Quatre organisations non gouvernementales ont lancé hier un appel commun aux autorités pour le respect des libertés fondamentales à l'occasion de la célébration du 70e anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH). Les signataires de cet appel sont Amnesty International Algérie, Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH, aile Zehouane), Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH, bureau d'Oran). Les organisations citées ont ainsi exprimé leurs inquiétudes suite aux violations des droits à la liberté d'expression, d'association, de manifestation pacifique et au libre exercice du droit syndical, en dépit des garanties constitutionnelles concernant ces droits. Elles ont dénoncé le harcèlement et les arrestations arbitraires de militants associatifs, de blogueurs et de journalistes, répression et interdiction de manifestations pacifiques à Alger et dans d'autres wilayas et interdictions ou restrictions imposées à un certain nombre d'associations, refus d'enregistrement des organisations syndicales et licenciement de syndicalistes. Les quatre organisations réclament la libération immédiate et sans condition de toutes les personnes détenues uniquement pour avoir exercé pacifiquement leur droit à la liberté d'expression. La révision des dispositions qui érigent en infraction le droit à la liberté d'expression. Elles ont exigé, à travers cet appel, la modification des textes qui érigent en infraction le droit à la liberté de réunion, notamment les articles 97 et 98 du Code pénal. Ainsi que les articles 15, 17, 19 et 23 de la loi n°89-28 relative aux réunions et manifestations publiques, avec la révision de la loi n°12-06 relative aux associations pour une mise en conformité aux normes internationales applicables en matière de droits humains. Tout en rappelant le contexte régional hostile et la période difficile que traverse l'Algérie avec la crise pétrolière et ses répercussions sur le niveau de vie des Algériennes et Algériens, les quatre organisations ont estimé qu'il est vital de construire un partenariat et un dialogue avec la société civile. Elles ont, dans ce contexte, appelé les autorités à faire participer les organisations syndicales à l'élaboration du nouveau code du travail. Et à enregistrer les syndicats ayant déposé leur dossier et réintégrer les syndicalistes licenciés et suspendus. Mokhtar Bensaid, président de la Ligue algérienne des droits de l'homme (LADH), a appelé les autorités lors de son intervention à la conférence de presse, tenue hier au siège d'Amnesty International Algérie, «de faire l'effort d'entendre la voix des associations, des organisations et de la société civile». En regrettant «on a l'impression que les autorités algériennes vivent dans un autre monde», en appelant ainsi au «dialogue». Et de souligner que les membres des organisations de défense des droits de l'homme ou les membres des associations ne cherchent pas de postes au sommet de l'Etat, mais seulement de l'interaction avec les autorités, une sorte de médiation entre l'Etat et la société. En s'interrogeant comment se fait-il que seulement 2% de la jeunesse algérienne s'intéressent à la politique ? Et comment expliquer que la jeunesse algérienne fuit le pays sur des embarcations de fortune et de la mort aujourd'hui, alors qu'elle n'a pas songé à le faire dans les années de braise, les années de la décennie noire (terrorisme) ? Il poursuit, pourquoi les chancelleries algériennes ne cherchent pas après leurs enfants dans les pays européens et dans les centres de détention des pays européens ? Sur la corruption qui est «devenue une règle» selon le conférencier, il s'est interrogé «où sont passées les enquêtes, où est passée la Cour des comptes qui intervient très rarement, où est passé le Conseil national économique et social (Cnes) qui est le baromètre de l'économie algérienne ?» Il conclut, il y a beaucoup de lacunes et la situation peut dégénérer à n'importe quel moment. «On peut facilement se retrouver face à la fronde, comme celle vécue en France, les manifestations violentes des «Gilets jaunes», qui ont laissé les autorités françaises perplexes», prévient-il. M.Bensaid insiste qu'il faut promouvoir la culture du dialogue avec toutes les parties pour assoir une stabilité et une paix durable. «Le ministère de l'Intérieur derrière la précarisation de la société civile» Said Salhi, vice-président de la Ligue algérienne pour la défense des droits de l'homme (LADDH, aile Zehouane), a dans son intervention, hier, accusé le ministère de l'Intérieur d'être derrière la précarisation des associations et de la société civile, notamment avec la loi portant sur les procédures de conformité des associations. Il a précisé que les associations ont subi cette loi et elles ont répondu aux exigences de cette loi, mais, dit-il, «50% des associations n'ont pas pu se conformer à la loi 06 portant réorganisation du monde associatif en Algérie». Cette loi, précise-t-il, «consacre le diktat, car on est vraiment à la merci de l'administration». Et d'expliquer «même en voulant créer une association, l'administration vous oblige à créer un certain type d'association puisque les administrations locales ont déjà établi des nomenclatures d'associations». C'est-à-dire des associations «génériques» qui parlent de l'environnement à titre d'exemple. Sur les 93.000 associations déclarées, 10% d'entre elles sont des associations «thématiques», le reste ce ne sont que des associations de quartiers, associations religieuses, sportives. Pourtant, ces deux dernières doivent être régies par un dispositif assez particulier vu les enjeux. Mais, estime-t-il, l'administration a ainsi noyé les associations thématiques de défense des droits de l'homme, de la femme, des enfants dans un registre d'associations dont le nombre est astronomique. Le conférencier s'interroge : «que fait aujourd'hui l'administration pour permettre à la société de s'organiser, de s'exprimer sur toutes les sensibilités ?» Said Salhi s'est dit convaincu que le ministre de l'Intérieur est au courant de toutes ces dérives, «car cette loi est venue de l'exécutif», accusant : «et c'est le ministère de l'intérieur qui a donné des ordres à ses bureaux pour ne pas accuser réception aux demandes d'agrément de certaines associations, et ce, pour ne pas ester en justice le ministère de l'Intérieur en cas de non réponse sur la demande de certificat de conformité». Dans cette situation de flou «ni agréée, ni dissoute», l'association ne peut ni ouvrir un compte bancaire, ni même louer un bureau parce qu'elle n'existe pas réellement en l'absence de «certificat de conformité». Il ajoute «c'est une manière de précariser les associations et la société civile». En précisant «tant que la loi sur les associations n'est pas assez claire et ne protège pas les associations, on ne peut pas parler réellement d'un mouvement associatif, de la société civile prospère, organisée, représentative. Et de conclure «cette histoire de manifestations des gilets jaunes en France doit interpeller la conscience des pouvoirs publics, qui doivent penser à l'organisation des associations, des syndicats et de la société et non pas à leur précarisation, pour éviter que les Algériens s'organisent autrement», prévient-il. «Autrement, c'est le chaos, c'est l'émeute, c'est la fermeture des routes». Les associations et la société civile sont des médiateurs qui appellent toujours au dialogue et à la médiation, parce qu'elles tentent toujours d'atténuer le conflit, «maintenant, si elles sont à la marge, le gouvernement assumera seul les conséquences».