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De la Casbah à Nouvel, une infantilisation persévérante
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 27 - 12 - 2018

J'ai beaucoup hésité avant de me décider à réagir à un sujet qui pour certains, attise une polémique dans un sens, et pas dans un autre. En réalité, il me fallut du temps pour comprendre que la polémique est le seul moyen d'échange pour les Algériens, et bien sûr, La Casbah, en ce sens, n'a pas fait exception. Est-ce que la prestigieuse Casbah pouvait éviter le poids de la polémique lorsque nous savons ce qu'elle représente pour l'ensemble des Algériens malgré son état de délabrement actuel ? « La Casbah c'est toute l'Algérie et pas seulement Alger ». A elle seule, elle cristallise la passion culturellement identitaire de tous les Algériens. Et même si nous croyons (certains malheureusement l'ont fait) que La Casbah a fait l'objet d'un oubli général de la part des Algériens, en réalité, ces derniers l'ont toujours eu dans leur cœur. Il n'y a qu'à voir, comme dans les réseaux, comment les Algériens de tout le territoire national ont réagi depuis qu'on nous a annoncés « l'accord » signé entre le wali d'Alger, Valérie Pécresse et Jean Nouvel.
La Casbah au cœur du patrimoine algérien
J'ai publié de nombreux articles dans ‘Le Quotidien d'Oran', dans lesquels je tente d'esquisser une réflexion sur le patrimoine en Algérie. J'ai essayé d'y situer le propos par rapport à des réalités locales qui n'homogénéisent pas pour autant la conception de l'héritage, matériellement pluriel, de l'histoire et ses impacts sur nos identités urbainement respectives. Il m'en souvient d'avoir dit quelque part que si Alger incite à la schizophrénie identitaire (La Casbah et la ville européenne), Oran a tendance à canaliser le référent culturel dans le tunnel européen. Les Algérois regardent dans deux sens opposés (opposition positive !) de l'histoire, et tentent pour certains, comme je l'ai entendu dans le propos d'un architecte algérois, de croire que le moderne, dans l'esprit et dans la démarche des architectes « modernes » (il s'agit des architectes européens de la période coloniale), est le prolongement de l'ancestral. L'ancestral est La Casbah, bien sûr. Les Oranais, par contre, n'ont pas la chance (si c'en est une !), d'avoir sous le regard un ensemble urbain du type arabo musulman, ce qui fait que la conception du patrimoine est essentiellement mono culturelle (la plupart des intellectuels oranais reprennent le schéma de René Lespès) et tentent, donc, de se rattraper sur quelques édifices du genre mosquées datant de la période ottomane pour rappeler à leur esprit (quand ils le veulent bien) qu'Oran est aussi musulmane, même si l'empreinte urbaine et architecturale dans l'ancienne ville (qui demeure pour l'élite : coloniale !) est fondamentalement européenne. C'est en ce sens d'ailleurs que je vais oser dire que si Oran avait été capitale d'Algérie, notre conception du patrimoine aurait été tout autre. Seulement, Alger brille avec La Casbah, et nous avons même l'impression que « La Casbah est tout Alger » en écoutant les spécialistes du patrimoine, ce qui fait que c'est tout à fait normal, en étalant les empreintes civilisationnelles et culturelles diverses, pour reprendre un propos de Mostefa Lacheraf, que : « cet héritage est aussi moral. Il s'agit plutôt, et d'une manière salubre et grave, de la simple continuité, de la permanence de l'idée nationale propre à une très vieille cité ayant, bien à soi, un caractère conceptuel algérien et méditerranéen non régionaliste […] ». C'est en ce sens que je pose l'hypothèse consistant à dire que dans les Etats-Nations, la conception du patrimoine comme sa définition est généralement rattachée à la nature du patrimoine qu'abritent les capitales.
Nouvel. La Casbah divise
Je suis certain que les Algériens qui ont réagi, en plus d'un grand nombre d'architectes, ne refusent pas la venue de Nouvel. Seulement la plupart, comme j'ai eu à le constater, contestent la manière et le cadre selon lesquels on l'a fait venir. L'unilatéralisme de la décision à la fois politique et administrative est celle qui pose problème, et surtout, un grave problème de démocratie. Les spécialistes comme les connaisseurs de La Casbah, en particulier, n'ont eu de cesse d'affirmer que le salut de La Casbah ne peut émaner que de ses propres habitants, de leur implication dans un véritable projet d'intérêt collectif; d'où la nécessaire identification des propriétaires à distinguer absolument des squatters qui se réfugient dans La Casbah par stratégie d'accès au logement social. En fait, La Casbah n'a fait que subir la défaillance du pouvoir politique qui n'a pas su protéger ce quartier prestigieux et nationalement symbolique de la voracité que suscite la politique de l'habitat qui est pour beaucoup responsable d'avoir conféré à La Casbah un statut qui n'est pas loin de celui d'un quelconque bidonville (c'est le cas du secteur urbain Sid El Houari). Ainsi donc, en m'inspirant du propos de Mohamed Larbi Merhoum, architecte et urbaniste de renom, je dis que : « seul un maître d'ouvrage sensé permet un urbanisme sensé. Et un urbanisme sensé autorise une architecture sensée ». Le véritable problème en Algérie est celui de la maîtrise d'ouvrage qui lui, engendre celui de la maîtrise d'œuvre. Comme d'autres architectes, je mets en cause le choix de l'architecte Nouvel dont la compétence relative à La Casbah est loin d'être celle d'un Léon Claro (1899-1991) (comme a essayé de nous le faire admettre un intellectuel algérien et algérois) qui est natif d'Oran et qui a enseigné à l'Ecole des beaux-arts d'Alger, avant et après l'indépendance. Ce n'est pas, cependant, un critère déterminant, mais reconnaissons que nous sommes rassurés par ceux qui connaissent les lieux et qui y ont vécu. J'affirme même qu'il existe à travers le monde des architectes de renom dont la compétence convient à La Casbah et qui plus est, sont issus du monde arabe comme les disciples de Hassan Fathy. Je pense par exemple à Abdel-Wahed El-Wakil (né en 1943), et les frères Minyawi qu'on a décidé d'éclipser malgré leur productivité importante en Algérie (ils ont réalisé en terre stabilisée à Sidi Khaled, Ouled Djellal, El Oued, etc.). Enfin, je pense sincèrement qu'il est inadmissible, aujourd'hui, de continuer à dénigrer les compétences algériennes. Il y a de nombreux architectes algériens qui savent gérer de grands chantiers et construisent de véritables chef-d'œuvre dont je peux lister les qualités indéniables. Le recours des décideurs algériens aux étrangers comme aux Algériens établis à l'étranger est très représentatif de tous ces signes d'absence de confiance qu'ils ont toujours envoyés aux Algériens. C'est presque fait sciemment comme pour empêcher l'Algérien d'aller vers lui-même et de prendre conscience de sa capacité de réaliser des merveilles avec les moyens de bord. Mais surtout ce sont ces Algériens, pleins de talents, qui doivent aller aux postes clés, au lieu de pratiquer la politique de la chaise vide et permettre, donc, aux moins compétents ou aux plus bureaucrates de représenter le potentiel humain algérien.
En guise de conclusion
Je crois que La Casbah et ce qu'elle a suscité comme réactions diverses depuis qu'on a annoncé l'invitation de Nouvel, comme le fait d'en faire un conseiller du wali (!), n'est qu'un motif parmi d'autres de l'expression de la colère des Algériens qui refusent la politique d'infantilisation qu'ils subissent depuis l'indépendance. Nouvel est ce énième étranger dont on ne doute point de ses compétences, et qu'on invite à réfléchir et à agir à la place des Algériens par rapport à des sujets qui sont, pourtant, tout à fait à leur portée. C'est aussi la conséquence de l'inexistence des bilans des efforts et finances investis (je n'hésite pas à parler de véritable saignée financière de laquelle souffre notre pays). En effet, nos chers décideurs nous ont habitués à tout donner aux étrangers et aux Algériens établis à l'étranger, et peu aux Algériens locaux. Ce qui démontre clairement la ténacité du complexe de l'étranger au plus haut niveau de l'Etat. Ce qui est certain, c'est que l'Algérie n'est que ce que les politiques en ont fait d'abord. Tant que la confiance entre le gouvernant et le gouverné n'est pas restaurée, loin des moyens répressifs, aucun projet n'est réellement possible.
*Architecte (USTO)-docteur en urbanisme (IUP)


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