Aux grands maux les grands remèdes. Le dossier de la collecte des déchets ménagers dans la commune d'Oran va se déplacer sur le terrain judiciaire avec la plainte qui devait être déposée, jeudi, par le wali. Avec comme soubassement à cette action, des « données graves » révélées par l'étude-expertise établie par l'Agence nationale des déchets (AND). Moment fort de la réunion : le wali interrompt la présentatrice de l'AND dans son élan et ordonne séance tenante au directeur de la règlementation et des affaires générales (DRAG) de monter illico presto à son bureau pour préparer une plainte devant le parquet, relative au dossier de la collecte des ordures ménagères au niveau de la commune d'Oran. « Vous allez saisir la justice demain (jeudi 21 octobre en l'occurrence, la réunion du conseil exécutif ayant eu lieu mercredi de 15h30 à 20h) à la première heure ». S'exécutant, le DRAG a, sur son chemin vers la sortie, touché un mot au staff de l'AND. Il avait besoin, semble-t-il, d'un exemplaire du document exposé pour les besoins de la requête à formuler. « C'est simple. Je ne reconduis pas la même équipe perdante. Elle est désormais dispensée de ce service public. Or, on ne solde pas comme ça les affaires. Vous êtes appelés à rendre des comptes devant la justice », a poursuivi sur sa lancée le chef d'exécutif, Saïd Sayoud. Comment en est-on arrivé là ? D'abord, il serait naïf de croire qu'il s'agit là d'une réaction à vif, que le wali a décidé de saisir la justice sous l'effet du moment. Cela reviendrait à dire que le premier responsable de la wilaya venait, presque par hasard, de découvrir le sinistre visage caché de sa ville, et de se rendre compte qu'il y avait péril en la demeure. Et qu'il fallait, répression exige, décidé de frapper d'une main de fer en traînant les mis en cause devant la justice. Loin s'en faut. Le diagnostic de l'AND n'était en fait qu'une confirmation de plus d'une vérité déjà étalée sur la place publique d'Oran et connue dans ses moindres recoins par l'actuel premier responsable de la wilaya. A ce détail près que cette confirmation venait dans le cas présent d'un organisme étatique spécialisé et compétent. LE DIAGNOSTIC-AUDIT « ROUGE » DE L'AND Toute la question est là. Bien évidement, le document de l'AND portant « étude du schéma directeur de gestion des déchets ménagers et assimilés dans la commune d'Oran », a devant la justice la valeur qu'il a, en aucun cas, il ne pourra faire œuvre d'expertise judiciaire, si tant est qu'affaire -et donc instruction judiciaire- il y ait par suite d'une action publique conséquente à la plainte de la wilaya. Le dossier était en tout cas, dès mercredi soir, au niveau de la DRAG en vue d'un dépôt de plainte par le wali, qui représente la wilaya en justice en vertu de l'article 106 de la loi n° 12-07 relative à la wilaya. De toutes les « anomalies » pointées du doigt par le document de l'AND, en son chapitre état des lieux, « l'existence dans le fichier des personnels de la commune d'Oran de 3.378 agents de collecte, mais le recensement sur terrain de 1.263 agents mobilisés, soit 38% seulement de l'effectif total répertorié ». De quoi susciter la question logique du wali à l'adresse des gestionnaires communaux : « et le reste, où sont-ils » ? « Si je comprends bien, vous avez plus de 2.000 travailleurs (précisément, il y a 2.115 travailleurs si l'on fait un petit calcul) inscrits sur votre fichier de personnel affectés au service de collecte mais inexistants sur le terrain. En d'autres termes, une vraie masse salariale absorbée par plus de 2.000 employés fantômes. Rien que cela, ça vaut une plainte en pénal », a rétorqué le wali, instruisant immédiatement son DRAG de déclencher la procédure. Le rapport de l'AND ne parle à aucun moment d'«emplois fictifs », et ne fait d'ailleurs aucun commentaire sur l'écart enregistré entre le personnel existant « sur papier » et celui « sur terrain » en matière de collecte de déchets domestiques, mais la technicienne de cet organisme qui était préposée au pupitre a, en guise d'explication à ce « déficit constaté », parlé d'« agents qui seraient affectés, sous toutes réserves, à des corps communs tels que gardiens, agents de maintenance et autres ». 2.115 AGENTS DE COLLECTE FANTÔMES En vieux routier de la « locale » et rodé à la gestion territoriale malgré son jeune âge, Saïd Sayoud n'est pas près d'attendre qu'on lui dise, au bout d'un contrôle « a posteriori », qui fait quoi dans la fourmilière de la collecte d'ordures à Oran. « Je veux qu'on me rassemble tout le monde demain sur le site. Je veux voir toute cette armée de 3.378 agents en gilets. Appelez-les comme cela vous chante, éboueurs, balayeurs, vidangeurs, agents de propreté urbaine, chauffeurs de camions..., je veux les voir tous en rangs serrés demain. Et on va aller au détail du détail ensuite ». Le déficit, il n'y en a pas que celui-là, quoique ce soit le plus conséquent sur le plan juridico-légal. Il y a aussi un gros déficit en volume de déchets collectés de l'ordre de 1.800 m3/j, soit 25%, générant notamment 87 grands points noirs en ville. La commune, qui assure ce service par sa division d'hygiène et d'assainissement (DHA) et les concessionnaires privés au nombre de 110, fait 396 tonnes/j tandis que le troisième opérateur, EPIC Oran Propreté, en fait 89 tonnes/j. La quantité de déchets ménagers quotidiennement collectés est de 485 tonnes contre 577 tonnes générées, soit un « manque à gagner » de 94 tonnes, 17%. L'Agence nationale des déchets en incombe cela notamment à un mauvais rendement par camion (rendements par kilométrage et par temps), un mauvais rendement par agent également ainsi qu'une carence en matériel et logistique de collecte. L'AND relève par ailleurs un « coût élevé » de gestion de déchets à Oran, 11.280 DA/tonne/j. Plus grave encore, 43% des dépenses (2,2 milliards de DA) vont dans la masse salariale et 26% pour le personnel réellement mobilisé. UN NOUVEAU SCHEMA APPROUVE De quoi apporter de l'eau au moulin du wali, qui semblait décidé à aller vers la piste judiciaire au fil de la présentation. Le maillon du traitement des déchets n'est pas en reste. Le taux de récupération à partir du CET de Hassi Bounif est dérisoire, 7%, seulement deux récupérateurs-recycleurs conventionnés étant opérationnels. Sur la base de nombreux « points faibles », qui vont du faible rendement au surcoût de gestion en passant par le taux élevé d'immobilisation de la flotte (55%), les lenteurs d'approvisionnement en pièces de rechange du parc roulant communal, l'absence de collecte ciblée par gisements propres, l'AND a proposé un nouveau schéma directeur de gestion des déchets ménagers et assimilés pour la commune d'Oran, pour un coût d'investissement de 7,3 milliards de DA, scindé en trois chapitres : la pré-collecte, la collecte et le tri sélectif. Pour ce dernier créneau, elle en a estimé le gisement recyclable à 1 milliard de DA. Comme actions prioritaires, l'AND préconise de revoir le cahier des charges de ce service public, le rapatriement des moyens de la DHA à un organisme centralisé de la wilaya, la réorganisation et le redéploiement des services, le renforcement du mécanisme de recouvrement en s'appuyant sur l'article 25 de la LF-2020 ainsi que l'assainissement des créances. Sur ce point, le wali dira au maire d'Oran : « Savez-vous que la wilaya d'Oran a été obligée, en l'espace de neuf mois, de débourser la coquette somme de 97 milliards au profit des concessionnaires privés par débit d'office sur son compte en exécution de décisions de justice suite à des actions en référé interjetées par ces créanciers » ? Ce à quoi a répondu par la négative Nouredinne Boukhatem, qui a tenu à préciser qu'il a hérité de ce « fardeau » datant de 2010 et qu'il avait beaucoup à dire sur cette « histoire machiavélique ». Sur ce, le wali a clos le débat : « je sais tout ».