Le débat sur l'héritage n'est pas le mien. Il ne me concerne pas. A La Mecque un Dieu qui la protège. Moi j'ai d'autres soucis. Mettre en oubli du moins pour une semaine mes avatars, mes cafards et mes mauvaises actualités. Le temps était des plus cléments, comme l'aurait été la traversée des frontières. Pas de soucis, pas d'embûches, énormément de fluidité. La Tunisie a été de tout temps une destination privilégiée pour les minimes bourses algériennes. On n'y va pas pour de l'eau de mer, on n'en manque pas. Questionné, chaque voyageur en partance vers ce beau pays dit rechercher autre chose. La sécurité ? La nôtre pensais-je est une existence qui donne ses preuves chaque jour. Plus d'attentats, plus de faux barrages, plus de kidnappings. Alors de quelle sécurité parle-t-on ? Certainement celle liée à la tolérance, au regard indifférent de l'autre. A un service qui se fait en sourire. Ce sourire séculaire semble avoir été un peu perdu dans une révolution engendrant aléatoirement d'innombrables perversités comportementales. Tourisme et révolution Une révolution tant souhaitée par un peuple soucieux de son avenir. Soit l'une des plus inaccomplies. Elle se fait certes mais suscite déjà un redressement. Quand une société aux repères bien ancrés cherche à se mouvoir, croyant à une libéralisation, dans un abandon référentiel, c'est en fait son âme qu'elle perd. La Tunisie n'était et n'est pourtant pas un pays à ressources hydrocarbures, ni un Etat technologique. Juste un si beau pays qui savait rendre le tourisme en une véritable machine industrielle. Il avait l'art de vendre un service. Calme, tranquille, il tente de flirter avec les affres d'une démocratie qui comme ailleurs peine un peu à faire sortir sa tête d'une idéologie d'importation. Certains esprits en mal d'inspiration ont tenté de rendre tourisme et révolution des antinomies. La révolution ou bien la transformation du régime politique s'est faite et continue pour de longues années à se faire encore et encore. Comme chaque révolution contient en son sein des scories, des règlements de compte organiques, des bouleversements systémiques, le monde touristique n'en échappe pas. Si cette révolution avait emporté certains changements dans l'équilibre des égalités sociales et dans le partage du pouvoir, il en est autrement pour le secteur touristique. La révolution ne l'a pas révolutionné pour le maintenir dans son niveau d'avant. Il souffre encore ou fait nourrir ses travailleurs des illusions qu'un monde collectiviste est plus loisible et égalitaire qu'un monopole mercantile. Ainsi, faut-il comprendre que si l'Etat s'investit dans le tourisme infrastructurel, il n'y aura que des coquilles vides. Comme chez nous. La révolution se devait d'être un encadreur qui regule, encourage et contrôle l'activité touristique. Prétendue expulsion et mauvaises agences de voyages La courtoisie était une marque déposée, sinon une profession dans la proximité des espaces touristiques. Elle glisse lentement vers une insouciance voulue. Cela ressemble à une forme d'affirmation de soi. Le service d'étages, l'aubergiste, le cafetier, le parkingueur, le serveur n'ont plus la promptitude d'antan. Ils ne craignent plus « le chef » ni l'entorse à servir mal un client. La syndicalisation, fruit d'une lutte incessante, s'est mal instituée dans la masse laborieuse longtemps silencieuse. C'est dommage que cette prise de conscience de classe soit prise aux dépens d'un bon service. Il est reconnu à cette Tunisie le grand combat syndical. En vociférant parfois, en fustigeant, en rouspétant, en affichant un visage désobligeant, cet agent pense s'affranchir de tant d'années d'exploitation et de tant de vicissitudes. L'on avait dit que des Algériens « touristes » auraient été expulsés des hôtels tunisiens, qu'ils auraient subi des dépassements, des déclassements, des démesures, des inégalités de traitement. Soit. Sans tergiverser, il est reconnu que ce sont nos agences de voyages, qui négocient mal ou manquent de ce pouvoir, qui seraient à l'origine de tout désagrément. Il est aussi vrai que le nombre d'étoiles dans les hôtels tunisiens ne signifie rien en haute saison. Des foultitudes d'étoiles qui n'investissent pas dans les frais de buanderie pour ne pas changer la literie quotidienne ou la lingerie de bain ne sont en fait que des clubs de vacances. Le « all inclusive » est ainsi une grande cantine. Pour un 4 étoiles, il est impensable de savoir que les chambres ne sont pas dotées de TV et de minibar et que celui-ci est en option par location à 10 dinars la journée. Cette catastrophe n'est pas économique tant que l'établissement affiche complet. Elle est cependant une grosse déchirure dans son label historique. L'hôtellerie connut aussi sa descente aux enfers par le truchement de ces nouvelles agences russes et surtout algériennes qui, négociant au plus bas les coûts, se rabattent sur une piaule nue, un service de piscine et une demi-pension. Ces agences parfois offrent la semaine pour 100 euros ou 20 000 DA. Ces vendeurs de rêves filent le mauvais rêve. ils cultivent l'esbroufe et l'escroquerie. Grotesque comme formule. Les jeunes ainsi en raffolent. Les ascenseurs tombent en panne. Le vacarme dans les couloirs. Une image d'un hammam de chez nous. L'image perdue de cette belle Tunisie, c'est le cas de le dire, a été aussi dénaturée et ébréchée par le comportement incivique de certains de nos compatriotes. Pour plagier un confrère, je dirais une « wantoutrisation » à tout bout de champ. Ceci n'aurait été possible que par ces racoleurs impudiques de jeunes en manque d'évasion que sont certains « voyagistes ». Le transport se fait maintenant par bus. Le sourire de l'hôtel Laico Néanmoins en cet été 2018, la situation dans certains établissements commence à reprendre les bonnes traditions du bon vieux temps. Le sourire est remis de mise, la promptitude à la commande également. C'est le « touriste » algérien à qui manquait ce sourire de savoir le produire à son tour. Le lui a-t-on fait perdre aussi chez lui ? On le voit, pour certains d'entre les jeunes, peu se soucier des règles de conduite routières, citadines, hygiéniques ou morales. Le syndrome des cadavres de canettes jetées par-ci, par-là, la musique à fond la caisse en vitres ouvertes de bagnoles sont devenus une preuve de passage d'un certain détenteur d'une certaine nationalité. Hammamet Yasmine est ce qu'elle est. Un endroit féerique qui se noie dans le brouhaha tantôt positif tantôt maléfique d'une différence de comportement. Des chaines, des marques, des belvédères, des terrasses sont là agençant la récente néanmoins ancienne légende de ce beau rivage. La marina est un p'tit port de plaisance, de loisirs et de haute convivialité. Des bateaux pirates, des restos, des cafet il y en a de tout goût et de tout prix. Contempler tout ce beau paysage de votre lit ne peut vous être offert qu'à partir de la vitre de votre chambre sise à l'hôtel Laico. Formant un grand angle, il semble s'agenouiller sur la marina. L'absence de la bonne mine de la réceptionniste est vite suppléée par la disponibilité et l'écoute de son chef. Mehdi avec ses 35 ans de gestion touristique ne manque pas d'éloges pour « son pays l'Algérie » en me montrant comme preuve ; le drapeau algérien exhibé dans son propre bureau. Lui-même est une marque déposée du label de son hôtel. La belle et éternelle Tunisie Ce ne sont pas les beaux paysages qui font la beauté d'un pays. Mais ses citoyens. Ce ne sont pas les beaux rivages qui font les belles plages, mais les plagistes. Ce ne sont pas les belles chambres qui font les meilleurs hôtels, mais le bon accueil. Entre une ère révolue et une autre en phase d'accomplissement, la Tunisie tente de se positionner dans son statut de terre de bon accueil, de rêve, d'évasion et de villégiature. Comme je suis amateur de café, j'évite de le prendre à l'hôtel, préférant les cafés populaires et les endroits publics. Un peu plus loin, dissimulé des regards, un café qui en fait n'est qu'une terrasse tellement la boutique n'emmagasine que la machine et le réfrigérateur. Mounir le jeune garçon qui me servait chaque matin et après-midi a appris à l'œil la nature de mon café allongé et sans sucre. Il ne manquait pas de discrétion. Son rêve est celui de tout Maghrébin, partir loin. C'est dans son ardeur, sa jeunesse, dans l'espoir qu'il affiche par sa jolie frimoussette que j'entraperçois le devenir d'une Tunisie radieuse malgré son désir de la fuir. La propreté, du moins dans les lieux amplement fréquentés, est une exigence qui s'exécute en permanence. J'ai vu cette dame, vieille, échine courbée, sac à dos en bandoulière, ramasser sans gants de protection et sans rechigner les déchets et autres rebuts urbains. Je me disais que ce sont moi et mes semblables qui lui causaient du tort. J'ai pris son visage à deux mains pour apposer sur son front basané par les rayons d'un soleil impardonnable une maternelle bise. Je la voyais un peu etonnée et surprise. Je n'ai pu manquer de la pleurer. C'est elle qui me rendait la Tunisie belle, humaine et toujours éternelle.