«Sauver l'Ecole», est le titre d'un article paru dans Le Quotidien d'Oran' du 17 /07 /2021. L'article est un appel pour sauver l'école, rédigé par un collectif d'intellectuels de renom : Ahmed Djebbar, Abderrezak Dourari, Mohammed Harbi, Wassiny Laredj, Khaoula Taleb-Ibrahimi, Houari Touati. Parmi les signataires, Ahmed Djebbar, mentionne sa qualité de professeur émérite dans une Université de Lille, sa qualité d'ancien ministre de l'Education, mais ne mentionne pas sa qualité d'ancien ministre de l'Enseignement supérieur (1992-93-94). Nous pourrons constater le rôle de ce ministère dans le déclassement officiellement reconnu de l'école algérienne. Les auteurs de l'article attribuent l'échec de l'école algérienne à l'idéologie néo-salafiste : «Il est du devoir de la nation d'arracher l'école à l'hégémonie du néo-salafisme qui la gangrène depuis des décennies.» Revendiquent-ils. Curieusement dans leur analyse, les auteurs de l'article n'ont pas intégré les textes officiels qui régissent cette école. Ces textes ne sont pas anonymes, ils sont signés. Ces textes sont appliqués à la lettre sur le terrain. De ce fait, seule la lecture de ces textes pourrait nous indiquer, si la cause de l'échec de l'école est d'ordre scientifique, auquel cas il serait facile d'y remédier ; ou si la cause est d'ordre idéologique, comme l'affirment les signataires de l'article, auquel cas l'intervention est plus compliquée. Voyons à présent où se situe le néo-salafisme incriminé par les auteurs de l'article : La mort de «l'Arabe Classique» est décrétée en 1965 par le premier Texte Officiel qui régit l'Ecole Nationale. Ce texte est intitulé : «Instructions Officielles pour l'Enseignement de la Langue de Conversation». La désignation de la «langue arabe» est radiée. Elle n'est ni dans le titre de ce Texte Officiel ni dans les pages intérieures ! L'idée même de transmettre une langue narrative est donc officiellement bannie. Or sans langue narrative, il n'y a pas de raisonnement. Les concepts et termes clés employés dans ce texte sont importés et traduits de l'intérieur d'un Bureau du ministère français des Affaires étrangères ; comme le démontre mon ouvrage «L'école algérienne de Ibn Badis à Pavlov», paru en 1989. Les Instructions Officielles pour l'Enseignement de la Langue de Conversation de 1965 caractérisent la mutation historique de notre école. L'Algérie impose par la contrainte une nouvelle langue d'enseignement : «Une Langue Simplifiée» qui se substitue à la langue des écrivains. L'école algérienne est déviée de sa mission pour devenir un gigantesque Centre d'Adaptation à la Langue Simplifiée. Les Instructions Officielles de1980 consacrent l'adoption et renforcent la généralisation d'un arabe simplifié plus strict et plus caricatural. Le texte officiel de 1990 consacre la Langue Simplifiée pour les enfants de moins de six ans. Sur le terrain, le texte de 1990 est toujours de vigueur. Depuis, un nouveau texte est paru. Paradoxalement le collectif d'intellectuels, n'a pas jugé nécessaire de mentionner dans leur article ce nouveau texte officiel* qui régit l'école algérienne du 21ème siècle. Ce texte, n'est pas incriminé par le collectif alors qu'il constitue une déclaration de guerre contre l'intelligence des enfants de 4-10 ans. Selon les informations révélées par le ministre Benbouzid, ce Texte Officiel est rédigé par un certain Sobhi Tawil, Représentant de l'Unesco à Rabat. Le programme dit de «2ème génération» est effectivement une de ses trouvailles. Ce fonctionnaire de l'Unesco réussit à reconduire le projet de 1965. Dans notre pays, un consensus a été fabriqué autour de ce texte. L'appel des intellectuels contribue à dissimuler ce consensus dans un seul but : Maintenir la Langue Simplifiée, comme objectif de l'école algérienne. - La longue marche de la Langue Simplifiée. - Autour des années 50-60, aux Etats-Unis une langue anglaise simplifiée, le «Basic English» constitue la langue de scolarisation des enfants des ghettos noirs. William Labov, père de la sociolinguistique a dû intervenir, pour défendre les victimes de cette politique et y mettre fin. - En 1964 : une tentative d'introduction du projet au Vietnam s'est soldée par un échec. - En France, une tentative d'application du français simplifié, «Français Basique» sur les enfants du prolétariat, s'est soldé par un échec. Le projet est dénoncé par Baudelot et Establet (1971) dans «L'école capitaliste en France». La langue simplifiée est pour Baudelot et Establet : «un bastion du pouvoir en place, un modèle linguistique qui contribue à la reproduction des hiérarchies sociales». Les deux auteurs dénoncent «une langue de scolarisation fabriquée pour les enfants d'une classe sociale : le prolétariat ». Les enseignants français dont les coopérants en Algérie ont, à leur tour, rejeté ce projet de «Français Basique» en refusant de l'appliquer. Par analogie, si le français simplifiée est utilisé en France comme un instrument de ségrégation d'enfants d'une classe sociale, en Algérie l'arabe simplifié devient un instrument d'exclusion d'enfants de tout un peuple !!! Il n'est donc pas étonnant que l'on retrouve chez nous, dans les documents que nous avons examinés, tous les concepts des années 70 (Handicap socioculturel ; Adaptation, etc ) appliqués en France, aux enfants du prolétariat. On peut lire par exemple, en page 9 du Guide pour l'Education Préparatoire : «uvrer pour compenser les déficits de l'éducation des familles». C'est cette idée qui est avancée pour justifier le Cours Préparatoire prématuré ou précoce. (Quatre ans dans les textes d'application). Il est opportun de rappeler le rôle déterminent qu'a joué le ministère de l'Enseignement supérieur dans la dégringolade de l'école algérienne. En effet, le concept de «Handicap socioculturel» appliqué au peuple algérien, fait son incursion en Algérie en 1993, à travers le CRASC*. Cet organisme, sous tutelle du ministère de l'Enseignement supérieur, est créé en 1992. On découvre dans les documents du CRASC toute la terminologie de la pédagogie de ségrégation de l'école française. Il semble donc que le projet scolaire appliqué, aujourd'hui, trouve son origine à cette époque (1992- 1993- 1994). - Curieusement, la Langue Simplifiée resurgit en France dans les années 2000. Elle a pour cible, cette fois-ci, le prolétariat émigré. Cette manœuvre vise à diviser le prolétariat et à stigmatiser les enfants de l'émigration. L'opération est accompagnée d'un marketing présentant le projet comme une reconnaissance de la civilisation arabe et comme une réparation d'une dette morale vis-à-vis des pays du Maghreb. C'est ainsi que le volume horaire de l'enseignement de la Langue Simplifiée a été doublé sans la moindre réaction ou opposition des défenseurs des enfants de l'émigration. - La langue simplifiée, un instrument des Multinationales ? En l'an 2000, le Groupe Hachette-Edition, est implanté en Algérie, à travers ses deux filiales Sedia et Hatier. Ce Groupe est chargé d'assurer l'enseignement de la Langue Nationale. A cet effet le Groupe sous-traite au CRASC l'élaboration et le marketing des manuels. - Le Groupe édite son premier manuel en 2001 : Un manuel consacré à la classe préparatoire (CP), alors que ce CP n'était pas encore institué ! Précisons que ce CP prématuré n'a été revendiqué par aucun algérien. « » Ce manuel est élaboré par une équipe du CRASC. Ce titre phare de la Réforme Benzaghou est élaboré en langue arabe simplifié. Le prix des éditeurs est décerné à ce titre. - A partir de 2001, la Multinationale, édite des manuels parascolaires, élaborés en langue arabe simplifié. Les principaux éditeurs pour enfants, se plient à ce jour, aux normes précises dictées par la Multinationale. - La multinationale est sélectionnée par le ministère de l'Education Nationale à l'heure de la réforme pour élaborer et fournir les manuels pour l'enseignement de la langue arabe simplifiée. Suite à la Réforme Benzaghou, (2002) une collection de manuels parait sous le titre : «Ma langue fonctionnelle», comme son nom l'indique, la collection est élaborée en langue arabe simplifiée. On peut donc conclure que, de facto, la multinationale impose la langue simplifiée (basique) comme langue de substitution à la langue des écrivains dans l'édition scolaire, parascolaire, et dans toute la sphère culturelle. - En 2011, la filiale Hatier, publie une collection pour l'enseignement de la Langue Nationale, en langue simplifiée. - Les programmes d'enseignements dans les écoles privées sont fixés par la Multinationale qui les contrôle de bout en bout. Le Ministère de l'Education Nationale publie en 2016 les manuels de deuxième génération élaborés en Langue Simplifiée sur le modèle de la Multinationale. - En, 2016 les normes de la multinationale sont appliquées au manuel d'Education Civique, à celui de l'Education Islamique ainsi qu'aux manuels d'enseignement du Tamazight. - En parallèle, dans sa politique du livre pour enfants et livres scolaires, la Multinationale fait paraître deux éditions distinctes : - L'une destinée au marché occidental : Edition de titres culturels, oeuvres littéraires, chefs-d'œuvre universels. - L'autre, «Internationale », destinée au marché du Monde Arabe et au marché Africain par l'édition de manuels contrairement à la celle destinée à l'Europe. Ces manuels sont élaborés dans une Langue Simplifiée. - La langue simplifiée / Expansion Internationale Les promoteurs de la langue simplifiée, délocalisent leurs Centres de Formation initialement domiciliés en France. L'information est rapportée par le Ministre Benbouzid.* «L'Unesco n'hésitera pas à apporter un soutien exemplaire : des expertises de haut niveau scientifique se rapportant à la confection de nouveaux manuels Des groupes de stagiaires sont programmés à bénéficier de formations dans des centres spécialisés en France, en Egypte et en Jordanie afin d'acquérir les instruments didactiques » «L'Unesco, propose régulièrement aux cadres de l'Education Nationale des séminaires de formation sur la didactique de la langue arabe » Entendre par là, la langue arabe simplifiée. En page 62 on peut lire : «L'Unesco a fort judicieusement accompagné l'INRE* dans le processus d'homologation des manuels scolaires.» Néo-salafisme ou néo-colonialisme ? A mon humble avis, dans leur analyse, les signataires de l'appel à «sauver l'école des griffes du salafisme» font l'amalgame entre causes et symptômes. S'obstiner dans cette logique, a pour seul but, celui de dédouaner le néo-colonialisme, l'unique cause, du sinistre de l'école dite algérienne. * Référentiel général des programmes. Commission Nationale des Programmes, 2009. * CRASC - Centre de recherches en anthropologie sociale et culturelle. 2005 Oran * La refonte de la pédagogie en Algérie. MEN-Bureau de l'Unesco Rabat. Ed.Casbah. 2005. Préface Aboubakr Benbouzid. * INRE : Institut national de recherche en éducation. 1- Ancien membrede la Commission de Réforme de l'Education constituée par Mohamed Boudiaf.