Je l'ai croisé, il y a quelques années, dans un bus à Vieux-Kouba, à Alger. Bien sapé, le vieil homme à la barbe grisonnante était un peu aigri, mais fort lucide. En lui cédant la place pour s'asseoir, je lui ai, comme inconsciemment, tiré les vers du nez. Moi, je rentrais d'une matinée d'études à Bouzaréah, sur ma route à la cité universitaire pour un petit somme de récupération, lui revenait du tribunal de Bir Mourad Raïs et allait, comme par hasard, pour des soins à l'hôpital de Ben-Aknoun, un sac chargé de tas de documents administratifs. «De l'enfer au purgatoire», rigole-t-il, les yeux malicieux, avant d'agrémenter son constat, sur une note mélodramatique, par une confidence : «De toute ma carrière de proviseur d'école primaire, je n'ai eu qu'une seule prière, tu sais laquelle?» «Non!, répondis-je surpris. «C'est de ne jamais mettre les pieds dans un tribunal, ni dans un hôpital de ce bled, et tu vois bien pourquoi, j'espère», «je devine un peu!», «un peu!, s'exclame-t-il gêné, moi je dis plutôt que, si tu veux bien subir l'injustice, mon fils, tu n'as qu'à aller dans un palais de justice algérois, et si tu as envie d'attraper une maladie, tu n'as qu'à te rendre dans l'un des hôpitaux de cette ville, ou ailleurs dans les quatre directions du territoire». Un bref silence s'ensuivit, mais la discussion entre nous ne tarda pas à redémarrer de plus belle, cassant le rythme lassant de l'embouteillage qui semble s'éterniser sur la route. «Mais, tu n'exagères pas un peu, quand même?», lui lançai-je, soudainement, pour le provoquer et le ramener au sujet du départ. «Pauvres de nous les Algériens !, s'écrie-t-il, il me semble que tu n'as rien vu de que j'avais vu et vécu comme expériences avec mon fils atteint par le cancer : c'est très dur d'avoir un grand malade chez soi quand on habite en Algérie, surtout si l'on vient des villes de l'intérieur. Ne parlons même pas s'il s'agissait de cancer, comme mon cas, c'est la grande galère, entre le coût exorbitant des consultations médicales et des soins, la maârifa, les freins bureaucratiques qui se dressent devant toi, le recours au privé qui demande plus de sous, mais fait parfois moins qu'il n'en faut, sinon pire que le secteur public lui-même. Nos hôpitaux, ça me révolte vraiment, c'est la catastrophe!», «Et comment tu peux expliquer tout ça?» «Dans les années 80, ce n'était pas comme ça du tout. Il y avait certes peu de médecins et très peu de moyens, mais la formation dispensée au corps médical était à la hauteur. Puis, on ressentait beaucoup de respect d'éthique chez le personnel dans les cabinets médicaux, les dispensaires et les hôpitaux. L'exercice de la médecine était comme sacralisé par tout le monde», «tu es un peu nostalgique, me semble-t-il !» «Pas du tout ! Un de mes amis, ancien chirurgien ici même à Alger, maintenant à la retraite, qu'on rappelle de temps à autre à Alger vu son longue expérience, parle souvent avec ironie de la défunte faculté d'Alger !» «Tu veux dire que nos médecins aujourd'hui sont incompétents et peu formés?» «Pas forcément ça ! Toute généralisation excessive tue le raisonnement ! Mais, c'est la corruption qui a tout détruit, puis, on ne considère pas à leur juste valeur la compétence, le mérite et le savoir-faire de ceux qui font des efforts. L'argent facile a gangrené les esprits et, aujourd'hui, même nos médecins en souffrent. Il faut écouter leur cri et celui de tous nos malades pour le bien de tous. Ma seule et dernière prière en ce ramadan est de réformer notre secteur de santé, c'est urgent».