Dans le désert du Mojave, la vie est précaire. Comme par respect-ou capitulation-à l'environnement, elle aussi est sèche, dure, et anguleuse. La tortue du désert se protège de la chaleur sous l'ombre des arbustes, et des prédateurs en se retirant dans sa carapace. Le cactus se défend par ses épines, et survit par sa capacité à retenir l'eau. Le scarabée bleu a tout compris : il faut faire le mort pour vivre. Pourtant, l'organisme le plus extrême ici est tout autre. Il est mou et orgueilleux, il est son propre prédateur et sa propre proie, et c'est ici, au milieu de nulle part, qu'il cache ses pires tendances. Au Mojave, les hommes se sont construit une lune artificielle qu'ils nomment « Las Vegas ». Elle les attire par milliers dans la nuit, comme des insectes à un lampadaire. Au moment de l'enregistrement dans le camping-resort « Oasis », situé à côté de l'autoroute dans la périphérie de la ville, la dame derrière le bureau nous indique qu'il est interdit de dormir dans les tentes. « Ce n'est pas nous qui l'imposons, c'est la ville », c'est pour interdire les sans-abris, nous explique-t-elle. On fait le tour. Dans le café, le baseball joue à la télé, le terrain de mini-golf est â côté, et la piscine est dehors. Nous nous dirigeons vers notre place sur une ruelle nommée « Casablanca ». On s'installe, puis on commande un Uber pour le centre-ville. « Jusqu'au panneau «Welcome to Las Vegas» ? » nous demande le chauffeur. Oui, pourquoi pas ? La nuit tombe. Devant le panneau situé dans le terre-plein au milieu d'une autoroute, borné par des centres d'évènements énormes-on trouve une trentaine de touristes qui font la queue pour prendre des photos. On ne savait pas que le centre-ville était encore à vingt minutes à pied. Les touristes rentrent dans leurs voitures ; nous, on se met à marcher. Le trottoir est quasiment désert. Après quelques cinq minutes on croise une première personne, un homme d'un air triste dans une veste pailletée qui tire derrière lui un amplificateur-vraisemblablement un artiste de rue. Dix minutes plus tard, un homme aux grands yeux, sans-abris, nous croise : « De l'eau s'il vous plait ! J'ai encore une heure à pied ! » Ensuite, on croise une dame endormie sur le trottoir. À vingt minutes, les lumières de la ville s'illuminent devant nous, les voix et le bruit des haut-parleurs montent, les sourires des célébrités « has-been» brillent à partir des publicités pour les spectacles du casino : nous sommes arrivés dans« The Strip », le centre-ville spectaculaire de Las Vegas. C'est un espace entièrement antihumain, fait pour contenir et diriger la foule à laquelle nous nous intégrons, vers les casinos : il n'y a nul part où s'assoir et les ponts-escalators par-dessus de l'autoroute nous dirige d'un casino à autre-Bellagio,Caesar's Palace,TheVenetian. Nous sommes une foule hostile, prête à gagner de l'argent qui ne viendra pas ; ou bien vendue à des rêves inspirés des brochures de vacances. Une foule obligée de maintenir le mythe de l'Eldorado qui justifie le temps misérable qu'elle passe ici ; ou bien simplement convaincue, car c'est beau n'est-ce pas ? Les monuments du vieux monde nous entourent : une pyramide et un sphinx de proportions énormes devant le casino « Luxor », des colonnes et statuettes gréco-romaines, un casino en forme de la tour Eiffel. Un volcan artificiel explose à 21h00 pile. On tourne pour filmer avec nos portables. On quitte la foule de la rue pour voir l'intérieur d'un casino. « Welcome to the Venetian » nous salut le groom. À l'intérieur, il fait toujours jour ; un faux ciel bleu tapisse le plafond et il n'y a pas de fenêtres. Les travailleurs dans les restaurants sont en majorité latinos, dans le casino-même, la majorité des dealers sont des femmes asiatiques. Des joueurs rassemblés autour des différentes tables: le baccarat, la roulette et pour ceux qui se croient spécialement intelligents, le poker. Pendant dix minutes, on regarde un homme qui joue aux machines à sous électroniques-30 dollars perdus, il remplit son compte. La dette privée des ménages aux Etats-Unis est la plus élevée au monde ; combien parmi ces touristes viennent jouer leur argent dans l'espoir de payer leurs hypothèques, où payer leurs immenses dettes accumulées lors de leurs études universitaires ? Quand on ressort à l'extérieur, on tend le cou à nouveau pour regarder la myriade d'édifices brillants s'érigeant devant nous, l'un d'entre eux porte le nom « TRUMP ». On sort du « Strip » et la musique cède aux chuintements des voitures anonymes. Assise à l'arrêt de bus, une dame Latina rentre chez elle à la fin d'une nuit de travail. Le matin on quitte les lieux pour Los Angeles. C'est une métropole qui s'étend dans l'espace, des quartiers liés par des autoroutes. L'autoroute nationale que nous avons suivie jusqu'ici en traversant les Etats-Unis s'explose en une toile d'araignée bétonnée. Les gens passent des heures dans les voitures, parfois dans des manœuvres tactiques à grande vitesse, parfois totalement immobiles, contemplant les alentours. On y retrouve des maisons à une ou deux étages côte à côte, des palmiers fins et grands, qui les surplombent. Sur le trottoir, une queue d'Angelinos attend patiemment de commander des tacos. Plus loin,on voit une série de tentes de sans-abris. Nous sommes dans la ville de l'industrie du divertissement, où les gens se font regarder. Sur ce réseau d'autoroutes de Los Angeles, les voitures sont le médium artistique évident pour se faire remarquer. Dans la masse d'automobiles, on perçoit des camions modifies : des lowriders, des couleurs tape-à-l'œil, et des enjoliveurs rotatifs. En descendant vers la plage de Manhattan Beach à pieds, on aperçoit l'acteur de cinéma Vince Vaughn, qui salut ses admirateurs qui déambulent. Dans ce bord de mer rempli d'immobilier, on remarque le seul espace vert.C'est un lot qui était, jusqu'en 1924, une station balnéaire gérée par une famille noire, avant d'être reprise par le gouvernement municipal, blanc et prédateur.Enfin, le voici devant nous : l'Océan Pacifique. Il scintille. Le lendemain, à Venice Beach, on regarde les rollers danser ; sur la plage, des aspirants mannequins se font photographier. On dit que le climat de la Californie se rapproche à celui de la Méditerranée : douce et riche en fruits et légumes. Mais la comparaison s'étend un peu plus : parfois la côte évoque une corniche à la Méditerranéenne, où les gens de classes et d'origines différentes suspendent leurs vies et se réunissent pour un moment démocratique dans l'air salé.