Avant d'arriver à Cannes, l'envoyé spécial du Quotidien d'Oran a passé deux nuits à Marseille. En compagnie des clandestins algériens qui se retrouvent la nuit au Vieux-Port dans une ambiance de fête d'avant la tempête. Des harragas de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux. Les nuits d'été dans le Vieux- Port de Marseille sont des nuits algériennes. Ici des chanteurs de raï avec dj ou musiciens at tirent les jeunes harragas, là une chicha-party est improvisée entre amis sur des musiques orientales et de rap marseillais, un peu partout des vieilles femmes en foulard vendent des gâteaux et des boissons quand d'autres proposent des tatouages au henné. Il y a des familles qui flânent et des vendeurs de glace et de barbe à papa qui attirent leurs marmailles, et il y a également des jeunes qui fument ou qui boivent en discutant via Whatsup avec leurs familles ou leurs amoureuses du bled. En longeant le Fort Saint-Jean, on échappe aux lumières du Vieux Port, le clair de lune permet à peine de distinguer les visages. Dans la douce pénombre, des bandes de potes, des couples d'amoureux, et des solitaires magnifiques côtoient des mordus de la pêche nocturne ou des SDF passablement alcoolisés. Les téléphones portables crachent du raï principalement. Ces Algériens échoués dans la cité phocéenne comment les distinguer entre eux ? Certains sont à Marseille depuis longtemps, d'autres viennent d'arriver. Entre les anciens et les nouveaux, il y a tellement de paliers ! Redouane, lui est un nouveau. Pour rejoindre l'Europe par l'Espagne, il a payé «20 millions» sa place dans le botti des 30 harrags. La traversée a duré 30 heures, avec le recul il dit qu'il n'a pas eu beaucoup peur et préfère insister sur le fait d'avoir accoster à Ibiza. Agé de 26 ans, Redouane est un enfant de la guerre civile comme on n'ose pas le dire. Il est de Palestro, et plus précisément «le dernier village avant la montagne». II en a vu des horreurs depuis son plus jeune âge, maintenant qu'il s'en est tiré il ne veut pas travailler dans le péché, dit-il. En d'autres termes, pas de larcins, pas de deals louches. Sabri, lui a déjà 5 ans de «ghorba» au compteur et cela se voit dans sa coquette façon de s'habiller. Ce jeune né il y a 25 ans à Chlef, a eu le temps de se marier, de faire un enfant et de divorcer. Désormais, il a des papiers lui permettant de travailler. Le fils de fellah est actuellement paysagiste, il s'occupe des espaces verts dans les quartiers huppés de la ville. Sabri n'ira pas se faire vacciner pour la bonne et simple raison qu'il croit aussi profondément que sereinement que c'est Dieu et lui seul qui décide qui aura le Covid ou pas, et que ce n'est pas un vaccin qui fera changer d'avis à Dieu. Dans d'autres quartiers de Marseille, les arrivants algériens sont de catégories sociales et culturelles différentes. Des médecins, des architectes, des artistes, des artisans et des intellectuels installés depuis plus ou moins longtemps rappellent que l'Algérie est un beau pays que l'on quitte de plus en plus. A Cannes, la Croisette n'est pas le Vieux-Port, ici on entend plus les accents tunisien, saoudien ou libanais. Revenons au Festival, l'Algérie ne présente aucun film cette année. L'Algérie n'existe pas officiellement à Cannes. Pourtant, si on compte le nombre de réalisateurs, comédiens, producteurs nés en Algérie ou de parents Algériens - et présents dans les sélections cannoises cette année, on peut se faire un festival dans le Festival. Rappelons que la grande affaire de cette édition est le très attendu documentaire du réalisateur brésilien Karim Aïnouz sur les traces de son père kabyle, «Le Marin de la Montagne». Certes, tous les Algériens n'échouent pas forcément à Marseille, Barcelone, Londres ou Naples. Il y a aussi ceux qui veulent aller encore plus loin. Toujours plus loin. A samedi.