Boudé, sinon rejeté catégoriquement par des poids lourds de la scène politique comme par les personnalités nationales, le panel de dialogue et de médiation mis en place par le pouvoir semble caler sur la méthode et les objectifs qui lui sont assignés. La proposition de son élargissement à 23 personnalités nationales ayant été rejetée par la majorité des personnalités pressenties, c'est son coordonnateur, l'ex-président de l'APN, Karim Younes qui est monté, hier mardi, au créneau pour expliquer l'initiative dont il assure la mission de la mener à bon port. Et, surtout, qu'il croit personnellement en cette initiative de sortie de crise. Il a prévenu sur sa page facebook qu'il n'est pas d'abord l'émissaire du pouvoir, ensuite qu'il n'est seulement qu'un citoyen appelé à apporter sa contribution au règlement de la crise politique que traverse le pays. Sur un ton plutôt solennel, il a déclaré qu'il est «plus soucieux du futur de mon pays que du présent de ma propre image. C'est alors, en mon âme et conscience que je me suis senti obligé... l'obligé de mes compatriotes, l'obligé de nos enfants, adultes en devenir, exclusivement», avant de préciser que «l'histoire est une roue qui se déroule sans fin et nul ne peut entraver sa course, ni l'empêcher d'atteindre son destin». En réponse à certaines attaques politiques frontales contre sa position au sein du panel et le fait d'avoir accepté de prendre en charge cette mission, proposée par le pouvoir, M. Karim Younes relève que «même si je dois encore être victime de mise en accusation, je continuerai à agir de façon équitable en dépit de la manière inique dont certains opèrent car je me veux engagé dans ce processus qui vise à prendre, à bras le corps, la réalité telle qu'elle est.» Se disant «triste» de constater que son appel à l'action «se transforme en appel à la réaction», Karim Younes réplique que «l'homme instruit par l'Histoire sait que la société est transformée par l'opinion, que l'opinion ne se modifiera pas toute seule et qu'un seul individu est impuissant à la changer...» Plus loin, il s'interroge : «tenter d'obtenir la libération de jeunes manifestants pour avoir porté le drapeau de ses couleurs identitaires est une tare? De faire arrêter les violences policières sur les manifestants est une hérésie? Faire sauter les verrous qui empêchent l'accès de la capitale les jours de marche, une faute grave? D'appeler à l'ouverture des médias aux opinions qui courent dans la société une ineptie? De porter la voix de millions d'Algériens pour le départ de l'actuel gouvernement, une lubie? Que veut-on au juste? De laisser tous ces leviers de pouvoir au pouvoir que l'on veut abattre?» Karim Younes, sans doute excédé par les critiques des uns et des autres, et, plus globalement par des accusations selon lesquelles il est l'instrument du pouvoir, assène lui, également, ses vérités, niant être «le pouvoir ou son émissaire», avant de réaffirmer qu'il n'est qu'un citoyen «appelé à apporter sa contribution aux côtés des hommes et des femmes de bonne volonté pour faire aboutir la lutte enclenchée de longue date, impulsée par la révolution de février 2019». Il conclue sa déclaration par «que ceux qui pensent détenir la vérité, en s'installant dans le confort du censeur, fassent mieux. J'applaudirai à leurs succès». Karim Younes en colère ? Probablement. Le fait est que la démarche qu'il entend mener, au sein du panel, ne semble pas avoir reçue ni la caution des partis d'opposition, encore moins des personnalités politiques pressenties pour en faire partie. Lundi, ces personnalités nationales, dont MM. Mouloud Hamrouche, Mustapha Bouchachi, Mokrane Ait Larbi, ou Abderrezak Guessoum de l'Association des oulémas, avaient poliment décliné l'appel qui leur a été lancé pour intégrer le panel. La réponse de l'ancien chef de gouvernement Mouloud Hamrouche a été claire, car il a rappelé au pouvoir autant qu'aux partis qu'il n'est pas «candidat à d'éventuelles instances de transition ou élection». «Je souhaite rappeler aux honorables membres du panel et des forums, ma déclaration du 18 avril dernier où j'indiquais que : Je ne serais pas candidat à d'éventuelles instances de transition ou élection», a-t-il expliqué. Pour autant, il a tenu à rappeler à tous ceux qui veulent aller sur le sentier du dialogue sans inclure les revendications du Hirak' et des Algériens que «le mouvement unitaire et pacifique du peuple a, depuis le 22 février dernier, neutralisé, momentanément, une série de facteurs de déstabilisation et stoppé d'imminentes menaces». Des menaces, qui «n'ont pas disparu pour autant et sont toujours en gestation. Il revient à ceux qui sont aux commandes d'agir, de répondre au Hirak' et de mobiliser le pays pour lui éviter les pièges d'un chaos». Une position on ne peut plus explicite de M. Hamrouche, tout autant que celle de Benbitour ou Djamila Bouhired. L'avocat et militant des droits de l'Homme Mokrane Ait Larbi, a lui également refusé l'offre du panel et souligné que «nous devons faire la différence entre l'appel du pouvoir et l'appel de la patrie.» «D'un point de vue du principe, le dialogue est un moyen pour rapprocher les points de vue afin de régler les conflits. Mais l'unique but de ce dialogue tracé par le pouvoir ne dépasse pas l'organisation de l'élection présidentielle ». Quant à Rachid Benyelles, un officier supérieur à la retraite, il a stigmatisé le silence du pouvoir face à la demande du peuple d'un changement radical du système et l'instauration d'un Etat de droit, avec le passage obligatoire d'une période de transition. Il a expliqué dans un communiqué que cette demande du Hirak' n'a pas été satisfaite, mais, au contraire, «à cette demande légitime, il a été répondu par des mesures de restriction du champ des manifestations, des arrestations arbitraires et des mesures de diversion destinées à casser le mouvement citoyen...» Il estime, cependant, qu'un dialogue doit s'instaurer pour sortir de la crise entre «les détenteurs véritables du pouvoir et des figures représentatives du mouvement citoyen». Karim Younes avait, d'autre part, expliqué lundi, après le refus des personnalités invitées à rejoindre le panel, que les invitations ont été adressées à ces personnalités en raison de «leur sens du devoir envers la patrie et de leur sens du sacrifice, et libre à eux de répondre favorablement ou de décliner l'invitation du panel», avant de préciser qu'«on n'a pas de commentaires à faire sur leurs positions.» Il a réitéré l'attachement des membres du panel pour des mesures l'apaisement qui sont «des préalables primordiaux pour commencer le processus de dialogue». Et, «une fois ces revendications satisfaites, nous aborderons les grands dossiers relatifs au changement du système», avant de relever qu'il a eu des échos favorables concernant «les exigences du mouvement populaire mais qui nécessitent une faisabilité sur le plan constitutionnel».