Le Rassemblement pour la Culture et la Démocratie (RCD) est dans la tourmente après que la crise interne, qui couvait depuis le début du Hirak populaire en février dernier, a éclaté au grand jour après la publication par la direction d'un document explosif des militants contre la gestion du parti par son actuel président, Mohcine Belabbès. Au sein du parti cher à son fondateur, Saïd Sadi, la crise interne a désormais éclaté au grand jour, après avoir couvé depuis le printemps dernier à l'occasion du soulèvement populaire contre le pouvoir et les positions contradictoires de son président actuel vis-à-vis des fondamentaux politiques du parti. Face aux dérives que la base reproche au président, le conseil national, probablement sous la conduite de Yassine Aïssaoune, député de Tizi-Ouzou et ex-chef du groupe parlementaire, entré dans l'opposition interne, a envoyé à la direction du parti un document reprochant à Mohcine Belabbès moult dérives et sa tendance au « caporalisme ». Celui-ci, en décidant de rendre public ce document, a encore exacerbé la crise au sein du RCD. Pour la direction du parti, le document des membres du conseil national et des élus du parti vise « à déstabiliser le RCD en ces temps de révolution pour le compte du pouvoir de fait ». « Ses rédacteurs ne l'ont pas encore rendu public. Nous le faisons à leur place pour permettre un débat dans la transparence sur le RCD, son fonctionnement et son histoire. Les militants du RCD et ses dirigeants n'ont jamais refusé le débat » explique la direction du parti. Sous le titre « où va le RCD », le document de l'opposition reproche d'abord au président du parti « des déclarations publiques et des décisions internes contraires à ses idéaux alors que son projet est présentement revendiqué par la rue », avant de relever que « le RCD n'a jamais été autant en danger depuis sa création ». Rappelant les demandes d'audience auprès du président du parti, les signataires du document soulignent que ceux qui ont été reçus se sont vus répliquer qu'« il n'y a aucun malaise et que tout va très bien ». Dès lors, les signataires du document estiment que « se taire plus longtemps, c'est accepter de voir le RCD sombrer au moment où le peuple et le pays a le plus besoin de lui », avant de souligner que « notre parti traverse la période la plus difficile depuis sa création ». Le RCD « est touché dans son organisation, son fonctionnement et ses principes. Il est atteint dans son âme ». Un document explosif Et les reproches pleuvent : les élus et membres du conseil national estiment que sur le plan organisationnel, le parti « est pris en otage par deux personnes. Vous et votre homme de main, Ouamar Saoudi », alors que « les structures sont verrouillées et les promotions se font sur la base d'allégeances et même de soumissions ». Dans le même temps, « l'atmosphère qui règne dans le parti est étouffante », accuse le document, qui dénonce « la délation » qui est de mise à Alger. Reprochant au président son penchant pour « la caporalisation du parti », le document revient sur le cas de la militante Samira Messouci, incarcérée pour avoir porté lors d'une manifestation l'emblème amazigh. « Vous avez accusé Samira Messouci d'avoir « mérité » son sort. Selon vous, c'est une agitée qui cherchait à être interpellée », avant de souligner qu'elle « est dans son rôle de militante, d'élue et de membre du conseil national. Elle porte notre combat aux premières lignes ( ). Elle méritait, ainsi que nos militants injustement incarcérés, d'être citée aux côtés de MM. Bouregâa, Benhadid ou Ghediri dans le communiqué de son propre parti, le RCD ». Par ailleurs, le même document de la « dissidence » dénonce la « mauvaise gestion des structures du parti » et la promotion des « courtisans », ainsi que les prises de positions du président du parti en dehors de toutes concertations avec les cadres et la base, avant de stigmatiser les déclarations de Mohcine Belabbès sur ses relations avec les anciens dirigeants du Fis-dissous, outre le rapprochement du parti avec le FFS et le PLD. L'ombre de Sadi « Des rencontres autour de partis, sigles et personnages sont décidées par votre duo. La direction nationale a appris, dans la presse, des alliances sur des projets qui peuvent engager le parti pendant des années et même plus. Nous qui avions été les fers de lance du courant démocratique, nous nous retrouvons à nous « accrocher» à l'arrière-train du FFS, de l'UCP et du PLD », soulignent les signataires du document. Autre point noir de la direction actuelle, celui de la proposition dans le plan de sortie de crise d'écarter toutes les personnes de plus de 60 ans, le rejet de l'idée de « désobéissance civile » qualifiée dans le dernier communiqué du conseil national de « dérive gauchisante », le silence après l'agression de l'ex-président du parti, Saïd Sadi lors d'une marche à Bejaia et l'abandon de la laïcité par le parti. Les membres du conseil national et les élus estiment dès lors que l'actuel président du RCD est en train de démanteler le parti, relevant que « votre entreprise de démantèlement du Rassemblement est bien entamée. Le RCD est menacé au moment où la Kabylie et l'Algérie ont besoin de ses militants, de ses idées et de ses principes. La question posée par la base est simple : pourquoi se renier et pourquoi maintenant ? » Estimant que ces manœuvres visent à « liquider le parti », les protestataires annoncent par ailleurs la création d'un courant, « Fidélité et Transparence » pour contrer la menace de liquidation du parti. Et, si «l'entreprise de reniement et de destruction de notre parti continue, il nous faudra aller vers un congrès extraordinaire, seul à même de décider si les principes, le fonctionnement, la stratégie et le sigle doivent changer », écrivent encore les membres du conseil national et les élus du RCD. En filigrane de cette « guéguerre » au sein du RCD, il y a une lutte intestine extrêmement violente entre partisans de la ligne dure, celle de Saïd Sadi, et l'actuel président du parti. Et c'est tout naturellement Yassine Aïssaoune, député de Tizi-Ouzou et ex-chef du groupe parlementaire, éjecté des instances dirigeantes du parti qui mène l'offensive, par procuration de l'ex-N°1 du parti, Saïd Sadi, contre Mohcine Belabbès. Dans les milieux proches du parti, on fait savoir que Sadi, chahuté lors d'une manifestation à Bejaia et qui n'a pas été soutenu par le RCD, apprécie mal la proposition de Belabbès, contenue dans le « plan de sortie de crise », d'écarter du parti toutes les personnes âgées de plus de 60 ans. Une proposition qui ciblerait Sadi en particulier. Il y a également le rejet par le président du RCD du projet de désobéissance civile, que soutient Sadi. Tout comme celui-ci aurait grincé des dents lorsque ses anciens ennemis politiques, dont Mokrane Aït Larbi ou Ahmed Djedai du FFS, soient invités à la dernière réunion des Forces de l'alternative démocratique du 26 juin. La réaction de Mohcine Belabbès face à ce flot de critiques a été de publier la lettre qui lui a été adressée, sur Facebook, avec ce commentaire : « Le document que nous rendons public et dont vous pouvez deviner facilement ses rédacteurs vise à déstabiliser le RCD en ces temps de révolution pour le compte du pouvoir de fait. Ses rédacteurs ne l'ont pas encore rendu public. Nous le faisons à leur place pour permettre un débat dans la transparence sur le RCD, son fonctionnement et son histoire. Les militants du RCD et ses dirigeants n'ont jamais refusé le débat ». Et, si le député Athmane Mazouz a dénoncé « une action inspirée par les services », Yassine Aissaoune réplique : « Ils (Belabbès et Mazouz, NDLR) ont publié sur Facebook un document interne adressé au président du RCD par des secrétaires nationaux, des membres du conseil national, des responsables des structures locales et des élus du parti pour exiger un débat sur des décisions et des choix qui déstabilisent notre parti depuis des mois. C'est une dérive grave qui s'ajoute à toutes les autres énumérées dans le document en question ». « Le RCD est en voie de liquidation au moment où le pays reprend son projet », estime ce député de Tizi-Ouzou, outré que la lettre envoyée au président du parti soit fuitée par le premier responsable du RCD.