Dans des contrées qui ont moins d'histoire, des pays qui ont fait moins d'histoires aux occupants successifs, la moindre anecdote de bravoure est romancée, convertie en morceau d'anthologie, portée à l'écran, et portée aux nues pour l'histoire. La longue histoire de résistance des Algériens à l'occupant regorge de hauts faits de bravoure et de sacrifices de petites gens qui ont forcé les portes de l'histoire et obligé celle-ci à en faire ses fondements. Chaque village, chaque douar et chaque ville d'Algérie, toutes générations confondues, offraient au pays depuis longtemps martyrisé des héros sortis tout droit de la mythologie humaine. Des héros dont la vie fût écourtée par l'engagement sans conditions ni failles pour se dresser contre l'envahisseur au détriment du cocon familial, de l'attrait de la lâcheté et de l'incertitude des lendemains. Tel ce martyr qui rejoint le maquis quelques heures seulement après ses noces. Fils unique de ses parents éplorés, ce valeureux martyr ne s'encombra point de questions, ne se perdit pas dans d'interminables soliloques pour tourner le dos à sa conjointe et prendre la porte pour se joindre à ces frères de combats qui devaient faire face à la faim, la soif, le froid, la traîtrise et la mort pour que vivent leurs enfants qu'ils n'ont pas, pour la plupart, vu naître. Il en est ainsi de son fils, justement, qui vint au monde sans ce père inconnu qui ne tarda pas à tomber au champ d'honneur. Le fils unique de notre valeureux martyr, était dans les bras de sa mère s'efforçant, avec le peu d'énergie concédé par la guerre, à aspirer le peu de lait de la mamelle que la mère ne tendait plus. Les cris du bébé finirent par réveiller la grand-mère maternelle qui se rendit vite compte que sa fille venait, elle aussi, de mourir en lui laissant un orphelin de la guerre. Pour ne pas risquer de pervertir la noble histoire de ce martyr qui laissa femme et enfant, il est plus judicieux de ne pas trop se fier à la tentation de cocher davantage de mots. Ceci est de la grande histoire que les mots les plus éloquents ne peuvent traduire fidèlement. C'est une glorieuse histoire tenue de la bouche d'un témoin pour l'Histoire tout bonnement.