L'Algérie dispose d'un sursis d'une année pour éviter le risque d'un cinquième mandat et d'une succession clanique. Le cinquième mandat est à nos portes. Il s'installe tranquillement, par petites touches. Sans faire de vagues. On en parle un peu, puis beaucoup. On rend l'idée familière aux Algériens, malgré son côté grotesque. On en fait un évènement possible, plausible, avant de le rendre probable, à défaut d'être souhaitable. Face à la résignation des uns et des autres, face à l'incapacité des acteurs politiques et sociaux à présenter une alternative crédible, on en fera un horizon inévitable ; un fait accompli, une fatalité. « Vous savez bien qu'il n'y a rien à faire », diront les uns. « Le système est trop fort », diront les autres pour expliquer la défaite d'un pays face à l'inqualifiable. Certes, beaucoup soulageront leur conscience en lançant à la cantonade un « tous pourris » vengeur, à travers lequel ils auront le sentiment d'avoir accompli l'acte politique ultime ; d'autres retourneront à leurs claviers pour se moquer de l'accent de tel patron et des mensonges de tel chef de parti ; certains iront même sur les plateaux télé expliquer l'absurdité d'un mandat burlesque, ou iront défier les forces de sécurité dans la rue, pour exprimer leur refus d'une humiliation collective ; mais au final, le train du pouvoir poursuivra son chemin. Une petite augmentation de salaire par-ci, un petit jour férié pour Yennayer par-là, et, au bout de quelques opérations de relogement, le pays s'installera, résigné, dans le non-sens. Absence de règles Le cinquième mandat a ses partisans. Il ne faut pas s'y tromper. Et ils sont nombreux : des clients d'un système qui ont réussi à accéder à des privilèges qu'une compétition saine ne leur aurait pas permis d'atteindre ; des hommes corrompus qu'une justice indépendante condamnerait ; des « hommes d'affaires » qui se sont enrichis de manière illicite ou illégale, et qui ne veulent pas rendre des comptes ; d'autres « hommes d'affaires » qui continuent de s'enrichir de manière illicite ; des représentants d'appareils syndicaux qui ont transformé leurs organisations en un système mafieux, vivant sur le dos des travailleurs quand ils ne les rackettent pas ; des appareils squattant le champ politique et faussant la représentation politique locale et nationale ; des tas d'acteurs politiques, économiques et sociaux douteux, vivant dans l'opacité et l'informel, et que la réhabilitation de règles légales et morales ferait disparaitre : comme on le voit la liste est longue, très longue. Ecarter les fausses solutions En face, l'Algérie laborieuse reste dans l'expectative. Elle hésite. Elle veut, mais elle se demande si elle peut. Elle s'interroge pour savoir si elle dispose des leviers nécessaires pour changer le cours des choses. Elle cherche qui peut incarner ce changement, par quels moyens, et selon quelles méthodes il pourrait le faire. Les fausses solutions ont été écartées. C'est déjà ça de gagné : aucun refuge dans la religion ne constitue une alternative, aucun zaïm ne démocratisera l'Algérie, aucun appareil politique ne pourra, à lui seul, mener le changement, aucun candidat isolé ne fera le poids face à celui du système. Que reste-t-il alors ? Peu de choses, à vrai dire. Mais il faut innover. Explorer de nouvelles pistes. Se concerter pour élaborer, et mener ensemble, un changement pacifique, dans le respect de la légalité. C'est là que le pays a montré ses limites. Il n'est plus capable de mener des actions collectives. Des partis, des personnalités, des intellectuels sont capables de développer des approches cohérentes, mais dès qu'il s'agit de travailler ensemble, c'est l'impasse. Le pouvoir s'en délecte. Pour imposer un cinquième mandat, il n'a besoin de rien faire. Il a juste besoin que les autres ne fassent rien. Cette échéance apparaitra alors comme inéluctable. Certes, le pouvoir dispose déjà de sa force d'inertie, de sa force corruptrice, et de la force brutale si nécessaire. Mais sa force principale réside dans l'incapacité de la société à s'organiser pour produire des alternatives. On peut rétorquer que le pouvoir agit de manière méthodique pour détruire ces alternatives, ce qui est vrai. Mais ce n'est pas suffisant. Sursis d'une année L'Algérie dispose d'une année pour organiser une alternative positive, et éviter aussi bien un cinquième mandat qu'une succession clanique. Elle peut le faire en tirant les leçons des échecs antérieurs, en détournant à son profit les prochaines échéances : imposer son agenda au lieu de subir celui du pouvoir ; imposer une thématique de la présidentielle plutôt que d'attendre que le pouvoir ne dicte les siennes ; élaborer une feuille de route pour un candidat de la démocratie, plutôt que de se chamailler pour savoir qui sera candidat. Mais plus que tout, l'Algérie hors système doit se mettre en mouvement au lieu de subir les évènements. Elle doit se défaire de cette attitude où elle est à a fois fascinée et paralysée par ce que fait le pouvoir, où elles et occupée à commenter les décisions et les incohérences du gouvernement au lieu de travailler à son propre projet. Celui-ci est d'une grande simplicité. De quoi a besoin l'Algérie aujourd'hui ? De faire la différence entre le fondamental, l'important et le secondaire. Le fondamental peut être dit en deux lignes : Etat de droit, pluralisme, démocratie, respect des Droits de l'Homme, institutionnalisation du pouvoir, règles claires pour l'accès et l'exercice du pouvoir, édification de pouvoirs efficaces et de contre-pouvoirscrédibles. C'est suffisant pour permettre au pays de redémarrer. Si, malgré tout, le cinquième mandat s'impose, ce ne sera pas seulement l'échec du pouvoir. Ce sera aussi la faillite des institutions du pays, incapables de libérer de ses archaïsmes, mais aussi celle de l'opposition, qui n'aura pas présenté une alternative forte.