Après s'être rendu à Riyad où il a rencontré le roi Salman et son sulfureux prince héritier avec lesquels il a probablement mis au point les termes de la version saoudienne de la disparition du journaliste Kashoggi, consistant, comme suggéré par Donald Trump, à la mettre sur le compte «d'éléments saoudiens incontrôlables», le secrétaire d'Etat américain est envolé vers Ankara avec l'objectif de convaincre le président turc Erdogan de ceder à l'opinion internationale les faits que l'enquête menée par la police de son pays a pu mettre à jour et qui remettraient en cause la version convenue entre Washington et Riyad. Ce n'est en effet qu'à la condition que les autorités turques acceptent de garder secrètes les preuves qui accableraient le plus haut sommet de la monarchie saoudienne que Washington pourra sauver la face à celle-ci et s'abstenir d'exercer à son encontre les représailles promises par Donald Trump. Pour beaucoup d'observateurs, le président turc serait disposé à un arrangement dans ce sens si satisfaction serait donnée à son pays par Washington et Riyad sur des problèmes faisant contentieux entre ces deux capitales et Ankara. Le sens de la «realpolitik» ne fait pas défaut au président turc qui, tout comme Donald Trump, ne cherche certainement pas à mettre fin au partenariat de son pays avec une monarchie dont il ne mésestime pas l'influence régionale tant au plan géopolitique qu'économique. Pour ne pas en arriver à cette extrémité, les autorités turques officialiseront probablement les conclusions de l'enquête qui confirmeront, certes, l'accusation de l'implication saoudienne dans la séquestration et l'assassinat de Kashoggi à l'intérieur du consulat de l'Arabie à Istanbul, mais feront silence sur celles qui pourraient clairement identifier le ou les commanditaires du crime. Mais autant Washington qu'Ankara risquent d'être pris au piège d'un arrangement avec Riyad dont la presse internationale et en premier lieu celle des Etats-Unis sont contre vent debout et s'ingénient à le rendre impossible en menant des enquêtes dont les résultats convergent pour enfoncer le plus haut sommet de la monarchie wahhabite. Il va être dans ces conditions difficile aux autorités turques qui ont promis à leur opinion nationale de faire toute la lumière sur l'ignoble crime qui se double de la violation de la souveraineté de l'état turc, de tenir pour non vérifiables les éléments que révèlent les enquêtes des journalistes rendant irrécusable l'implication du pouvoir saoudien. Tout dépendra du «marché» que Mike Pompéo est allé proposer au président Erdogan auquel cette sinistre affaire dont le consulat saoudien à Istanbul a été la scène procure assurément l'opportunité de faire monter les enchères vis-à-vis des Etats-Unis et de la pétro-monarchie arabe qui n'ont pas hésité à s'en prendre à la Turquie en raison des divergences qui les opposent. Mais qui ont aujourd'hui besoin de sa connivence pour la sortie d'une crise internationale dont le retentissement leur est lourdement préjudiciable.