sur la BBC le chef de la diplomatie cheikh Mohamed ben Abderrahmane Al-Thani. Mais son homologue saoudien Adel al-Jubeir a sommé de nouveau Doha de "changer sa politique" et de cesser de soutenir les "groupes extrémistes", dont le Hamas palestinien qui s'est dit mercredi "choqué" par cette déclaration. Le soutien d'Erdogan Le président turc Recep Tayyip Erdogan a critiqué hier les sanctions "pas bonnes" prises par l'Arabie saoudite et ses alliés contre le Qatar, pays avec lequel Ankara compte, a-t-il dit, "développer" ses relations. "En tant que Turquie, nous allons poursuivre et développer nos relations avec le Qatar, comme avec tous nos amis qui nous ont soutenus dans les moments les plus difficiles, notamment le putsch du 15 juillet", a ajouté le président turc qui s'exprimait pour la première fois sur ce sujet en public. La Turquie entretient des rapports privilégiés avec le Qatar, mais a aussi de bonnes relations avec les autres monarchies du Golfe, notamment l'Arabie saoudite. De fait, s'il a pris la défense de Doha, M. Erdogan s'est bien gardé d'émettre la moindre critique envers Ryad, appelant les pays membres du Conseil de coopération du Golfe à "résoudre leurs différends par la voie du dialogue". "Les efforts en vue d'isoler le Qatar (...) ne permettront de résoudre aucun problème de quelque manière que ce soit", a déclaré M. Erdogan, qui a loué le "sang-froid" et l'"approche constructive" de Doha. "Dans cette affaire, certains sont en train de manigancer quelque chose, mais nous n'avons pas encore réussi à identifier qui est derrière ce jeu", a énigmatiquement ajouté le chef de l'Etat turc. Calme inquiétant dans le gigantesque aéroport Hamad Un calme inquiétant régnait hier dans le gigantesque aéroport international Hamad de Doha, l'un des plus luxueux au monde, visé par un boycott régional et où sa compagnie phare, Qatar Airways, ne peut plus décoller en direction de plusieurs pays arabes. L'interdiction faite à Qatar Airways de voler vers l'Egypte, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l'Arabie saoudite --où sa licence a été retirée-- a eu un effet immédiat sur l'aéroport Hamad qui se voulait la "porte d'entrée du Qatar sur le monde". La suspension des vols "jusqu'à nouvel ordre" est l'une des nombreuses mesures décidées par l'Arabie saoudite et ses alliés dans le sillage de la rupture des relations diplomatiques. "C'est l'aéroport le plus calme que j'ai jamais vu", s'étonnait Katie en transit pour la Thaïlande. "C'est d'un calme presque inquiétant". L'immense structure, qui a coûté 16 milliards de dollars (14 milliards d'euros) et qui a été ouverte il y a trois ans, semble en temps normal assez vide en raison de son gigantisme. Hier, l'aéroport était quasiment désert. Les opérations militaires américaines ne sont «pas affectées» Les opérations militaires américaines au Qatar ne sont "pas affectées" par la crise autour de cet Etat clef pour le dispositif militaire américain au Moyen-Orient, placé à l'isolement par les autres pays du Golfe et critiqué par Donald Trump. "Au niveau des opérations militaires il n'y a pas eu d'impact", a déclaré le porte-parole du Pentagone Jeff Davis lors d'un point presse. Le Qatar joue un rôle clef dans le dispositif militaire américain au Moyen-Orient, avec près de 10.000 troupes américaines déployées dans le pays. La plus grande partie de ces troupes sont des personnels de l'US Air Force installés sur la base aérienne d'Al-Udeid, qui commande toute les opérations aériennes américaines au Moyen-Orient et notamment les opérations aériennes de la coalition contre le groupe Etat islamique. Sur le plan opérationnel, elle est une importante plate-forme pour les avions ravitailleurs KC-135, les bombardiers lourds, les avions de transport, et les avions de reconnaissance et de surveillance opérant dans la région. Le Hamas «choqué» Le Hamas s'est dit ce mercredi "choqué" par l'appel de Ryad à son grand parrain le Qatar pour qu'il cesse de soutenir le mouvement islamiste palestinien, sur fond de crise dans le Golfe, notamment à propos du financement du "terrorisme". "C'est une incitation à la haine contre le Hamas", a estimé le Hamas dans un communiqué, après que le ministre saoudien des Affaires étrangères a exhorté le Qatar à ne plus soutenir le mouvement islamiste, auquel Adel al-Jubeir reproche de "saper l'autorité" de l'Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas. Le Qatar assure une grande partie du financement de la reconstruction dans la bande de Gaza après les trois guerres menées par Israël depuis 2008 dans l'enclave palestinienne. C'est notamment ce riche émirat gazier du Golfe qui paye régulièrement l'approvisionnement en fuel et en électricité des Gazaouis, que l'Autorité palestinienne refuse désormais de prendre en charge. Le cafouillage de Trump l Hier matin, quelques heurs donc avant son revirement de la soirée ou il appelait les pays du Golfe à l'unité, le président américain a jeté un froid sur les relations avec le Qatar et instillé un doute sur l'avenir de la principale base aérienne américaine dans la région, près de Doha, où environ 10.000 militaires sont stationnés. Dans une série de tweets, Donald Trump avait apporté un soutien tacite à l'isolement du Qatar par les pays de la région, suggérant que le petit Etat du Golfe finance l'extrémisme. Il a dit voir dans la rupture des relations diplomatiques avec le Qatar décidée par l'Arabie saoudite, l'Egypte, les Emirats arabes unis et d'autres Etats du Golfe, ce qui "pourrait être le début de la fin de l'horreur du terrorisme". Le président des Etats-Unis a également semblé s'attribuer un rôle dans cette mise au banc du Qatar, décidée après son voyage dans la région fin mai. "Tellement bon de voir que la visite en Arabie saoudite avec le roi et 50 pays porte déjà ses fruits", a-t-il écrit sur Twitter. "Nous avons des milliers de soldats au Qatar, c'est très choquant que le président fasse des déclarations de politique étrangère sur Twitter sans consulter ses conseillers pour la Sécurité nationale sur les conséquences possibles pour nos troupes", a réagi le sénateur démocrate Chris Murphy. Ces déclarations suscitent également l'inquiétude à Washington sur un possible renversement des équilibres politiques dans la région. Mais, revirement quelques heures plus tard, M. Trump a souligné qu'un CCG "uni était crucial pour vaincre le terrorisme et promouvoir la stabilité dans la région", lors d'un entretien téléphonique avec le souverain saoudien. Il y a quelques semaines à Ryad, Donald Trump s'affichait pourtant tout sourire avec le Cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani, en disant "nous sommes amis, nous sommes amis depuis longtemps". «Trumpisation» Le ministre allemand des Affaires étrangères Sigmar Gabriel a accusé le président américain d'attiser les conflits au Moyen-Orient. "Une telle 'trumpisation' des relations dans une région de toute façon en proie aux crises est particulièrement dangereuse", a-t-il dit en dénonçant les récents méga-contrats militaires conclus entre Washington et Ryad. D'autres grandes capitales, comme Paris et Moscou, s'inquiètent de la tournure de la crise. Dans un entretien téléphonique avec l'émir du Qatar, cheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, le président français Emmanuel Macron s'est dit prêt à soutenir "toutes les initiatives pour favoriser l'apaisement". Son homologue russe Vladimir Poutine a appelé l'émir du Qatar à favoriser le dialogue. L'Iran espère tirer profit Vue de Téhéran, la crise sans précédent entre le Qatar et ses voisins du Golfe présente de nombreux avantages, mais risque aussi d'envenimer la situation dans une région déjà instable, selon des analystes. "Les Saoudiens ne savent pas mener de politique étrangère, ils se battent avec la plupart de leurs voisins", affirme Foad Izadi, professeur en relations internationales à l'université de Téhéran. Cette crise "donne au moins au gouvernement iranien une occasion de montrer qu'il est l'acteur mûr et responsable de la région", ajoute-t-il. Il donne également à Téhéran l'opportunité "d'accroître ses relations avec le Qatar qui a désormais besoin de l'Iran pour ses liaisons aériennes et la fourniture de denrées alimentaires", affirme l'universitaire iranien. Après la décision de Ryad et de plusieurs de ses alliés de rompre leurs relations diplomatiques, aériennes, terrestres et maritimes avec Doha, Téhéran n'a pas traîné à lui offrir l'accès à son espace aérien et à lui proposer d'importer de la nourriture.