«Une laideur ne peut inspirer de belles, ni de grandes idées. Le laid ne peut qu'engendrer de laides idées, et partant, de laides actions, de laids comportements. Aussi, tous les grands moralistes, comme Ghazali, n'ont jamais manqué de poser le problème de l'esthétique. Leur pensée peut se résumer ainsi : on ne peut concevoir le bien sans le beau». Malek Bennabi, Conditions de la renaissance. Sur le plan économique, Malek Bennabi posait la problématique comme suit : Nous ne vivons pas que pour manger certes, mais si nous ne mangeons pas, nous mourrons ! Cette sentence de notre célèbre philosophe et sociologue Malek Bennabi donnait déjà depuis plus de 60 ans une synthèse assez simplifiée des impératifs et des défis économiques auxquels les sociétés arabo-musulmanes, et notamment algérienne, doivent faire face sans se voiler la face. En fait, lorsque j'ai découvert la pensée de Malek Bennabi, tout comme la pensée d'Ibn Khaldoun, père incontestable de la sociologie moderne, voire même le véritable père des sciences humaines telles qu'elles se présentent à nous aujourd'hui, et c'était très tard dans la vie, j'ai tout d'abord découvert un économiste dont personne n'avait parlé dans mon entourage, ni dans mes différents cursus d'étude ni même dans les médias et journaux populaires ou spécialisés. C'est cette carrure, cette dimension et cet univers d'économiste probablement inconnu du grand public que j'aimerais aborder dans cette modeste contribution, qui je l'espère, pourra participer directement ou indirectement aux efforts de changement de paradigme économique que l'Algérie doit impérativement réussir. Pourquoi particulièrement Malek Bennabi et non pas Ibn Khaldoun ? Pourtant, les pensées évoquées par ces deux esprits bénis ont suivi les mêmes parcours culturels et subi les mêmes sorts intellectuels et historiques. En effet, la pensée d'Ibn Khaldoun n'a pas éclos dans ce qui restait d'une civilisation islamique vouée à la disparition et n'avait pas changé son sort déjà scellé par une décadence irréversible des sociétés arabo-musulmanes. Elle a produit toute son énergie positive et structurante dans les sociétés occidentales et a interpellé, d'abord et avant tout, les orientalistes réformateurs occidentaux même s'ils n'en ont fait référence que pour des besoins et objectifs purement historiques et non éthiques ni didactiques et encore moins socioculturels. Pire encore, la pensée économique d'Ibn Khaldoune a été noyée, par oubli et omission innocente ou par occultation et ingratitude intentionnelle, dans des études et analyses historiques sociologiques et culturelles relevant de la sphère académique et pédagogique injustement déconnectée de nombreuses évolutions et progressions scientifiques relevant du domaine purement économique. De même, pour la pensée économique de Malek Bennabi dont les éléments ont été cantonnés et enfermés dans ce qu'il appelait lui-même « le miroir de cécité » ou dans des mécanismes de neutralisation sociale complexes, mais très perfectionnés, mis en place et entretenus par la « colonisabilité ambiante ». Elle n'a probablement pas été lue ni discutée ni analysée ni comprise, et encore moins utilisée dans un cadre économique global ou systémique. Tout comme pour Ibn Khaldoun, les idées de Malek Bennabi, et particulièrement ses idées économiques, n'ont produit aucun impact ni résultat dans les sociétés auxquelles il les avait destinées. Ses idées pour un décollage économique dans le cadre d'une œuvre civilisationnelle spécifique et cohérente avec les particularités locales, régionales et internationales de son époque sont tombées dans le puits sans fonds de la décadence des sociétés arabo-musulmanes. Tout comme la pensée économique d'Ibn Khaldoun, la pensée économique de Bennabi est également noyée dans des écrits, discours et débats relevant des domaines idéologiques, sociologiques et philosophiques sans que son contenu économique, par ailleurs très utile et tout aussi riche à la concrétisation de l'œuvre civilisationnelle qu'il défendait, ne soit mis en avant ni approfondi ni même enseigné aux générations suivantes dans l'espoir de voir lesdites sociétés se l'approprier et le mettre en application. L'origine ethnique, l'éthique défendue et les enseignements économiques prônés par ces deux savants seraient peut-être à l'origine de ce bannissement injuste et ingrat, non seulement des manuels scientifiques internationaux, mais également des enseignements scolaires et universitaires de leur propre environnement naturel et socioculturel. Mais, à mon avis, ce qui pourrait probablement expliquer vraiment cette exclusion incompréhensible et surprenante de deux esprits cartésiens et visionnaires, est la portée systémique et globale de leur méthodologie, dangereuse à la fois pour les trônes dervichistes et colonisables de leurs contrées sur le plan endogène, et dangereux pour les dessins machiavéliques et colonialistes de leurs ennemis sur le plan exogène. À la lumière de ces explications, je pourrais à présent répondre à la question : pourquoi Malek Bennabi et non pas Ibn Khaldoune : - Tout d'abord pour des raisons de proximité historique, la pensée économique de Bennabi nous sera plus utile et mieux adaptée dans le cadre d'une éventuelle tentative de réforme et de changement de paradigme économiques. Il a avancé dans sa pensée économique des expériences vivantes et des cas présentement suffisamment documentés pour la compréhension de ses arguments et de ses postulats. - Ensuite, pour des raisons pragmatiques et techniques, la pensée économique de Bennabi nous sera plus simple à approfondir et à outiller, car elle fait appel à des outils toujours en vigueur dans nos sociétés et dans le monde moderne. - Par ailleurs, pour des raisons de pertinence des propositions par rapport aux problématiques modernes caractérisées par une double contrainte ; celle d'une partie de nos sociétés qui vit dans le narcissisme d'une civilisation passée et glorieuse, mais révolue sans retour et une autre partie qui vit en dehors de tout repère ou référentiel civilisationnel. - Aussi, pour des raisons d'efficacité et d'efficience des conclusions auxquelles la pensée économique de Bennabi avait abouti. En effet, elle préconise des solutions plutôt simples, pratiques, peu coûteuses et tout à fait applicables rapidement. - Par ailleurs, pour des raisons idéologiques et éthiques imposées par les dérives, les débordements, la déperdition, les injustices et les périls que génèrent les deux pensées économiques qui dominent le monde en général, et les pays arabo-musulmans en particulier. Enfin, je pense que la pensée de Malek Bennabi est mieux placée que celle d'Ibn Khaldoun pour impacter ce tas de tassements anarchiques, superficiels, hideux, répulsifs et totalement précaires et instables, même si ce dernier a impacté le monde occidental tout entier et a participé à la révolution qui permettra au monde développé aujourd'hui de dominer pour d'autres multiples raisons : - Ibn Khaldoun a été l'un des principaux inspirateurs de Bennabi et sa pensée a été actualisée, contextualisée et circonstanciée par ce dernier pour l'adapter aux nouveaux défis des sociétés arabo-musulmanes. - La pensée d'Ibn Khaldoun était destinée aux sociétés et aux pays qui cherchaient à comprendre, à trouver et construire des mécanismes sociologiques de fonctionnement civilisationnel alors que celle de Bennabi concerne des sociétés et des pays qui souffrent, cherchent à comprendre et à retrouver des mécanismes perdus de reconstruction civilisationnelle. - La pensée d'Ibn Khaldoun a défini et déterminé des outils et mécanismes scientifiques et expérimentaux pour démystifier des phénomènes et comportements humains notamment dans les domaines socio-économiques, politiques et culturels alors que celle de Bennabi cherche à traduire ces mécanismes et outils en action et en mesure pragmatique pour remettre sur selle des cavaliers tombés de leurs montures et empêchés depuis par de nombreuses phobies de retrouver leur place. - Ibn Khaldoun a participé, de par sa pensée, à la conceptualisation systémique de notre monde économique moderne de façon rationnelle, neutre et indépendante de toute idéologie alors que Malek Bennabi voulait participer à déterrer une pensée économique pertinente et cohérente avec les particularités et spécificités actuelles socio-économiques, politiques et culturelles des sociétés arabo-musulmanes, en particulier de la société algérienne. - Ibn Khaldoun était issu, a vécu et vivait dans une civilisation dominante et bénéficiait naturellement des avantages éthiques, esthétiques et techniques systémiques que cette civilisation garantissait à ses membres et sa pensée était destinée à décrire et expliquer comment et pourquoi cette civilisation réussissait si bien alors que la pensée de Malek Bennabi est influencée et empreinte directement et indirectement par son vécu et ses repères personnels dans des sociétés sous-développées, archaïques fortement désavantagées par la colonisabilité (psychologique) et le colonialisme (matériel). Donc, la pensée de Malek Bennabi convient mieux aux objectifs et problématiques posées dans les sociétés arabo-musulmanes en général et la société algérienne en particulier. - À l'époque d'Ibn Khaldoun, l'économie mondiale n'était pas aussi interdépendante, globalisée, internationalisée et aussi liée qu'elle l'est depuis deux siècles. Donc, la pensée d'Ibn Khaldoun serait utile pour le développement de concepts économiques en endogènes et dans des situations d'autarcie, mais pourrait s'avérer moins utile lorsque des variables exogènes fortes font leur apparition. Par conséquent, je pense que la pensée de Malek Bennabi tient mieux compte de ces nouvelles variables extérieures aux sociétés et aux pays sous-développés, en particulier l'Algérie. Notons par exemple la monnaie, les devises, les financements extérieurs, la répartition internationale du travail, les liens matières premières vs industries, les idéologies politiques et économiques modernes comme le libéralisme et le socialisme, etc. !!!! - La pensée économique d'Ibn Khaldoun analysait des concepts scientifiques dans l'absolu sans référence aux données chiffrées des expériences réelles de son époque ni analyse dynamique de l'évolution desdites expériences alors que celle de Malek Bennabi a côtoyé plusieurs expériences pratiques et réelles de construction de différents modèles de développement économique dans le monde. Il y a inclus des éléments pragmatiques et factuels : - Eléments géographiques (nord vs sud, Orient vs Occident, Europe de l'Ouest vs Europe du Nord), - Eléments démographiques (Chine, Japon, Allemagne, Indonésie, USA, Russie, pays arabo-musulmans), - Eléments idéologiques (démocraties vs communismes, libéralisme vs socialisme, hybrides en Inde ou dans certains pays arabo-musulmans), - Eléments économiques (monnaies, devises, intérêts, financements, échanges commerciaux, intégration économique et associations ou fédération des facteurs économiques), - Eléments éthiques et confessionnels (religions et économie, morales et économie, cultures et économie), - Eléments techniques et matériels (sciences et enseignement, recherche et pragmatisme, organisation et gouvernance, orientation et priorités, outils de diagnostic) Tous ces arguments me poussent à dire que la lecture économique de la pensée de Malek Bennabi apportera une touche de fraîcheur, voire même un vent de changement et ne manquera pas de clarifier dans les esprits qui s'y intéressent beaucoup de zones d'ombres. Je tiens ici à faire une remarque importante à propos du contexte historique dans lequel Bennabi avait évolué et ses liens avec son propre pays. En effet, la plupart de ses idées ont été formulées avant l'indépendance de l'Algérie, même si de nombreuses idées ont subi des modifications et des approfondissements qui intégrèrent les choix économiques de l'Algérie post-indépendante. En effet, sa pensée économique nous sera doublement utile ici et particulièrement dans le cadre de nos efforts actuels de changer de paradigme économique. Elle nous permettra de reformuler clairement nos objectifs, de reformuler les diagnostics associés à nos véritables problématiques et de reformuler enfin les conditions et les moyens nécessaires à la réussite d'une quelconque construction future. Tel un véritable manager issu de l'une des plus célèbres grandes écoles de commerce de notre ère, Bennabi préconise une démarche très en avance pour son temps et pour la société dans laquelle il vivait. Ses recommandations similaires à des plans stratégiques d'un CEO ou d'un véritable capitaine d'industrie bien aguerri par la concurrence et les défis techniques et commerciaux ont la particularité d'être pragmatiques et factuels, même s'il apparaissait à ses lecteurs ou à ses observateurs de l'époque que ce n'était que de la sociologie théorique et de la philosophie sans perspectives d'application. Cependant, ceux qui connaissent les développements économiques des deux derniers siècles savent que la modélisation, les calculs empiriques et les équations mathématiques explicatives n'étaient qu'un outil technique et esthétique qui permit à la pensée économique du monde développé de frayer son chemin vers la vie quotidienne des sociétés. Revenons au diagnostic économique posé par Bennabi : En effet, pour lui, si la société arabo-musulmane (Indonésie, dans un premier temps, ensuite l'ensemble des pays du tiers-monde qu'il a appelés pays « colonisables », dont l'Algérie faisait et fait partie jusqu'à aujourd'hui !!!) est confrontée à un problème d'efficacité et d'efficience, que je pourrais qualifier par le terme plus général et purement économique de « problématique d'optimisation sous contrainte » mal formulée initialement. Pour lui, les sociétés musulmanes avaient commis une triple erreur dans leur construction économique par rapport au monde développé (libéral, socialiste et hybride compris) en formulant leurs différentes stratégies de façon naïve, intuitive, incohérente avec les cultures locales, trop ou pas assez ambitieuses et contenant souvent les artifices endogènes et exogènes de leur implosion. Cette triple erreur est constatée selon lui, et je partage totalement son avis qui reste d'actualité de nos jours, est la suivante : - Ces pays définissent mal leurs véritables objectifs globaux (macroéconomiques). Nous avons constaté la véracité de son postulat durant plus de soixante ans maintenant dans l'ensemble de ces pays souffrant de la « colonisabilité » à travers toutes ces théories, tous ces modèles, tous ces errements et tous ces changements survenus dans un laps de temps aussi court à l'échelle des nations et des cycles économiques. Pourtant, une constante demeure toujours là : ces pays sont restés sous-développés et leurs sociétés n'ont bénéficié des progrès réalisés dans le monde qu'à travers une consommation massive, démesurée et sans utilité économique pour leur peuple ni pour leur avenir. Ces pays sont restés totalement dépendants des pays développés et parfaitement colonisables à n'importe quel moment. Bennabi aurait sûrement pleuré le sort du peuple irakien, celui du Soudan, celui du Yémen, celui de Syrie. Bennabi aurait certainement pleuré le sort auquel tous les pays arabes sont promis par cet esprit colonisable. Ces pays auraient-ils pu mieux faire depuis l'époque de Bennabi ? À mon avis, et lorsque je lis ses postulats suivants, je me rends compte à quel point l'ignorance était enracinée dans ces sociétés. Il avait analysé l'autarcie et les capacités d'une nation à s'autosuffire. Il était parvenu à conclure que si les pays avaient pertinemment défini leurs objectifs, ils se seraient rendu compte de l'inévitable solution et auraient pu éviter la deuxième erreur. - Ces pays diagnostiquent mal leurs véritables problématiques. En effet, là également, les objectifs globaux pertinemment identifiés auraient permis à ces pays de diagnostiquer les véritables problématiques qu'ils doivent solutionner pour les atteindre. Or, ils se sont non seulement trompés dans l'identification de leurs objectifs existentiels et leurs targets de développement souhaité, mais ils se sont également trompés sur les véritables problématiques qui auraient neutralisé leurs efforts et anéanti leurs investissements. Pour Bennabi, les responsables de ces pays luttaient souvent avec bonne foi, mais parfois avec entêtement et égoïsme, contre des symptômes de problématiques. Pour lui, l'ignorance, l'analphabétisme, le chômage, la malnutrition, l'archaïsme agricole ou industriel n'étaient en fait que les symptômes d'un mal plus subtil et moins visible sur le plan matériel ; celui de l'absence d'une énergie sociale ou sociétale qui pourrait charger, animer et tirer les mécanismes et les solutions administrées vers des niveaux suffisamment élevés pour ne pas subir mortellement la colonisabilité. Il a formulé le postulat disant que les éléments basiques et fondamentaux de la réussite étaient disponibles depuis toujours dans ces pays, à savoir l'Homme, le Terre et le Temps. C'est cette énergie vitale à leur fusion dans une explosion civilisationnelle dynamique qui a fait défaut à cause de la première erreur ci-dessus. Le résultat de cette deuxième erreur est non seulement l'absence d'une remise en cause des objectifs globaux que ces pays s'étaient donnés, mais c'est aussi de voir leurs dépenses, leurs moyens et leurs investissements techniques et esthétiques parfaitement inutiles et vains. C'est la troisième erreur que Malek Bennabi avait identifiée. - Ces pays anticipent mal les moyens nécessaires et adéquats. Lorsqu'une organisation définit mal ses objectifs et qu'elle diagnostique mal ses problématiques, elle est systématiquement confrontée au problème d'optimisation (comprendre par-là « efficacité et efficience », selon les termes utilisés par Bennabi). C'est exactement le cas des pays arabo-musulmans, sous-développés ou colonisables qui ne comprennent toujours pas pourquoi ils ne parviennent pas à sortir de leur décadence malgré les investissements colossaux qu'ils ont consentis. Eh bien, pour Bennabi, les deux premières erreurs ont induit en erreur le sort de tous les investissements et tous les plans de développement concoctés par ces pays. Malek Bennabi, ne s'était pas contenté de faire le diagnostic et de poser les problématiques, il avait proposé des idées et des voies pertinentes pour changer de paradigme. Les solutions qu'il avait préconisées pour sortir ces pays de cet engrenage, de quitter cet éternel cercle vicieux et retrouver un cercle vertueux des pays développés étaient souvent puisées dans la sociologie, dans les traditions et les habitudes culturelles des sociétés arabo-musulmanes et surtout celle algérienne. Son objectif était de faire des diagnostics pertinents, de neutraliser de nombreuses fausses contraintes et de débloquer beaucoup de freins à la réussite de la construction d'un modèle de développement économique. La pensée économique de Bennabi peut être qualifiée de systémique et de globale, voire même de synthèse des réformes macroéconomiques que les pays arabo-musulmans doivent admettre, comprendre et ensuite mettre à exécution s'ils veulent réellement sortir de leur décadence et rattraper leurs multiples retards, notamment économiques et de développement humain. L'approfondissement de ses idées et leur mise en application rigoureuse et généreuse, comme ce fut le cas pour sa méthodologie, finiront inéluctablement par repositionner le débat, les pratiques et les méthodes de construction d'un modèle de développement économique. Je vais tenter de retraduire en termes économiques modernes quelques-unes des différentes idées de Malek Bennabi dans l'espoir de convaincre les lecteurs de revisiter le patrimoine intellectuel de ce penseur d'exception. Je pourrais tout simplement leur affirmer que dans ses livres, ses écrits et dans toute sa pensée, ils trouveront des réponses impressionnantes à de nombreuses questions complexes qu'ils se sont posées ou qu'ils se posent probablement depuis l'indépendance de l'Algérie. - Première pensée économique de Malek Bennabi :énergie sociale L'économie est une manifestation et une émanation de l'architecture de construction civilisationnelle (monde développé) ou le résultat d'un tassement anarchique d'objets et d'idées sans aucune consistance ni utilité civilisationnelle (monde sousdéveloppé). Donc, il postule que : Il a décomposé les éléments systémiques qui servent à la construction d'un modèle de développement économique réussi et commun à toutes les expériences passées, réussies et échouées, qu'il a observées et analysées. Il arrive à la conclusion pertinente que les expériences dans les pays arabo-musulmans, et en Algérie qui nous intéresse, ont été réduites à néant par la partie ratée de l'équation. Aussi, il postule que ces trois équations sont équivalentes pour le développement et la prospérité. - Deuxième pensée économique de Malek Bennabi :Devoirs d'abord Pour notre économiste, le paradigme qui doit changer est également au niveau de la perception de la problématique dans l'ensemble des niveaux socioéconomiques du pays. Il a formulé le postulat ci-dessous et a démontré sa pertinence dans l'instauration d'une énergie systémique suffisante pour enclencher le mécanisme économique vertueux : Devoirs Droits = Equilibre stable ou sort civilisationnel Pour lui, les devoirs sont l'élément positif d'une démarche de développement. Les droits sont d'abord la rémunération des devoirs et donc dépendent de l'accomplissement plein et entier des devoirs. Sur le plan purement économique, ceci se traduit par l'équation suivante : Production(convergence des devoirs) Consommation (convergence des droits) = Richesse (convergence des réalisations civilisationnelles). La production des objets et des idées civilisationnelles convergent d'office vers le niveau de conscience des devoirs que tout un chacun ressent à l'égard de son pays. La consommation est ici assimilée à l'ensemble des droits obtenus ou attribués aux membres de la société. La richesse ou la réussite ciblée est également le solde net des efforts déployés par le système de développement économique choisi et c'est ce qui permet à la nation d'investir pour continuer à croître, à grandir et améliorer le niveau des droits. -Troisième pensée économique de Malek Bennabi :le paradigme économique Pour Bennabi, identifier les éléments qui constituent un phénomène ne signifie pas l'avoir démystifié ni avoir compris son fonctionnement et sa dynamique. Il estime que l'éclatement du phénomène économique en plusieurs sous-phénomènes ou plusieurs éléments constitutifs et en interroger les problématiques ne produit pas systématiquement une explication suffisante ni toujours pertinente de l'ensemble reconstitué et en mouvement. Il a attribué l'échec des modèles de développement économique des pays qui n'ont pas pu reproduire les réussites obtenues par d'autres modèles similaires ou de moindres consistances au regard des éléments explicatifs habituels à l'absence de l'énergie adéquate et suffisante. Pour lui, c'est la faute à la partie occultée, ignorée, inexpliquée ou mal expliquée qu'il dénomme « énergie sociale ». En résumé, voici pour lui comment un modèle de développement économique doit être considéré : Réussite (équation du modèle de développement économique = Eléments constitutifs (variables explicatives quantifiées + Energie sociale (Variables vitales occultées). Si on peaufine ce postulat en des termes modernes tirés toujours de sa pensée, on obtient ce qui suit : Réussite (modèle économique) = Partie visible (Homme + Terre + Temp) + partie invisible (Culture + Régulation ou éthique + Justice) Si nous nous amusons à récupérer le sort civilisationnel par ses composants, tel que défini ci-haut, nous pouvons obtenir un modèle tenable qui mérite l'attention de nos économistes et des responsables politiques, même s'il demeure encore très théorique et nécessite une traduction opérationnelle. Devoirs Droits = Partie visible (Homme + Terre + Temps) + partie invisible (Culture + Régulation ou Ethique + Justice) Ou bien : Chaque citoyen doit travailler chaque bouche doit être nourrie = Partie visible (Homme + Terre + Temps) + partie invisible (Culture + Régulation ou Ethique + Justice) Ou encore : Plein emploi Revenu universel = Partie visible (Homme + Terre + Temps) + partie invisible (Culture + Régulation ou Ethique + Justice) Définir l'ensemble de ces concepts de Bennabi en termes purement économiques paraît, de prime abord, difficile et compliqué pour des personnes habituées aux chiffres, aux statistiques et aux indicateurs agrégés. Aussi, essayer d'attirer l'attention des gouvernements et du personnel politique et économique des pays arabo-musulmans, et de l'Algérie en particulier sur la nécessité de plonger dans l'univers de la pensée économique de Malek Bennabi serait comme tenter de convaincre un chimiste que l'eau contient d'autres éléments invisibles en plus de l'oxygène et de l'hydrogène !!!! Or, pendant que notre chimiste dessine sur son visage cette fameuse grimace interrogative, exclamative ou même ironique, les appareils de mesure et les capteurs sensibles nous révèlent qu'effectivement, une quantité appréciable d'énergie invisible s'était dégagée ou a été engagée pendant le processus chimique de décomposition ou de reconstitution de l'eau. En guise de conclusion, je voudrais revenir sur de nombreuses notions précoces, rigoureuses et visionnaires relevant du domaine économique moderne et qui ont été évoquées par Bennabi, il y a de cela plus de 60 ans, qui font leur chemin dans le monde économique moderne sans aucune contestation ni remise en cause tout comme ce fut le cas pour la pensée précoce et rigoureuse d'Ibn Khaldoun et son impact sur les développements révolutionnaires des sciences humaines comme l'analyse par les micro-systèmes ou par les macro-systèmes, l'efficacité et l'efficience ou le pragmatisme, la convergence économique existentielle ou même la notion de course à une taille critique « too-big-to-fail. Vu les contraintes spatio-temporelles, je pense que je le ferai volontairement sur plusieurs étapes afin de rendre justice à cet esprit exceptionnel, au moins sur le plan économique, que peu de gens connaissent. Il nous a laissé un patrimoine suffisamment smart que l'on peut utiliser pour nous positionner, non seulement sur le plan économique, mais également idéologique. N'a-t-il pas écrit que : « L'Europe rationaliste, qui a créé la machine, se voit incapable de poser correctement les problèmes humains. Tout rapport non mesurable échappe à sa science parce qu'il échappe à sa conscience ». Prenons-en conscience. *Chercheur et consultant en finances.