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Monde arabe, guerres au Moyen-Orient: Le prix du pétrole à 200 dollars à un proche avenir ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 21 - 12 - 2019

Dans une revue française «Politique étrangère», la «Stratégie américaine et Stratégie soviétique en Extrême-Orient», en 1951, le général français Jean Marchand donne une analyse très édifiante sur la situation d'après-guerre. «L'Extrême-Orient est, actuellement, la zone la plus «névralgique» de l'univers. Les Etats-Unis d'Amérique et l'Union des Républiques soviétiques s'y trouvent en contact. Dans l'Extrême-Nord, ils s'accrochent au pont aéronaval du détroit de Bering et semblent se mesurer dans un tête-à-tête menaçant ; au Centre et au Sud, ils sont séparés par l'immensité de l'océan, mais la frontière du littoral, reportée par les Américains de Californie à la rive opposée du Pacifique, court d'îles en îles, le long du continent asiatique - de la façade russe.
Les deux blocs y sont aux prises dans une guerre froide, comme en Europe ; mais, de plus, engagés dans une lutte péninsulaire dont l'enjeu pour les Occidentaux est représenté par la conservation des têtes de pont établies au flanc de la Chine ; et, pour les Soviétiques, par la prise de bases de départ vers le Japon ou le Sud-Est asiatique, nouvelles étapes vers l'hégémonie mondiale. Dans le camp occidental, près d'un million d'hommes participent à cette lutte ou occupent, pour faire face éventuellement à un conflit généralisé, des positions de repli ou de départ échelonnées dans le Pacifique. De leur côté, les Russes, les Chinois et leurs satellites mettent en jeu une masse considérable, supérieure à deux millions de combattants, répartis sur les théâtres d'opérations actifs et les aires de défense. Les Anglo-Saxons restent, en outre, menacés par la volonté d'expansion d'une humanité jaune très prolifique qui, depuis un demi-siècle, préoccupe les peuples de race blanche établis en bordure de l'océan Pacifique. Mais les Anglo-Saxons demeurent, à des degrés divers, intéressés à l'important marché économique de cette humanité.
1. L'Union soviétique et la Chine, contrepoids à l'Occident dominateur et principaux soutiens à la libération des peuples colonisés
Ce que développe le général français Jean Marchand, des stratégies du bloc occidental et du bloc communiste, montre que la situation, à l'époque, n'était pas seulement tendue, ou extrêmement dangereuse, c'était plus une question de survie pour chaque système politique, et donc l'ossature de chaque bloc. Ce n'est pas seulement une méfiance qui s'est instaurée à la fin de la guerre, en 1945, entre les deux grandes puissances, les Etats-Unis et l'URSS sorties victorieuses de la guerre, mais la situation conflictuelle générée par l'essence inconciliable même du capitalisme avec le communisme. Ce qui fait que chaque puissance cherche par tous les moyens à détruire l'autre. Il était clair que les deux systèmes ne pouvaient coexister, puisque chacun constituait un danger latent pour l'autre.
Cependant, dans cet affrontement avec les Etats-Unis, les Soviétiques étaient assurés qu'ils se trouvaient dans la bonne cause. Pour eux, le communisme était la bonne réponse pour les peuples, pour libérer les peuples de la domination occidentale. Alors que le système capitaliste visait, le capital financier mondial aidant, à dominer le monde. En clair, l'impérialisme financier devenait un substitut à la colonisation, et le phénomène de la finance mondiale dominée par l'Occident est une réalité aujourd'hui.
Les ex-pays colonisés sont certes indépendants, mais tous sont assujettis aux grands pays occidentaux, par le capital. Ils sont tous dépendants du dollar, de l'euro, de la livre sterling, du yen japonais. Pour peu que leurs réserves de change fondent en ces monnaies, et c'est la crise, les émeutes du pain, ces pays sont asphyxiés et viennent ensuite les institutions internationales, le Fonds monétaire international (FMI), la Banque mondiale (BM), dépêchées par les grandes puissances occidentales. L'essentiel des fonds de ces institutions financières internationales sont constituées de fonds, de capitaux que les Banques centrales des Etats-Unis, de l'Europe monétaire (zone euro), du Royaume-Uni et du Japon ne tient qu'à eux de créer. Ces grandes Banques centrales constituent un consortium financier mondial.
L'avènement de la Banque de Chine dans ce consortium n'est pas de bon augure pour les pays occidentaux. Le yuan chinois en tant que monnaie de réserve dans le DTS (droits de tirage spéciaux), une monnaie internationale qu'utilise le FMI, vient partager avec l'Occident le «droit de seigneuriage» sur le reste des pays du monde. Et l'aide qu'octroie l'Occident aux pays du reste du monde en difficultés financières et économiques n'était en fait que pour les ferrer plus dans le système financier occidental, les rendant encore plus fragilisés, plus dépendants de l'Occident.
Donc, au sortir de la guerre en 1945, la complexité de la situation était telle que l'affrontement Est-Ouest avait tout son sens. Et l'Union soviétique et la Chine constituaient un contrepoids naturel à l'impérialisme occidental. Cependant cette guerre froide n'augurait rien de bon pour l'humanité si cette guerre venait à durer. Le général français Jean Marchand donne des précisions de grande importance sur la situation qui prévalait à l'époque.
«Les Etats-Unis ont, en dépit de leur libéralisme et du concours apporté aux peuples «dépendants» lors de leur tentative de libération, encouru de la part des Asiatiques les mêmes réprobations que les Européens. Les haines provoquées par le régime colonial ou par le système d'exploitation économique trouvent, maintenant, d'autres raisons de s'exprimer. La rémanence de l'activité des Américains en Chine, leur entreprise en Corée, l'aide qu'ils consentent aux nationalistes de Formose et le droit qu'ils se sont arrogé de prendre en tutelle les îles Ryou-Kyou et Bonin soulèvent de nouveaux ressentiments. Et cette animosité est exploitée par une propagande passionnelle, frénétique, qui dénonce les éternels «fauteurs de guerre» et les «impérialistes colonialistes». [...]
La possession de la bombe atomique par les Russes, confirmée récemment par Staline, a modifié les données du problème. La menace a pris un caractère de réciprocité, mais joue en faveur des Américains, qui disposent d'une double supériorité quant au nombre de bombes en réserve et à la puissance des moyens aériens prévus pour leur transport (le bombardier B-36 américain transporte 15 tonnes de bombes à 8.000 kilomètres, tandis que le bombardier TU-4, analogue au B-29, en service dans l'aviation soviétique, transporte seulement 9 tonnes à 2.100 kilomètres). Cette supériorité est temporaire, la marge entre les réserves détenues par les deux opposants peut diminuer progressivement ; d'autre part, il n'est pas impossible que les Russes parviennent à combler dans le domaine de l'aviation de bombardement leur retard, si ce n'est chose faite, «s'il est prouvé», comme l'affirme le général Vandenberg, chef d'état-major des forces aériennes des Etats-Unis, «que les Russes possèdent une industrie en plein essor et en pleine activité et qu'ils soient, au point de vue technique, au même niveau que nous». Il est donc prudent de ne pas sous-estimer les possibilités de l'aviation stratégique. D'autre part, le territoire des Etats-Unis, avec ses centres vitaux très resserrés et ses populations peu préparées à subir les effets atomiques (elles n'ont jamais vécu dans la crainte d'une menace directe)» est plus sensible que celui de l'URSS.
Dans ces conditions, la menace réciproque peut s'équilibrer et imposer la neutralisation de l'arme atomique. De toute façon, elle n'est plus considérée comme un moyen suffisant pour faire échec à la stratégie soviétique. [...]
L'atout chinois. La Chine est le facteur essentiel de la stratégie soviétique. Elle a apporté au communisme des gains territoriaux et humains considérables. Sa puissance intérieure s'est consolidée si l'on en juge par la disparition sur son sol des résistances nationalistes, exception faite pour quelques îlots en bordure de ses frontières Sud, et par la rigueur scrupuleuse de son administration. Elle bénéficie à l'extérieur des sympathies agissantes que lui valent la nature de pays asiatique et le succès de sa révolution, et c'est vers elle que se tournent les espoirs des jeunes Etats de l'Asie. Ayant par conscience de son rayonnement historique, elle est en mesure de reprendre la politique agressive et de débordement qu'elle a toujours mise en pratique dans les périodes de puissance. Elle se trouve d'ailleurs engagée, sur une large échelle, dans une intervention indirecte, sous la forme d'une aide matérielle et morale aux mouvements de résistance de Birmanie, de Malaisie et d'Indochine. Elle peut donc à tout moment passer à l'intervention directe et d'autant plus facilement qu'elle dispose, face au Sud-Est asiatique, de forces importantes (environ 250.000 hommes), dont l'entrée en jeu modifierait l'équilibre établi ; de plus, elle recevrait l'appui de ses colonies, fortes de douze millions d'âmes, qui, à l'annonce d'un succès hors des frontières, se fondraient dans les mouvements de dissidence et de guérilla. [...]
Les deux stratégies, américaine et soviétique, se sont engagées sur une même voie détournée et semblent, du moins pour le moment, écarter le recours à un conflit généralisé. Elles entretiennent sur le front de l'Asie une guerre limitée, profitable aux Russes, qui ménagent leurs forces en retenant loin de leurs bases une partie de celles des Américains, mais qui impose à leurs satellites de lourds sacrifices hors de proportions avec les résultats attendus.
Dans ces conditions, il n'est pas exclu que les Soviets ne tentent, en faisant état d'une situation militaire encore favorable, d'établir une pause qui leur permettrait d'exploiter les possibilités offertes par la guerre froide, par les crises sociales pouvant résulter du réarmement du monde libre, par les fissures qui viennent de se produire dans le bloc occidental à propos du Moyen-Orient et du nationalisme arabe».
Que peut-on dire de la situation de guerre froide qui prévalait dans les années 1950 et 1960 ? Il y avait une situation de blocage entre les deux Grands, le monde bipolaire faisait que l'humanité était prise en otage par ces deux grandes puissances. Il est clair que cette situation appelait son dépassement, donc une issue à cet affrontement qui, au fond, n'avait qu'un seul sens, servir de contrepoids à l'Occident dominateur et permettre aux autres peuples de se libérer de la tutelle occidentale. Dès lors, historiquement parlant, le partage du monde était un passage obligé pour l'humanité. La fin des empires coloniaux, à la sortie de la Deuxième Guerre mondiale, et la bipolarisation du monde ont constitué une sorte de parapluie protecteur contre une hégémonie unilatérale occidentale. Précisément, l'URSS, et à sa suite, l'avènement de la République populaire de Chine ont été les principaux soutiens à la libération des peuples colonisés.
2. Dans l'affrontement Est-Ouest, le monde arabe se transforme, par ses gisements de pétrole, en région la plus instable du monde
La problématique qui va se poser entre les puissances occidentales et les puissances adverses, c'est lorsque tous les peuples colonisés accèdent à leur indépendance. A la fin des années 1970, la plupart des ex-pays colonisés ont accédé à leur indépendance. En 1979, le monde est passé de 51 pays membres fondateurs de l'Organisation des Nations Unies, en 1945, à 152 membres en 1979. Il était évident que l'affrontement Est-Ouest devenait stérile du fait que la décolonisation s'est opérée selon un processus historique logique très parlant puisqu'il a commencé selon la chronologie historique:
- Première Guerre mondiale 1914-1918
- Crise économique de 1929. Cette crise a permis l'accession d'un homme qui va changer le cours de l'histoire. Grâce aux séquelles de la crise économique de 1929, le chômage ayant passé en Allemagne de 6% en 1928 à 43,9% en 1933, soit de 810.000 chômeurs en 1928 à 6 millions de chômeurs en Allemagne (2), Hitler a accédé au pouvoir. Il provoquera le deuxième conflit mondial.
- Deuxième Guerre mondiale 1939-1945
- Dans les années post-1945, un monde bipolaire se met en place et accession à l'indépendance des peuples colonisés.
Cette chronologie historique montre bien que toute l'histoire, en réalité, a été mue en vue d'un but, une finalité. Et celle-ci a trait aux quatre-cinquièmes de l'humanité que représentent les peuples colonisés ou dominés, pratiquement tout le continent africain, le monde arabe, la plupart des pays d'Asie, dont l'Inde colonisée par le Royaume-Uni et la Chine dont la Mandchourie est sous protectorat du Japon, et les peuples d'Amérique latine non colonisés mais dominés.
Il est clair qu'il faut un autre acteur pour mettre fin au monde bipolaire. D'où viendra cet acteur ? Des grandes puissances ? Cela ne pourrait s'opérer puisqu'ils sont tous paralysés par les arsenaux nucléaires qu'ils détiennent. Et donc la guerre froide ne peut que se prolonger, et même si détente il y a, et celle-ci ne s'est imposée qu'à cause de la grave crise des missiles à Cuba, et une Troisième Guerre mondiale qui a été évitée de justesse. On peut penser ce qui aurait advenu du monde si les deux grandes puissances s'étaient affrontées avec des armes nucléaires. Pour cause, une autre crise a éclaté au début des années 1980 avec la crise des euromissiles.
Donc le monde bipolaire constituait un danger pour l'humanité. Et si cet acteur ne vient pas des puissances nucléaires, il viendra forcément du reste du monde. C'est-à-dire des ex-pays colonisés ou ex-pays dominés par la puissance occidentale. Précisément, le général Jean Marchand fait état de fissures dans son analyse. Il écrit: «Dans ces conditions, il n'est pas exclu que les Soviets ne tentent, en faisant état d'une situation militaire encore favorable, d'établir une pause qui leur permettrait d'exploiter les possibilités offertes par la guerre froide, par les crises sociales pouvant résulter du réarmement du monde libre, par les fissures qui viennent de se produire dans le bloc occidental à propos du Moyen-Orient et du nationalisme arabe».
Effectivement, les Soviets, ayant préparé le terrain dans leur affrontement avec le bloc occidental, en aidant les pays sous tutelle occidentale à sortir de la décolonisation, ont provoqué ces fissures. C'est ainsi que deux poids et deux mesures ont joué dans le Moyen-Orient. Les positions des Occidentaux étaient partagées sur la politique israélienne menée dans le monde arabe, depuis la guerre israélo-arabe en 1948. 700.000 Palestiniens furent chassés de Palestine, et la spoliation de leurs terres par la force militaire israélienne avait le soutien total des Etats-Unis. Quant à l'Union soviétique, dans son souci d'élargir le camp du bloc Est, elle a au contraire fortement contribué au soutien des pays dans leur lutte de libération de la colonisation. Après les indépendances de ces pays, elle s'est chargée de l'édification de leurs forces armées. C'est ainsi que les armements à destination de ces pays ont dopé l'industrie militaire soviétique, donc favorisé son commerce extérieur et, en même temps, les pays progressistes arabes qui édifient leurs forces armées viennent renforcer le camp du bloc Est.
A suivre...
*Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale, Relations internationales et Prospective
Notes :
1. «Stratégie américaine et stratégie soviétique en Extrême-Orient », par Jean Marchand. Article dans Revue Politique étrangère Année 1951 pp. 351-364. - https://www.persee.fr/doc/polit_0032-342x_1951
2. «La tentation nazie des chômeurs dans l'Allemagne de Weimar. Une évidence historique infondée ? Un bilan des recherches récentes», par Emmanuel Pierru. Politix. Revue des sciences sociales du politique. Année 2002 pp. 193-223
https://www.persee.fr/doc/polix_0295-2319_2002_num_15_60_1247


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