Il n'est pas question du sapeur-pompier qui risque sa vie pour en sauver d'autres, ni du menuisier qui brave les scies à chaque instant, ni du mineur qui entre chaque fois dans la tombe de ses propres pieds, encore moins du pilote d'avion pour qui chaque décollage est peut-être le dernier et qui passe plus de temps au ciel que sur terre et n'a guère le temps de dépenser son salaire. Il n'est pas non plus question du chauffeur routier qu'une légère somnolence peut tuer, ni du sidérurgiste qui travaille en enfer même, mais de l'enseignant qu'il faut désormais compter parmi les métiers à risques. Jadis col blanc et cravaté, redouté et vénéré par les apprenants et leurs parents qui y voyaient même le gendre idéal, l'enseignant auquel on réservait même une part de la récolte de figues, de cerises et d'huile au village et qui était de toutes les fêtes, ne fait plus partie des métiers qu'on envisagerait pour sa progéniture. Des enseignantes de lycée ayant sans doute bravé les réticences de la famille, les tabous et la distance se font violer une certaine nuit du mois du muguet dans une petite ville du Grand Sud qui se voit sinistrement propulsée au-devant de la scène. Une ville qui porte le nom de l'un des tout premiers martyrs de la glorieuse Révolution de novembre. Les violeurs ne sont peut-être pas (r)enseignés sur le valeureux martyr faute d'enseignants peut-être. Un prof d'université qui est allé au-delà de l'âge de la retraite et a continué malgré tout à croire à l'enseignement supérieur et la recherche rend l'âme sur son lieu de travail parce que les secours ont mis trop de temps à arriver non pas à cause des bouchons et de l'incivisme des chauffards qui auraient empêché l'ambulance de se frayer un chemin, mais parce que les deux portails de l'enceinte universitaire étaient fermés à double tour au grand jour. Que ce soit à l'université, au lycée, au collège, voire à l'école primaire, l'enseignant n'a plus grande allure. Il aborde l'entrée de son lieu de travail avec crainte, lassitude et la hantise de se faire agresser. Il se fait huer, narguer, malmener quand il s'emploie à faire son travail convenablement comme empêcher la triche. L'épreuve du bac constitue d'ailleurs une épreuve certaine pour les enseignants affectés à la surveillance et la pression et le stress ne tombent qu'à la fin de l'épreuve. Au collège, l'enseignant endure la transition de l'enfance à l'adolescence des apprenants et en fait souvent les frais. Même l'école primaire se fait quelques fois remarquer par de l'agressivité des vieux écoliers qu'on maintient malgré eux jusqu'à l'âge de seize ans. A l'université, même l'encadrement des masters peut être risqué. L'enseignant a failli devenir un messager, aime-t-on à répéter, moins par tendres aveux que par complaisance circonstancielle. Un messager vilipendé, accablé de tous les échecs scolaires, de la déperdition scolaire, de tous les maux de la société et de la violence dont il est la première victime. Corriger des copies, tourner le dos pour écrire quelque chose au tableau, partir à mille lieues de chez soi pour dispenser le savoir n'offrent aucune garantie même quand le logement de fonction se trouve dans l'enceinte éducative même. Enseigner comporte désormais trop de risques du métier et est passé d'un métier rêvé à un métier à risques, à hauts risques même.