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Le PDG de Sonatrach se confie au « Le Quotidien d'Oran »: L'affaire BRC, le départ des cadres, Augusta…
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 03 - 06 - 2018

Abdelmoumène Ould Kaddour a accepté, durant une discussion à bâtons rompus que nous avons eue avec lui mardi dernier, de répondre à nos questions. Sans complexe. A celle relative «au conseil » donné par un spécialiste étranger à Sonatrach de ne pas acheter la raffinerie italienne, il répond avec son sourire habituel « j'ai 25 années d'études (…) et on vient aujourd'hui me dire de ne pas acheter Augusta ! Mais de quoi se mêlent les étrangers ?» Dans cet article-interview, il parlera de la stratégie HS 2030. Il évoquera aussi, non sans amertume, « l'affaire BRC » et son incarcération à la prison militaire de Blida. « Une affaire scabreuse !» dit-il.
«Abdou » comme il aime être appelé, a, avant toute chose, tenu à nous faire visiter « le 9ème étage» de l'immeuble-siège de Sonatrach (Hydra). C'est un étage nouvellement aménagé en « open-space » où des cadres nationaux et étrangers planchent sur de nombreux dossiers. Ould Kaddour veut décloisonner la structuration et l'organisation du groupe qu'il dirige depuis le 20 mars 2017. « A mon arrivée à Sonatrach, j'ai été choqué par le cloisonnement entre les services, les bureaux, les cadres, personne ne parlait à personne » rappelle-t-il. Pourquoi les cadres de Sonatrach se donnent-ils le dos ? lui demandons-nous. « C'est peut-être une conséquence des scandales qui ont secoué le secteur, mais je pense surtout que c'est une culture en Algérie, quand on détient une information, ou un savoir-faire, on veut les garder pour soi-même » nous dit-il. Il a tenu à nous expliquer les raisons qui l'ont poussé à entreprendre des réaménagements dans la disposition des bureaux et services de Sonatrach. Bras droit toujours retenu par une attelle, air détendu, yeux rieurs, le patron de Sonatrach semble prendre à cœur la mise en œuvre des décisions de décloisonnement du groupe.
Démarche inscrite clairement dans la stratégie SH 2030 qu'il tient à présenter à tous les personnels du groupe « là où ils activent ». Il estime qu'« il faut mettre un terme à ce nivellement par le bas qui bloque les initiatives et empêche le dialogue, la communication, l'échange (…) ».
Le PDG nous ramène dans son bureau. Il avait à ses côtés un de ses proches collaborateurs et un de ses cadres, Fethi Arabi, chef du projet Stratégie SH 2030. « On veut changer le fonctionnement de Sonatrach » dit-il en s'asseyant. Ould Kaddour semble bien connaître le secteur pour l'avoir « pratiqué » pendant de longues années ici et ailleurs. Comment avez-vous vécu les événements de l'affaire BRC ? lui demandons-nous. « J'ai passé deux ans de prison à Blida, chez les militaires, j'ai été condamné officiellement à 30 mois de prison ferme, mais avant de les terminer, on est venu me dire tu sors, j'ai refusé, j'ai demandé pourquoi vous m'avez mis en prison et pourquoi vous voulez que je sorte aujourd'hui ?, » relate-t-il. Il nous rappelle qu'en prison, il avait ouvert une école d'initiation à la langue française « et aussi à la langue arabe » (rires). « L'école existait mais était fermée, j'ai embêté les responsables pour qu'on me permette de l'ouvrir et de donner des cours aux appelés » dit-il.
«L'affaire BRC étaitpour casser Khelil»
Détournements ? Malversations ? De quoi avez-vous été accusé précisément ? interrogeons-nous encore. « D'espionnage ! » répond-il sur un ton ferme. Ould Kaddour a été jugé en 2007. Il était depuis 2002 PDG de la société Brown and Root Condor (BRC), dans laquelle l'Algérie est actionnaire avec l'américain KBR, une filiale d'Haliburton. Incarcéré à la prison militaire de Blida, Ould Kaddour s'en sortira ainsi avant de purger toute sa peine. « On m'a sorti de prison comme on m'a fait entrer, sans aucun papier, sans aucun dossier » lâche-t-il. BRC « que nous avons créée » était, dit-il, « une entreprise performante, de niveau mondial, elle réalisait des projets complexes dans les délais et dans les coûts, elle employait 2.000 ingénieurs et techniciens algériens, en majorité des jeunes, on travaillait dans un cadre super sophistiqué, on avait déjà l'open-space (…)». Il note que BRC avait construit le centre de criminologie de Bouchouaoui, le siège du ministère de l'Energie, les hôpitaux d'Oran et de Constantine, le centre d'expertise et des grands brûlés de Aïn Naadja (…). « On traitait de gros projets, qui dit gros projets, dit grosses sommes d'argent, on nous en voulait, les tentations…, » dit-il sans jamais se départir de son sourire. « J'ai été jugé pour espionnage alors que BRC avait construit le siège de l'état-major de l'armée ! N'est-ce pas contradictoire ? » interroge-t-il. L'affaire BRC est pour lui, « une affaire compliquée, scabreuse ». Ould Kaddour reste convaincu qu'«elle a été diligentée pour casser Chakib Khelil ». Qui lui en voulait et pourquoi ? lui demandons-nous. « Chakib Khelil n'a jamais accepté que le DRS s'implique dans la gestion des entreprises affiliées à Sonatrach encore moins dans son ministère » affirme-t-il. Il regrette que BRC ait été fermée en mettant dehors 2.000 compétences algériennes. « C'est un véritable gâchis ! » déplore-t-il. « Abdou » refuse de continuer de parler sur ce sujet. « Je ne veux plus en parler » dit-il en se levant de sa chaise. Pendant quelques secondes, l'amertume lui avait fait éclipser le sourire.
«Le départ de nos cadres nous fragilise»
On enchaîne sur les 10.000 ou 16.000 cadres qui ont quitté Sonatrach depuis les quatre dernières années. « Il y a eu des retraites anticipées, mais beaucoup d'entre eux ont quitté pour aller travailler ailleurs, en général à l'étranger » précise-t-il. « Le départ de nos cadres vers les multinationales nous fragilise, on ne peut plus se permettre une telle hémorragie » avoue-t-il. Le PDG regrette « des défaillances dans le système du travail, le manque de motivation, de perspectives (…) ». Il nous explique que « les cadres ont été remplacés mais avec beaucoup de peine et de difficultés, ceux qui ont été recrutés ne sont pas expérimentés, on doit investir dans leur formation, ça prend du temps, pour récolter le fruit de cet investissement, ça prend des années… ». Fethi Arabi ne manque pas de noter que « Sonatrach a mis au point dans sa nouvelle stratégie, des parcours de carrières, des programmes de développement des compétences, des systèmes de récompense des performances, des formations (cadres et formateurs), le e-learning... ». Ould Kaddour rebondit et affirme qu'« il faut tout revoir dans le fonctionnement et l'organisation de Sonatrach ». Le premier constat qu'il dit avoir fait dès son arrivée, « celui de la bureaucratie, dans le bureau qu'on m'a donné, il n'y avait que des parapheurs, par le fait du cloisonnement, les têtes pensantes étaient coupées, aucune explication logique à cela si ce n'est comme je l'ai dit au début, la théorie du nivellement par le bas ». Il a trouvé « bizarre que personne ne se demande pourquoi Sonatrach n'a-t-elle pas de présence importante à l'international ou par exemple ne fait pas de raffinage… ». Il s'exclame « Sonatrach a importé de 2011 à ce jour plus de 16 milliards de dollars de produits raffinés, on achète pour deux milliards de dollars par an de carburants, jusqu'à quand ! ». Mais pourquoi l'Algérie préfère-t-elle exporter son pétrole brut pour le racheter raffiné ? « Peut-être qu'avant, il n'y avait pas eu de responsables qui avaient le courage de prendre la décision de raffiner en Algérie » pense-t-il. Aujourd'hui, il dit vouloir « inverser l'équation le plus rapidement possible». La question sur l'achat de la raffinerie italienne Augusta est évidente. « Même des étrangers vous ont recommandé de ne pas l'acheter » lui avions dit. « J'ai passé 25 ans à étudier, je suis diplômé en génie chimique de l'école nationale polytechnique d'Alger, j'ai fait MIT (Massachussets Institut of Technology), Harvard University (…), avec toutes les écoles que j'ai fréquentées, on vient me dire aujourd'hui n'achetez-pas ! De quoi se mêlent les étrangers ? (…) On est des professionnels ! » dit-il.
« Ne manquait à Sonatrach que de préparer à manger ! »
Ould kaddour explique à propos de la procédure d'acquisition d'Augusta qu'« on était sur une compétition, ce n'est pas le gré à gré, c'est un processus concurrentiel, on s'est dit que pour construire une raffinerie neuve, il faut 5 milliards de dollars et ça nous prendra 5 années, on a refusé de faire des calculs d'épicier ». Ould Kaddour se laisse dire « oui je confirme, le prix d'acquisition d'Augusta est 700 millions de dollars ». Il souligne que « dans notre stratégie SH 2030, nous avons intégré le processing, nous avons commencé à raffiner en février 2018 (…), on ne doit plus vendre nos matières premières et notre gaz sans valeur ajoutée, avec le contrat que nous avons signé avec Total, on va produire des dérivés à Arzew (…). » Acquise en mars 2018 auprès de l'américain Exxon Mobil, Augusta deviendra la propriété de Sonatrach en 2019. « On est en phase de transition, en pleine procédure de cession » dit le PDG. Il croit fermement que « Sontrach doit absolument revenir à ses métiers de base, oil and gas (pétrole et gaz) » dit-il avec un parfait accent américain (anglais ?). Il arbore un large sourire en rappelant que Sonatrach avait « un certain temps, voulu se lancer dans le catering, je prépare à manger ?!? J'avais tout fait dans le pétrole et le gaz, ne manquait à Sonatrach que de préparer à manger ! » continue-t-il de s'exclamer. Sonatrach va-t-elle garder la compagnie aérienne Tassili ? « J'en ai hérité… » répond-il simplement. « Je voudrais que Sonatrach se concentre sur ses métiers de base qui sont la recherche, l'exploration, l'exploitation, la production, le transport, la transformation et la commercialisation des hydrocarbures, c'est comme ça qu'on peut faire du business » pense-t-il. Qu'est-ce que vous appelez business ? « Sonatrach doit rebondir, faire d'autres découvertes, avoir plus de production, de productivité, vendre des produits raffinés, faire tout pour que Sonatrach se positionne dans le top des 5 premières compagnies mondiales » dit-il. « Surtout, il faut qu'on s'organise bien, parce que l'organisation que nous avons n'est pas très efficace, on n'avait pas de stratégie jusqu'à mars 2017 où nous avons commencé à élaborer la stratégie SH 2030, on n'avait pas de système d'information, et c'est ce que nous allons mettre en œuvre sur les dix ans à venir ». Il appellera deux de ses cadres pour présenter le projet SAP de « l'information instantanée » qui mettra en réseau l'ensemble du groupe Sonatrach pour faire circuler toutes les données « en temps réel». Il note « on a tout repris à zéro ». Il veut que dans les zones du sud « où il y a des hydrocarbures, on forme les jeunes pour les métiers de Sonatrach, il ne faut plus qu'on recrute des locaux comme chauffeur ou gardien ». In Salah sera doté, dit-il, « très prochainement d'un centre de formation, il faut former ».
« L'idéal est de rapprocher le plus possible le prix du gasoil de celui de l'essence »
Quid des réserves de l'Algérie en pétrole et en gaz ? « On est loin de ce que nous devions découvrir » répond le PDG. « Notre pays a beaucoup de ressources qui ne sont pas exploitées, il y a beaucoup de travail à faire, on est très loin d'avoir exploité toutes nos richesses » assure-t-il. Et le gaz de schiste ? « Nous sommes la 3ème réserve mondiale, ce sont des professionnels qui en ont fait l'évaluation » affirme-t-il. Il a promis aux jeunes d'In Salah de les emmener avec lui « en Argentine, au Canada, aux Etats-Unis pour leur montrer que le gaz de schiste, ce n'est pas un poison ». Il soutient en effet, « oui, la balle est dans leur camp, ils doivent choisir entre eux, ceux qui devront partir pour que l'ensemble du processus d'exploitation du gaz de schiste leur soit expliqué, on doit le faire, le plus tôt possible serait le mieux. » Les énergies renouvelables sont-elles une alternative à portée de main ? « On y est », répond-il mais « ce n'est pas une solution facile, elle est très coûteuse, il faut du temps ». Il fait savoir qu'en juillet prochain, « on va inaugurer une centrale de 10 MW à Bir Arbaâ Nour, au sud-est de Hassi Messaoud, on investit… » A l'horizon 2030, « on aura 1,6 gigawatt de solaire, » promet-il. « On pense qu'à terme, on va solariser tous nos champs, mais ça ne se fait pas du jour au lendemain, ça prendra le temps qu'il faut, » précise-t-il.
Qu'apportera de nouveau la loi sur les hydrocarbures une fois révisée ? « Elle va nous ramener des investisseurs, depuis la dernière loi, plus personne ne vient » affirme-t-il. La règle 51/49 ? « Ce n'est pas un problème pour les étrangers, l'essentiel pour eux est que le partage des gains soit équitable » dit-il. Il affirme encore « si on veut développer de nouvelles réserves, on a besoin d'experts et de technologies». Sonatrach consacre dans sa stratégie SH 2030, un large volet sur l'hygiène, la sécurité et l'environnement (HSE). « La stratégie n'apporte pas vraiment quelque chose de nouveau, « HSE », ce sont des fondamentaux qu'on ne doit pas négocier » estime Ould kaddour. Il est question pour Sonatrach de réduire l'achat du gasoil, carburant polluant par excellence. « C'est sûr qu'on y pense, on doit rapprocher le prix du gasoil le plus près de celui de l'essence, ce serait l'idéal, » estime le PDG. Le code des douanes complique-t-il les choses à Sonatrach ? « Je n'ai pas de problème avec le code des douanes, mais avec la bureaucratie, le concept de l'importation temporaire nous pose des problèmes auprès des douanes » explique Abdou Ould Kaddour.


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