Le président tchadien Idriss Déby Itno, au pouvoir depuis 30 ans et partenaire-clé des Occidentaux dans la lutte contre les jihadistes au Sahel, est mort mardi des suites de blessures subies au front contre des rebelles, et un de ses fils, général de 37 ans, lui succède à la tête d'un conseil militaire. Pour 18 mois, promet-il. Un conseil militaire de transition (CMT) présidé par le général quatre étoiles Mahamat Idriss Déby, jusqu'alors chef de la redoutable Garde présidentielle, unité d'élite et garde prétorienne du régime, a dissous gouvernement et Assemblée nationale et juré que de nouvelles institutions verraient le jour après des élections "libres et démocratiques" dans un an et demi. Le maréchal Déby avait été proclamé lundi soir - l'annonce de sa blessure n'avait pas encore été rendue publique - vainqueur de la présidentielle du 11 avril pour un sixième mandat, avec 79,32% des voix, après avoir écarté par l'intimidation ou la violence quelques rares ténors d'une opposition divisée, une annonce survenue en avance par rapport au programme prévu. Ce militaire de carrière, puis rebelle putschiste qui s'était emparé du pouvoir en 1990, n'avait de cesse de se présenter, souvent en battle-dress, comme un "guerrier". Il a été grièvement blessé au cours du week-end en allant diriger lui-même, à 68 ans, les combats de son armée contre une colonne de rebelles infiltrés, comme souvent, depuis la Libye, à plusieurs centaines de kilomètres de N'Djamena. Dans la capitale mardi, quelques heures après que l'armée a annoncé sa mort, les écoles ont fermé et les parents sont venus, paniqués, chercher leurs enfants. Les fonctionnaires, dont les administrations ont également fermé, sont également repartis précipitamment chez eux. La ville était calme à la mi-journée mais avec beaucoup moins de monde qu'à l'ordinaire, peut-être aussi en raison du ramadhan. De nombreux membres de la Garde présidentielle arpentent la ville en civil, reconnaissables à l'arme de poing glissée sous leurs vêtements et à leur talkies-walkies. Les policiers ont revêtu leur "tenue de combat", comme ils l'appellent: entièrement noire, cagoule ne laissant entrevoir que les yeux. La présence militaire n'est pas plus visible que depuis le début de l'offensive rebelle le 11 avril, jour de l'élection présidentielle. Le maréchal Déby "vient de connaître son dernier souffle en défendant l'intégrité territoriale sur le champ de bataille": en début de matinée, un porte-parole annonçait la nouvelle en lisant un communiqué à la télévision d'Etat. "Il a pris la tête des opérations lors du combat héroïque mené contre les hordes terroristes venus de la Libye. Il a été blessé au cours des accrochages et a rendu l'âme une fois rapatrié à N'Djamena". Conseil militaire de Transition "Le Conseil militaire de Transition (CMT) présidé par le général de corps d'armée Mahamat Idriss Déby, garantit l'indépendance nationale, l'intégrité territoriale, l'unité nationale, le respect des traités et accords internationaux et assure la transition pour une durée de 18 mois", selon le communiqué. Un couvre-feu a été instauré et les frontières terrestres et aériennes ont été fermées. M. Déby, ancien commandant de l'armée de Hissène Habré (au pouvoir de 1982 à 1990), avait renversé ce dernier par un coup d'Etat en 1990. Puis sa Garde républicaine avait, des années durant, réprimé sévèrement toute opposition avant que M. Déby n'assouplisse son régime et l'ouvre à un multipartisme "contrôlé", selon les experts. Il avait été promu au rang de maréchal en août dernier, pour faits d'armes, après avoir, il y a un an, commandé en personne une offensive de son armée en profondeur au Nigeria voisin pour y poursuivre des jihadistes de Boko Haram qui venaient d'attaquer un camp militaire au Tchad. Le régime d'Idriss Déby était considéré par les Occidentaux, en particulier la France, l'ancienne puissance coloniale, comme un partenaire essentiel dans la guerre contre les jihadistes au Sahel. Le Tchad enclavé entre des Etats faillis tels que la Libye, le Soudan et la Centrafrique, est un contributeur de poids en soldats et armements dans ce conflit. L'armée tchadienne fournit également aux Casques bleus de l'ONU au Mali un de leurs principaux contingents et passe pour la plus aguerrie de la force conjointe du G5 Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger et Tchad). Mort au combat L'histoire du Tchad indépendant est ponctuée d'épisodes de rébellions armées venues du Nord, de la Libye ou du Soudan voisin. Idriss Déby était lui-même arrivé au pouvoir à la tête de forces rebelles ayant foncé sur N'Djamena. Durant le week-end, il avait rejoint son fils Mahamat pour diriger les combats dans le nord contre la coalition rebelle du Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT). Lundi, l'armée assurait les avoir écrasés mais des rumeurs persistantes avaient filtré sur des violents combats laissant de nombreux morts et blessés de part et d'autre. L'armée n'avait reconnu que six tués dans ses rangs et affirmé avoir tué plus de 300 "ennemis". Le FACT avait donné lundi une liste des officiers supérieurs tués, portés disparus, blessés et en fuite, blessés parmi lesquels figurait un certain "Colonel Idriss Déby Itno", le dernier grade que lui reconnaissaient ses détracteurs. L'information n'avait pas été confirmée de source officielle. Dans le massif du Tibesti, frontalier avec la Libye, mais aussi dans le Nord-Est qui borde le Soudan, des rebelles tchadiens affrontent régulièrement l'armée, depuis leurs bases arrières dans ces pays. En février 2019, venus de Libye pour tenter de renverser le président Idriss Déby Itno, ils avaient été stoppés par des bombardements des avions de combats français sur demande de N'Djamena. En février 2008, une attaque rebelle avait déjà atteint les portes du palais présidentiel avant d'être repoussée, là aussi grâce au soutien militaire décisif de Paris.