Le chef d'état-major de l'ANP considère que les conditions pour la tenue d'une élection présidentielle ne sont pas réunies et s'active à reformuler l'initiative en alliant instruments législatifs et «consensus» politique. Le report de l'élection présidentielle du 4 juillet prochain est dans l'air depuis plusieurs semaines. Son annonce officielle n'est qu'une simple formalité. Le dépôt samedi par deux personnes de leur dossier de candidats à la candidature auprès du Conseil constitutionnel parmi les 75 qui avaient déposé leur lettre d'intention auprès du ministère de l'Intérieur ne changera rien à la donne. Quoique le pouvoir est sorti vainqueur d'une période de «cogitation» militaro-politico-constitutionnelle si l'on voit que malgré toutes les menaces du «hirak», des dossiers de candidatures ont bien été déposés. Ceux des observateurs qui pensent que les élections sont annulées parce qu'il y absence de candidature de «grosses pointures», comprendre leaders connus de partis politiques ou personnalités nationales, sont contredits par d'autres qui affirment que la scène politique ne peut être assainie que si les partis politiques existants disparaissent pour réapparaître avec de nouveaux profils conformes aux nouvelles évolutions nationales. L'indigence de la classe politique permet au pouvoir militaire de rester maître des lieux et d'orienter les étapes constitutionnelles et politiques à venir vers des objectifs qu'il sera seul à déterminer clairement. «Le chef d'état-major n'a pas voulu opérer un coup de force parce qu'il sait que les conditions actuelles ne sont favorables à aucune démarche dans ce sens», affirment des sources proches de l'ANP à propos de l'élection présidentielle. « Il ne voulait pas d'autres bras de fer avec le hirak, il tient absolument à cadrer ses décisions avec les revendications exprimées même s'il tient à prendre en charge certaines et pas d'autres », soutient un responsable proche des Tagarins. Les propos laissent entendre que le pouvoir actuel tient les choses en main et ne permettra aucune autre solution à la crise que celle qu'il a en tête depuis qu'il s'est érigé en rempart contre toute velléité de déstabilisation de son commandement, de l'institution militaire et de l'Etat. Justice express et démarches constitutionnelles Le (re)cadrage de ses décisions, Ahmed Gaïd Salah l'a déjà fait à plusieurs reprises en évitant en premier d'évoquer la date du 4 juillet tout en insistant sur l'exigence d'une élection présidentielle «dans les plus brefs délais». Il l'a montré notamment à travers son dernier discours à partir de Biskra en appelant à la mise en place «urgente» d'une commission d'organisation des élections. L'intitulé qu'il a employé signifie, selon les analystes, qu'il a déjà entre les mains le canevas de constitution et de fonctionnement de cette instance. L'on dit qu'il a déjà instruit le chef de l'Etat pour établir une liste de magistrats et en sortir les noms de ceux qui seront appelés à y siéger. Le nouveau ancien procureur de la République, Belkacem Zeghmati, aura probablement une mission à mener dans ce registre, notamment celle d'en convaincre les magistrats qui ont manifesté ces derniers temps pour être dans l'air du temps du «hirak». Son communiqué d'hier par lequel il annonce le transfert des dossiers d'anciens responsables politiques bien en vue devant la Cour suprême montre, si besoin est, qu'il mène une course contre la montre pour appliquer à la lettre les décisions du général de corps d'armée en premier celle d'accélérer la lutte contre la corruption par la convocation par la justice de toutes les têtes symboles du système Bouteflika. D'une comparution par « une simple procédure de forme » comme noté déjà par des hommes de loi, ces anciens responsables sous les Bouteflika devront désormais répondre devant la juridiction compétente entre autres «de faits avérés de détournement, de dilapidation de biens publics, d'enrichissement illicite, de mauvaise gestion, de trafic d'influence » qu'on dit contenus dans des dossiers déjà ficelés. La rapidité avec laquelle la Cour suprême a été actionnée, Gaïd Salah la veut en évidence comme preuve que l'article 573 du code de procédure pénale n'est plus contredit. Les sursauts d'une justice express comme la veut le chef d'état-major lui font gagner du temps. Ils occupent l'esprit populaire et l'éloignent de l'exigence d'un droit de regard sur les démarches qu'il compte prendre pour organiser des élections présidentielles. L'essentiel pour le général de corps d'armée est qu'aucune entité ne puisse lui reprocher une quelconque illégalité. Gaïd Salah «facilitateur»? Ceux des milieux qui ont affirmé que le général de corps d'armée a rencontré hier le chef de l'Etat ont avancé, convaincus, que les discussions entre les deux responsables ont porté sur les étapes à lancer à partir de l'annonce officielle du report de l'élection présidentielle. Qu'elle ait eu lieu ou pas, le premier doit préparer le second à la suite à donner aux événements à venir. La réunion d'hier du Conseil constitutionnel vient confirmer d'une manière implicite qu'un nouveau délai constitutionnel pour préparer les conditions requises à des élections présidentielles est officiellement amorcé. Reste à lui trouver la formule adéquate pour qu'il soit conforme au respect du cadre constitutionnel auquel tient le chef d'état-major de l'armée. Les éléments politiques en seront un fardage de circonstance. Il est attendu que Abdelkader Bensalah appelle à une nouvelle « tournée » de consultations avec la classe politique. A condition, bien sûr, que c'est Gaïd Salah qui le dit explicitement aux opposants qui veulent qu'il se tienne «derrière le rideau». Ce sera pour eux la caution absurde que ce n'est pas Bensalah « le symbole du système » qui en est le maître mais est un simple exécutant d'instructions d'un général de corps d'armée «facilitateur». L'opposition n'a pas été gênée d'en faire un de ses préalables. Les «espaces de réflexion et de proposition» qui se constituent à travers le pays s'accordent en général à exiger de Gaïd Salah qu'il se passe du 1er ministre, de son gouvernement «ou d'au moins les quatre de ses ministres qui détiennent les portefeuilles ayant un droit de regard direct sur l'organisation de scrutins avec en tête le ministre de l'Intérieur, des Collectivités locales et de l'Aménagement du territoire». Des préalables sur lesquels il s'est, dit-on, penché hier avec Bensalah.