Le «plan d'urgence 2018» du collectif Nabni pèche, comme les précédents, par un handicap majeur. Il se base sur le postulat selon lequel le choix de la réforme est acquis. Nabni persiste et signe. Dans la production d'idées autour de la réforme, mais aussi dans l'ambiguïté, voire l'erreur, concernant la conception et l'exécution de ces réformes. Poursuivant ses propositions de réforme de l'économie algérienne, le groupe de réflexion, qui a décidé de se donner une existence légale, a publié début novembre un «plan d'urgence 2018», dans lequel il affine sa démarche. Après un plan «Abda» (Commence !), et «Abda II», restés sans écho, il se lance dans une troisième tentative, un plan d'urgence à engager dès 2018 pour éviter l'iceberg, selon la fameuse formule lancée il y a six ans déjà. Mais autant les prédictions de Nabni se sont révélées fondées, certaines s'étant - malheureusement - concrétisées sur le terrain, autant la mise en musique proposée par Nabni pour «rappeler l'urgence de commencer les réformes» pose problème. De fait, autant les idées proposées sont fouillées, parfois innovantes, autant la démarche proposée pour une éventuelle mise en application demeure controversée. Particulièrement quand on rappelle les mauvaises expériences algériennes dans ce domaine. Le principal écueil tourne autour de la décision de réforme, non du contenu. Qui fait quoi ? A quel titre ? Sur ce terrain, la démarche de Nabni prêche par naïveté, ou par excès de prudence politique. Le collectif ne tient pas compte de la nature du pouvoir en place, ni de la logique d'exercice du pouvoir dans laquelle fonctionne le gouvernement. Prérequis Cela amène Nabni à faire abstraction du réel. A sous-estimer tout le volet politique du dossier. Comment en effet attendre le lancement d'un train de réformes de l'économie de la part d'un gouvernement dont la motivation fondamentale n'a rien à voir avec la réforme, dont la survie ne peut être garantie que par le statuquo politique ? Demander à ce même gouvernement d'instituer une «Delivery Unit», une sorte de groupe commando transversal chargé de piloter la réforme n'a guère de sens si ce gouvernement n'est pas imprégné de l'idée de réforme. Encore moins s'il lui est hostile, ce qui ne fait aucun doute avec M. Ouyahia : une réforme de l'économie remettrait en cause sa légitimité et celle des groupes qui l'ont porté au pouvoir. Il n'a donc aucun intérêt à ce que les règles du jeu changent. Nabni l'admet, même s'il utilise d'autres mots pour le dire: «les engagements de conduire des réformes ( ) ont malheureusement très peu de crédibilité dans le contexte actuel», peut-on lire dans le document publié début novembre. Pérennité et légitimité Dans le détail, Nabni estime que, «compte tenu du nombre, de l'importance et de la complexité des réformes à mettre en place par notre administration, il est impératif de prévoir des mécanismes de gestion des réformes et du changement via la mise en place d'une « Delivery Unit ». Cette «unité spéciale dédiée à la gestion et au suivi des réformes aurait pour mission de mener à bien les réformes prioritaires contenues dans ce plan d'urgence et serait placée au niveau du Premier ministère afin que son action soit efficace et ses interventions soutenues». L'expérience a été tentée avec la «Task Force», qui a été instituée auprès du Premier ministre sous le gouvernement de M. Sellal. Cela a débouché sur un énorme gâchis. D'une part, M. Sellal a «picoré» ce qui était à sa portée dans les propositions de la «Task Force», sans se soucier de l'absence de cohérence de ces mesures avec le reste de ses choix économiques. D'un autre côté, la «Task-Force» n'a pas survécu à M. Sellal. Ce qui pose la question de la légitimité et de la pérennité de cette «Delivery Unit». D'où tient-elle sa légitimité ? A quel titre peut-elle proposer et appliquer un programme de réformes, une tâche qui devrait incomber au gouvernement, avec l'appui d'une majorité parlementaire et donc des partis la composant ? Qui endosse les réformes ? Dans une autre contribution, l'économiste Nour Meddahi tire les leçons des échecs passés. Il affirme que «les réformes structurelles de grande envergure, de fait impopulaires, ne peuvent être faites par un Premier ministre qui peut être débarqué du jour au lendemain». Pour lui, «c'est le Président qui doit mener les réformes, en discutant avec les partenaires sociaux, en faisant les arbitrages et en s'adressant à la Nation pour expliquer les choix douloureux». Autrement dit, le choix de la réforme de l'économie doit être endossé au plus haut niveau de l'Etat pour être légitime et crédible. Il ne s'agit pas de mesures techniques et financières que des experts seraient chargés de lancer, mais d'un choix politique publiquement énoncé et officiellement assumé. Ce qui montre la défaillance de la démarche proposée par Nabni. Celle-ci prend en charge la réforme à partir du moment où le choix de la réforme est admis chez les décideurs politiques, lesquels auraient juste besoin d'une expertise dans la gestion de la réforme. Il s'agit peut-être d'une référence à ce qui s'était passé à la fin des années 1980, quand Président de la République et Premier ministre étaient acquis à l'idée de réforme, et qu'ils butaient sur l'hostilité de la bureaucratie et des appareils politiques, à un moment où les idées de réformes étaient nouvelles et mal cernées. Ce n'est plus le cas. Aujourd'hui, l'écueil principal se situe ailleurs. Il réside dans le refus du système en place d'admettre que le modèle actuel est fini, et que la réforme n'est pas une coquetterie, mais une nécessité absolue, ce que, du reste relève Nabni, en soulignant qu'avec «un baril à 120 dollars ou à 50 dollars, rien ne change à la liste des vraies réformes». Une fois l'idée de réforme endossée par le pouvoir, - et éventuellement par l'opposition, ce qui offrirait des garanties supplémentaires de succès -, la mise en musique ne constituera plus qu'une ultime phase dont les séquences, le rythme et le calendrier pourront être débattus, même si la réforme n'est pas une longue gouvernance tranquille.