La conférence de dialogue et de concertation a été changée en «une journée de réflexion sur un projet de plate-forme pour la création et la mise en place concertée d'une institution nationale indépendante chargée de la préparation et de l'organisation des élections». Subterfuge en ces temps de disette politique et intellectuelle, à défaut d'une conférence éminemment politique, la présidence de la République a organisé hier au Palais des nations de Club des pins «une rencontre de concertation (qui) porte essentiellement sur la configuration générale et les missions de l'institution qui sera chargée de la préparation et de l'organisation des élections ainsi que sur les conditions à réunir pour assurer l'efficience de son fonctionnement», comme précisé en préambule du projet de plate-forme. Il est attendu «la définition et la validation consensuelle du dispositif juridique afférent à la création de cette institution et au démarrage de ses activités dans les plus brefs délais». La présidence se réfère à «l'exigence constitutionnelle d'organiser l'élection présidentielle dans un délai maximum de 90 jours» pour «imposer la mise en place urgente de cette institution qui prendra en charge, le plus rapidement possible, l'ensemble du processus électoral, la tenue du fichier électoral, la désignation des bureaux de vote et de leurs personnels, la gestion des opérations préparatoires au scrutin, la désignation des responsables des centres de vote, le contrôle des conditions générales de la campagne électorale et la proclamation provisoire des résultats». C'est en évidence la défection de la majorité des partis politiques, représentants de la société civile (mouvement associatif et professionnel), personnalités nationales, experts et autres hommes de loi et intellectuels, qui a obligé la présidence à changer un programme politique par un autre technique. Bensalah n'a d'ailleurs pas jugé utile d'être présent et s'est fait remplacer par Haba El Okbi, secrétaire général de la présidence de la République. A peine une soixantaine de participants étaient dans la salle en comptant avec les responsables et cadres de la présidence de la République, du 1er ministère et de l'INESG (Institut national d'études stratégiques globales). «Il y a une crise politique, il faut l'affronter» L'INESG, une structure de la présidence, semble avoir été appelé à la rescousse pour sauver une initiative politique vouée à l'échec avant même qu'elle n'ait pris forme. «Elle est académique parce qu'elle aborde un thème de droit constitutionnel et elle est aussi politique parce qu'elle permet aux partis politiques d'exprimer leurs avis et faire des propositions sur le cadre dans lequel se tiennent des élections indépendantes et transparentes, c'est fondamental», nous a dit Haba El Okbi à propos de la conférence d'hier. Il estime qu' «il y a une crise politique, il faut l'affronter, le débat concerne l'avenir du pays». Entre autres présents, le président de l'ANR, d'El Islah, de l'UND, des représentants du FLN, du RND, d'autres d'associations, retraités de l'ANP, du conseil national de la jeunesse algérienne et Maître Miloud Brahimi. Le représentant du front El Moustakbal a quitté la salle dès que la presse a été priée de sortir pour raison de huis clos. «On est venu pour exprimer nos avis dans la transparence, on refuse de le faire dans l'obscurité», a-t-il lâché en colère. Le président du Front de l'authenticité, Mahfoud Graba, a fait de même mais après avoir noté qu' «initialement, on devait participer à une conférence de dialogue politique, on se retrouve dans une conférence technique, on s'interroge sur le choix de la date du 22, pour que le dialogue soit légitime il faut que le système en place fasse des concessions et que les droits du hirak soient respectés, or ce n'est pas le cas, on préfère nous retirer». Modéré par le directeur général de l'INESG, Liès Boukraa, les travaux ont débuté par des conférences académiques sur le projet de plate-forme. Le constitutionnaliste Mohamed Fadhel a souligné que «la haute commission indépendante d'organisation des élections a été instituée conformément à l'article 194 de la Constitution et de la loi organique 16-1, sa suppression exige une révision de la Constitution, il n'y a aucune possibilité d'agir à cet effet en dehors de ce cadre». Premier intervenant parmi les participants, le président de l'ANR s'est dit étonné de voir le programme changé par un autre, «je ne l'ai su que ce matin». Salhi aborde quand même le sujet du jour et propose l'institution d'une commission nationale «par un décret présidentiel ou une loi organique(...), il faut qu'elle ait de larges prérogatives et des représentants nationaux et locaux, on peut l'accompagner pour réviser la loi électorale.» L'impossible tenue des élections le 4 juillet Le président de l'ANR considère cependant qu' «il est impossible qu'on puisse faire tout ça d'ici au 4 juillet, on pourrait les reporter de 3 ou 4 semaines(...).» Représentant le FLN, le sénateur Zaïm penche pour «une commission d'organisation et de supervision des élections composée de magistrats, de membres du Parlement, de la société civile, de dimension nationale, locale et communale, c'est elle qui doit annoncer les résultats des élections». Le FLN demande par ailleurs de diminuer le nombre de signatures exigées pour les candidatures «de 50 000 à 24 000 à raison de 5000 par wilaya». Un 2ème membre du FLN «représentant de Bouchareb» a déploré «l'exclusion de la presse, bien au contraire, il faut exploiter les réseaux sociaux pour s'adresser aux Algériens». Il s'est demandé en outre «pourquoi la présidence de la République annonce des décisions un week-end ?!?» Le président d'El Islah a lui aussi fait part de son étonnement face à «ce changement de programme, on pouvait en charger une commission et la plate-forme du projet pouvait nous être envoyée pour avis». Ghouini Fillali précisera qu'à propos de la commission des élections «nous avons transmis un écrit, ça nous fait gagner du temps». Il affirme par ailleurs qu' «on ne peut aller vers des élections si on n'a pas la garantie d'une forte participation de l'ensemble des acteurs politiques, sinon ça va être un monologue(...).» Le président de l'Union nationale pour le développement explosera de colère en soutenant qu' «on est venu pour un dialogue politique pas pour une commission technique d'organisation des élections ! On est encore loin des élections ! Cette politique des oreilles qui n'écoutent pas, de marginalisation, d'exclusion, c'est ce qui nous a amené à cette situation ! Vous nous avez qualifiés de partis nains ou microscopiques(...), si vous ne voulez pas nous écouter, ne nous invitez pas !» Il continue sur le même ton «ce n'est pas possible que dehors, ça bout et ici on discute de choses techniques pour des élections, impossible de les organiser! On doit être logique !» La députée Najet Amamra du RND qui a précisé «représenter Ouyahia» a noté que «le temps presse, la mise en place d'une commission doit être renvoyée après les élections(...), il faut ajouter trois autres mois pour tenir des élections(...).» Consultations bilatérales et consultations collectives Maïtre Miloud Brahimi a jugé que «ce qui a été dit dans cette salle, je ne pense pas qu'il ait un rapport avec notre sujet, on est dans une situation très spéciale à l'Algérie». Il notera avec insistance que «les missions du chef de l'Etat prennent fin le 9 juillet, celui qui pense qu'on peut avoir des élections le 4 juillet, je ne sais pas s'il vit dans ce pays ou pas». Maître Brahimi propose «une commission transitoire avec toutes les prérogatives, pour sortir de cette impasse». A la fin de la séance de la matinée, le SG de la présidence a précisé qu'il voulait intervenir «en tant que participant et non en tant que responsable d'une quelconque institution». La construction d'un nouveau système politique est, selon lui, «une évidence si on arrive à un consensus autour de la tenue d'élections transparentes et crédibles, c'est fondamental, on cherche un président qui a derrière lui le peuple tout autant que des responsables élus qui ont eux aussi derrière eux le peuple(...).» Il estime que pour mettre en place «la commission qu'on peut appeler instance ou autorité, il faut une loi organique, on ne peut toucher à une loi que par une loi». Il pense que «la haute commission indépendante d'organisation des élections est dépassée parce qu'elle a été instituée au temps où l'administration organisait des élections». Pour lui, «la présence de l'autorité judiciaire dans cette commission est importante(...), c'est elle qui doit désigner les magistrats et non l'autorité exécutive» Il estime que «les membres des commissions locales ne doivent pas être désignés par les walis mais par la commission nationale elle-même». Interrogé sur un éventuel report des élections présidentielles, El Okbi a répondu «en tant qu'autorité publique, nous avons la Constitution, les élections sont une obligation constitutionnelle(...).» Haba El Okbi a tenté de recentrer le débat en indiquant que «le chef de l'Etat mène des consultations avec des personnalités politiques pour sortir de la situation qui prévaut dans le pays, ce sont des concertations bilatérales mais aujourd'hui, ce sont des consultations collectives, il est certain que certains commettent l'erreur de ne pas y assister». Il a demandé aux participants de remettre leurs propositions «par écrit parce que c'est important» même si la véritable concertation politique se passe entre les murs de la présidence de la République.