De centre transplanteur par excellence, l'établissement hospitalier spécialisé (EHS) d'uro-nephrologie et de transplantation rénale de Constantine est réduit actuellement à un simple service d'hémodialyse, dommageable aux patients éligibles à la greffe, victimes d'un statu quo fatal qui a «cassé les reins» à ce fleuron de la transplantation rénale. Pionnier dans la greffe rénale en Algérie dans les années 2000 avec 6 greffes réalisées sur cadavre, dont la première remonte à décembre 2002, l'EHS «Dr Abdelkader Boucherit» de Constantine est aujourd'hui à la traine, plombé par un dissentiment inextricable entre acteurs «premiers de cordée», intervenant dans le processus de transplantation. Cette situation fait, à ce titre, «regretter» à Badrou Rahab, président de l'association des greffés de Constantine et l'un des tous premiers greffés de l'EHS, cette «période révolue où les opérations de greffe rénale se succédaient, redonnant l'espoir et une seconde vie aux insuffisants rénaux». Opéré en octobre 2000 à l'EHS Daksi à l'âge de 24 ans, M. Rahab déplore, dans une déclaration à l'APS, «l'arrêt de la greffe rénale dans cet établissement hospitalier qui était leader en Algérie en la matière», saluant néanmoins «l'engagement sans faille de l'équipe médicale du service de néphrologie qui continue d'assurer la prise en charge et le suivi nécessaires aux patients». Des patients «fragiles», souligne-t-il, car «les greffés vivent en permanence avec la peur du rejet, ils ont besoin d'une hygiène de vie spéciale d'autant qu'ils peuvent être sujet à toutes sortes de problèmes de santé», ajoutant que ces malades considèrent cet EHS comme «une seconde maison où ils se sentent en sécurité». Le président de l'association des greffés de Constantine évoque aussi l'impossibilité pour les patients éligibles à une éventuelle greffe rénale d'effectuer certains prélèvements, examens cliniques et radiologies au sein de cet établissement ce qui les contraints, dit-il, à se rendre au CHU Benbadis de Constantine ou à Alger, citant le cas du typage sérologique de HLA (une analyse indispensable réalisée avant une greffe rénale). Selon lui, les activités de cet EHS se résument actuellement à des séances d'hémodialyse, au demeurant budgétivores, et à des interventions d'urologie alors que des dizaines de malades aspirent à recevoir un rein salvateur qui les arrachera à l'emprise du générateur de dialyse. Des greffes par «procuration» Depuis la première greffe rénale réalisée le 7 mai 2000 sur un malade originaire de Tébessa, l'EHS Dr Abdelkader Boucherit comptabilise, à ce jour, «une centaine de greffes», en plus d'une douzaine de greffes par »procuration», effectuées depuis 2016 dans les services de néphrologie des CHU d'Annaba et Batna, a-t-on appris. A défaut d'être opérés au sein même de l'EHS de Constantine, «l'équipe médicale du service de néphrologie procède, comme toujours, à la préparation des malades et aux dossiers médicaux», explique Dr Souheila Zemmouchi, chef de service, précisant qu'une «trentaine de couples» (donneurs-receveurs) sont suivis en ce moment dans la perspective d'une transplantation rénale à Annaba ou Batna. C'est notamment le cas d'Amira, une étudiante de 25 ans, qui s'apprête à recevoir le rein de sa grande s£ur, dont la compatibilité a ravivé chez elle une lueur d'espoir, d'autant qu'elle se soumet, confie-t-elle, aux éprouvantes séances d'hémodialyse depuis trois mois. Approchée au sein du service de néphrologie, Amira nourrit beaucoup d'espoir et exprime le souhait que l'intervention de transplantation rénale, prévue à Annaba, lui permettra de reprendre le cours de sa vie là où il s'est interrompu depuis la découverte de sa maladie. Elle a également fait part de son «soulagement» de ne pas souffrir d'une quelconque autre pathologie qui annihilerait toutes ses chances d'être greffée, accomplissant avec beaucoup de courage les nombreux examens médicaux et analyses exigés, dont la majorité doit être effectuée dans d'autres structures de santé. A ce titre, Dr Zemmouchi a plaidé en faveur d'un «regroupement» de toutes les disciplines au sein de la clinique rénale de Constantine, afin que les patients puissent faire les prélèvements, les examens complémentaires et la greffe au même endroit, mais aussi en vue d'une meilleure prise en charge post-opératoire des greffés. Des «entraves» pénalisantes pour les malades Fort d'une équipe de 10 chirurgiens, le service de transplantation rénale de l'EHS Dr. Abdelkader Boucherit n'a effectué «aucune greffe rénale depuis 2014 et ce, en dépit de l'existence de trois salles opératoires fonctionnelles, conformes et dotées d'équipements modernes», a relevé Abdelghani Fadel, directeur de cette structure sanitaire. «La greffe rénale est à l'arrêt à Constantine à cause d'entraves existant au niveau du service de transplantation rénale», a-t-il précisé, mettant l'accent, à cet effet, sur «l'absence de rendement du médecin chef du service depuis 12 ans, contraignant l'EHS à trouver une solution de substitution en transférant les malades vers les wilayas de Annaba et Batna». Abondant dans le même sens, Laid Benkhedim, directeur local de la Santé, fait état lui aussi «d'entraves» au niveau du service de transplantation rénale qu'il impute au médecin chef de service, en dépit de la disponibilité de «tous les moyens humains et matériels nécessaires». Il a fait savoir, à ce propos, qu'un «rapport circonstancié a été transmis au ministère de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière en vue de trouver les solutions adéquates», ajoutant qu»'en attendant de réorganiser cette activité (la greffe rénale) à Constantine, les patients sont orientés vers les hôpitaux d'Annaba et de Batna». Contacté par l'APS, le médecin chef de service d'urologie et de transplantation rénale à l'EHS «Dr Abdelkader Boucherit», Pr. Abderrezak Dahdouh se défend, pour sa part, de «faire entrave» aux opérations de greffe rénale suspendues depuis plusieurs années à Constantine, renvoyant le problème à «une crise de gestion» au niveau de cet établissement de santé. Attestant avoir «informé le ministère de la Santé de la situation», ce spécialiste affirme que le statu quo n'est pas lié à «l'incompétence et à l'absence de volonté, mais à un manque de moyens», estimant, à ce titre, avoir «une obligation de moyens pour ne pas faire courir de risques aux patients, notamment pour une intervention lourde comme la greffe rénale». Comptabilisant un effectif global de 447 personnes, l'EHS d'uro-nephrologie et de transplantation rénale de Constantine repose sur un personnel médical pluridisciplinaire (chirurgie, hémodialyse, analyses), se trouvant aujourd'hui dans l'attente d'une réaction de la tutelle et qui assure que l'établissement a les «reins suffisamment solides» pour réactiver la greffe rénale.